La Grande Interview : Jérémy Leveau

Dimanche, Jérémy Leveau est devenu Champion de France Espoirs, réglant au sprint le Breton David Cherbonnet et le Vendéen d'adoption, Guillaume Thévenot. De quoi peut-être atténuer ce complexe d'infériorité qui le ronge depuis qu'il a commencé le vélo. Le coureur du VC Rouen 76 le reconnaît sans détour : "Je doute souvent de mes capacités." Souvent ? "Presque tout le temps", insiste-t-il. Cette saison, le Normand a quand même décroché quatre autres succès, dont Paris-Evreux, et obtenu une place de stagiaire au Team Roubaix-Lille Métropole. Adepte d'un cyclisme « à l'ancienne », issu d'une famille de coureurs et fils d'un ex-professionnel encore actif dans les peloton Pass'Open à 65 ans, Jérémy Leveau rend hommage aux « anciens ». A son paternel certes, mais aussi à ses capitaines de route qui l'ont formé lors de sa première saison chez les Espoirs, à Véranda Rideau. Depuis cet écolage, il sait imprimer un tempo, conserver un maillot de leader, préparer un sprint... Et rouler «aux sensations», selon un mode d'entraînement qu'il préfère à tous les autres. Le nouveau Champion de France Espoirs, candidat aux Championnats du Monde qui se dérouleront fin septembre à Ponferrada (Espagne), se confie à DirectVelo.com.

DirectVelo : Quelques jours après ton titre de Champion de France Espoirs, quelles émotions as-tu dans la tête ?
Jérémy Leveau : A vrai dire, je suis un peu perdu ! Je ne sais pas trop où donner de la tête. Depuis dimanche dernier, je suis pas mal sollicité. Que cela soit au téléphone, par SMS ou sur les réseaux sociaux, je reçois beaucoup de messages de félicitations, qui me font évidemment très plaisir. J'en ai même reçu de la part de personnes que j’avais perdu de vue mais qui continuaient de me suivre par l’intermédiaire des sites internet. Pour le moment, je ne réalise pas encore totalement...

« J’ESPERE BIEN POUVOIR SIGNER UN CONTRAT PROFESSIONNEL »

Tu réalises tout de même que ce titre peut certainement faire basculer ta carrière ?
Oui, un titre national c’est toujours un gros plus sur un CV. Alors, j’espère bien pouvoir signer un contrat professionnel en fin d’année. C'est là mon objectif principal depuis l'hiver passé.

Tu as posé un premier jalon en étant stagiaire au Team Roubaix-Lille Métropole...
Si les dirigeants me proposent un contrat pro, j'en serai ravi. Sinon, je suis ouvert à toutes les autres possibilités.

Revenons sur ton début de stage professionnel. En enchaînant le Tour de l’Ain et le Tour du Limousin, tu ne craignais pas de manquer de fraîcheur sur le Championnat de France Espoirs ?
Il y avait un petit risque. Mais au final, j'avais quand même deux jours de repos avant le Championnat. Mon entraîneur, Jean-Philippe Yon, m’a convaincu qu'il fallait abandonner le Tour du Limousin après la troisième étape. Et puis, j’ai eu sûrement un peu de chance quant au déroulement du Tour de l’Ain. Les deux premiers jours, l’échappée se dessinait dans les premiers kilomètres et l’étape se déroulait au tempo, relativement tranquillement. Les deux dernières étaient plus escarpées, mais vu que je ne suis pas un grimpeur je me retrouvais rapidement dans le gruppetto, finissant la course sans trop taper dedans. Ça m’a permis de faire une semaine de course sans pour autant finir fatigué.

« JE SUIS CAPABLE D’ENCHAINER DE GROSSES CHARGES DE TRAVAIL »

Ta victoire bleu-blanc-rouge montre que tu disposes d'une bonne faculté de récupération ?
En fait, cet enchaînement de courses constituait une sorte de petit test, car je n’avais jamais procédé de la sorte pour préparer un objectif. Je vois qu’en effet, je suis capable d’enchaîner de grosses charges de travail. C’est aussi le résultat d’une grosse confiance en mon entraîneur. Il me connaît depuis tout petit, et me suit depuis très longtemps, même si j'étais auparavant coaché par mon frère (Mickaël).

Tu as changé tout les ans de club depuis ton passage chez les Espoirs. Pourquoi ?
Il s'agit d'un simple concours de circonstances. Lors de ma première année en Espoir, en 2011, j’ai signé chez Véranda Rideau, en seconde catégorie, pour faire mes armes. Et j'ai fini la saison en première catégorie, avec des leaders de luxe tels que Samuel Plouhinec, Freddy Bichot ou Franck Vermeulen. A la fin de l’année, l’équipe a monté sa Continentale et je n’étais pas prêt physiquement ni mentalement à franchir ce cap. J’ai donc naturellement signé dans l’équipe réserve, l'USSA Pavilly Barentin.

Or, tu es resté dans le club normand une seule année...
J’ai compris qu’il me fallait un calendrier plus dense que celui d’un club de DN2 pour progresser. Et puisque l’équipe Continentale de Véranda Rideau s’arrêtait, je n’avais d’autre choix que celui de trouver une DN1. J’ai alors rejoint l’Armée de Terre en 2013, qui est selon moi l’équipe la mieux structurée, celle qui permet aux coureurs de participer aux plus belles courses du calendrier.

Pourquoi as-tu quitté l'Armée ?
La plupart de mes coéquipiers ont une petite attirance pour l'ambiance militaire, la vie à la caserne, tandis qu’en ce qui me concerne, c’est tout le contraire ! J’ai quand même essayé de faire un effort, car nous jouissions d’avantages très confortables en tant que coureurs cyclistes. L’organisation était parfaite. Mais très vite, j’ai compris que je ne m’épanouissais pas dans cette structure, même en course. Je n’avais que très rarement la possibilité de jouer ma carte.

« A L'ARMEE DE TERRE, IL Y A TELLEMENT DE BONNES INDIVIDUALITES QUE JE NE POUVAIS PAS SORTIR DU LOT »

C’est le fait de te mettre au service des autres qui te gênait ?
Absolument pas ! Lorsque l’on est dans une équipe avec des coureurs comme Benoît Sinner, qui a été Champion d’Europe Espoir et a mené une belle carrière chez les professionnels, c’est normal de se mettre a son service régulièrement. Il en va de même avec un Yann Guyot : lorsque l’on regarde la saison qu’il fait cette année encore, c’est impressionnant ! Le problème c’est que je ne pouvais pas exister au sein de ce collectif. Il y a tellement de bonnes individualités que je ne pouvais pas sortir du lot. D’autant plus que je ne recevais pas vraiment beaucoup de conseils. J’observais, je scrutais ce que faisaient mes capitaines de route ou mes leaders, mais il n’y avait pas de gros échanges comme ça pouvait être le cas lorsque j’étais à Véranda Rideau. Ma première année chez les Espoirs a été fondamentale, j’y ai énormément appris.

C’est à dire ?
J’ai été très fier d’être dans la meilleure équipe amateur. Cette année-là, l’équipe avait tout de même remporté près de 80 courses, nous avions le Champion et vice-Champion de France amateur dans nos rangs [Freddy Bichot et Samuel Plouhinec, NDLR.] C’était très fort ! J’étais le petit jeune qui débarquait et j’ai eu la chance de côtoyer une sacrée bande de coursier qui m’ont pris sous leurs ailes. Plus particulièrement Freddy Bichot mais aussi et surtout Franck Vermeulen, que j’ai retrouvé cet été à Roubaix. Je leur dois beaucoup. Par exemple, c’est avec Franck que j’ai appris à faire un tempo pour défendre un maillot de leader, au Tour de Martinique, lorsque Guillaume Malle était en tête du cassement général. Cette année, avec le Team Roubaix, nous devions protéger Jimmy Turgis car il était placé au classement général au Tour du Limousin. Franck passait la journée avec nous deux et nous conseillait l’un et l’autre. Il nous rassurait et nous dictait la marche à suivre. Aussi bien pour celui qui était protégé que pour celui qui devait protéger - moi en l’occurrence. Je suis quelqu’un qui manque beaucoup de confiance en soi. Avoir un gars comme Franck pour me rassurer, c’est essentiel.
Je doute très souvent de mes capacités

« JE DOUTE TRES SOUVENT DE MES CAPACITES »

Comment se traduit ce manque de confiance ?
Je doute très souvent de mes capacités. Quand je vois certains parcours de courses, je me fixe très rapidement des barrières, en me persuadant que c’est trop dur pour moi, que je n’arriverai jamais à suivre les meilleurs. Je n’ose pas trop attaquer de loin ou partir seul non plus, car je me dis que je ne vais jamais arriver à aller au bout.

Avec ta pointe de vitesse, tu n’as pas forcément besoin d’attaquer...
Ce n’est pas faux, mais je préfère quand même une arrivée à 20-30 coureurs plutôt qu’un véritable sprint massif. Je ne sais pas à quoi cela est dû, je pense que je serai capable d’être le plus rapide même lorsqu’il reste 100 coureurs dans le peloton, ce n’est pas la vitesse qui me manque... (Il s’interrompt). Enfin, je ne sais pas  ! Encore une fois, je doute ! (rires) Quoi qu’il en soit, depuis ma chute au Tour de Normandie, en plein sprint massif, j’ai plus de réticence a aller me frotter aux autres sprinters. Au fond, comme je suis un coureur qui passe plutôt bien les bosses, je suis plus dans le registre du puncheur-sprinter que sprinter-puncheur !

Ce manque de confiance en toi, il remonte à quand ?
Depuis tout petit, depuis le début en fait ! Lors de mes premières courses, j’étais nul et je n’arrivais jamais à terminer dans le peloton. J’ai eu une croissance tardive, ce qui a un rôle important dans les catégories d’âge. Je n’ai jamais fait partie des meilleurs de ma génération. Je terminais souvent au fond des classements ! J’arrive certainement un peu plus tard que d’autres à un niveau intéressant. Du coup, je me considère encore aujourd'hui en dessous de ceux qui m’étaient supérieur depuis tout petit.

Professionnel en 1973, ton père a glané 850 succès tout au long de sa carrière. Est-ce que tu nourris aussi un complexe d'infériorité vis-à-vis de lui ?
On m’a toujours comparé ou mis en concurrence, c’est vrai. La question qui revient souvent c’est : « Est-ce que tu gagneras autant de courses que ton père ? » Mais en réalité, je suis très fier de mon papa. Sa carrière est exceptionnelle. Il a encore la passion, c'est impressionnant ! Dernièrement, il devait rouler une heure mais il pleuvait des sacs d’eau. Si j'avais eu 65 ans, comme lui, je pense que je n’aurais pas sorti le vélo. Malgré tout, il est parti s’entraîner. Ça force le respect et l’admiration.

« LA PLUPART DU TEMPS, JE ROULE SEUL ET A LA SENSATION »

Il t’arrive d’aller t’entraîner avec lui ?
Quelquefois, mais pas souvent. La plupart du temps, je roule seul et à la sensation. Il n’y a que lorsque je fais des intensités que je m’entraîne avec un cardio, pour envoyer mes données à mon entraîneur. Mais je m’amuse davantage lors de la sortie du mercredi ! Autour d’Argentan, où je vis, nous sommes plusieurs cyclistes à nous rejoindre, de tous les niveaux, des jeunes et des moins jeunes. Le temps passe plus vite de cette façon et c’est une « sortie plaisir» !

Tu es donc un adepte du vélo à l’ancienne ?
Complètement ! J’ai été bercé dans cette culture-là alors forcément je ne pouvais pas aimer le vélo autrement. Toutefois, je ne suis pas contre toutes les nouvelles méthodes d’entraînements. C’est juste que je ne m’y intéresse pas ! Je ne saurai même pas dire ce que représente tel ou tel seuil ni même les valeurs que je peux développer. Si un jour je dois m’entraîner avec un capteur de puissance ou autre appareil, je ne serai pas contre. Mais pour le moment, je n’en vois tout simplement pas l’utilité. Jean-Philippe m’entraîne très bien sans tout ça !

On sent une véritable reconnaissance vis-à-vis de lui.
Complètement. Jean-Philippe est un directeur sportif très proche de ses coureurs et surtout totalement dévoué pour nous. Il a fait le forcing pour que je vienne le rejoindre à Rouen et m’a fait entièrement confiance en me désignant leader de l’équipe la plupart du temps. Le VC Rouen n’est pas l’équipe réserve d’une équipe professionnelle, mais pourtant, le club fait passer tous les ans un coureur dans les rangs pros : Patoux, Kowalski, Jakin, Lemair… L’idéal, c'est que je puisse les imiter un jour.

Crédit Photo : Nicolas Mabyle - www.directvelo.com
 

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