Tour de l'Avenir : « Les secrets de la victoire » des Danois

Que se cache-t-il derrière la domination des Danois sur le Tour de l'Avenir ? Cette année, on ne voit que les maillots rouges et blancs : Soren Kragh Andersen remporte le prologue technique samedi puis une étape en réglant ses compagnons d'échappée mardi, Mads Pedersen s'impose lundi également dans une échappée... La plus mauvaise performance de l'équipe est une deuxième, dimanche, avec Mads Würtz Schmidt, parti peut-être trop tard en contre-attaque. Au-delà du Tour de l'Avenir, pourquoi ce pays scandinave est-il aussi efficace chez les Juniors ou les Espoirs ces dernières années ? DirectVelo.com a recueilli les confidences de l'entraîneur national, Morten Bennekou.
 
DirectVelo.com : Trois victoires en quatre jours... Franchement, quel est votre secret ?
Morten Bennekou : Nous en avons deux : une équipe forte et une façon de prendre chaque étape comme une course d'un jour. Chacun de nos coureurs possède sa chance de gagner.
 
Bon, commençons par le secret n°2 : pourquoi ne pas désigner un leader précis ?
Parce que nous multiplions nos chances. Par le passé, nous comptions parfois sur un ou deux coureurs en particulier. Cette année, nous disposons d'un groupe homogène et très fort. Nous discutons beaucoup en cours de route : les gars descendent à ma voiture, me disent comment ils se sentent, ce qu'ils ont envie de faire, comment ils voient leurs adversaires... Il n'y a pas de tactique définie avant le départ, nous nous adaptons à chaque situation. Sur la 3e étape, nous avions décidé de relancer une attaque une fois que les trois échappés (les Colombiens Fernando Gaviria et Aldemar, le Polonais Patryk Stosz, NDLR) seraient rattrapés (Voir ici). Les Suisses menaient le peloton pour défendre le maillot jaune : ils ne pouvaient pas tenir jusqu'au bout et, forcément, ils allaient finir par laisser filer quelques coureurs peu dangereux pour le classement général. C'est ce qui s'est passé. Nous avons attaqué à tour de rôle. Cette tactique brouille les pistes. Si nous avions une carte visible, les autres équipes passeraient leurs temps à la surveiller.
 
« CETTE GENERATION EST EXCEPTIONNELLE »
 
Encore faut-il un effectif assez solide pour lancer une série d'offensives. On en revient à votre premier « secret » : « une équipe forte ».
Oui, nous avons quatre coureurs capables de gagner une étape sur le Tour de l'Avenir. Nous visions deux places sur le podium. Avec trois victoires, nous sommes au-delà de nos attentes.
 
Est-ce qu'on assiste cette semaine à l'éclosion chez les Espoirs d'une génération exceptionnelle, entrevue chez les Juniors, quand Mads Würtz Schmidt et Mads Pedersen remportaient chacun Paris-Roubaix (en 2012 et 2013) ?
Oui, cette génération est exceptionnelle, si on en juge par ce qu'elle fait au Tour de l'Avenir (sourire). Elle arrive à point. Elle se connaît bien, depuis plusieurs années, et elle possède donc des automatismes collectifs. Cette saison, nous avons clairement beaucoup de bons coureurs. L'an prochain, ce sera peut-être différent, qui sait ? Certains vont quitter la catégorie Espoirs, d'autres vont passer dans le WorldTour, et ils quitteront l'Equipe nationale dans tous les cas. La génération dont on parle présente un gros potentiel. Nous le savons depuis au moins cinq ou six ans.
 
Comment assurez-vous le suivi de vos coureurs ?
Je suis en charge des Espoirs et des Juniors, mais je délègue la gestion du groupe Juniors pour me concentrer sur les 19-22 ans. Je supervise quand même l'ensemble des deux catégories, ce qui me donne une visibilité d'au moins cinq ans pour chaque coureur. La fédération est en contact avec leurs équipes, notamment Continentales, pour concevoir le meilleur calendrier de compétition, d'entraînement, de récupération... Nous avons peu de jours de course prévus en Equipe nationale, parce que nous manquons de moyens. 
 
« LES COUREURS VOIENT UN PSY UNE FOIS PAR MOIS »
 
Comment garder un œil sur ces jeunes si vous ne multipliez pas les déplacements ?
Nous considérons le coureur dans son ensemble et nous nous impliquons dans toutes les étapes de son processus de formation. Par exemple, j'entraîne personnellement la moitié du groupe présent sur le Tour de l'Avenir, et je suis en lien étroit avec les coachs des trois autres coureurs. Et nous travaillons beaucoup l'approche psychologique.
 
La psychologie ?
La fédération emploie un professeur qui voit les coureurs une fois par mois, les appelle au téléphone, etc. Il les aide à se sentir mieux pendant la course, pour ce qui concerne les points tactiques notamment, mais aussi pour tout le reste, pour leur vie quotidienne. Nous connaissons de grands talents qui perdent leur motivation et raccrochent. Alors, nous faisons tout pour éviter ce scénario. Je discute aussi fréquemment avec les coureurs. Notre objectif est de les faire progresser dans de bonnes conditions, pas seulement de les faire passer pro.
 
Donc, vous prenez votre temps ?
Nous prenons le temps qu'il faut pour chacun. Nous « lâchons » nos gars quand ils sont prêts. Jamais au bout d'un an. Deux, c'est le minimum, quatre l'idéal. Ils ont alors 22 ans et sont assez solides physiquement et mentalement pour évoluer au plus haut niveau. Par exemple, je peux vous dire que Soren Kragh (vainqueur du prologue et de la 3e étape du Tour de l'Avenir) est prêt pour le niveau supérieur.
 
« NE PAS OUBLIER LE PASSE, MAIS PRIORITE A L'AVENIR »
 
La plupart de vos protégés sont des rouleurs ou des sprinters. Voudriez-vous produire quelques grimpeurs dans le futur ?
Difficile... Le point culminant du Danemark s'élève à 150 m au-dessus du niveau de la mer. Le gabarit de nos gars actuellement est assez solide. Je pense que ça donnera de très bons coureurs de classiques. Peut-être aussi des protagonistes pour les épreuves par étapes de quatre à six jours, avec un prologue et des bosses de 5 km. Nous sommes allés à la Ronde de l'Isard l'an passé pour tester nos meilleurs grimpeurs. Ils sont loin du compte. Alors nous mettons l'accent sur les meilleurs profils que nous avons en ce moment.
 
Avez-vous un large réservoir de coureurs ?
200 chez les Juniors, environ 90 chez les Espoirs. C'est moins qu'en France,en Belgique, en Italie, en Espagne... C'est plus que dans d'autres nations. Nous sommes dans une tranche intermédiaire. Mais il vaut mieux parfois travailler avec un nombre plus restreint d'athlètes : le suivi est de meilleure qualité !
 
De Bjarne Riis à Michael Rasmussen, le cyclisme danois a été secoué par plusieurs scandales de dopage, très médiatisés et politisés dans un pays adepte de transparence... Votre relation très précise et très individualisée avec les coureurs correspond-elle à une volonté de faire un vélo plus « propre » ?
Mais la fédération danoise a toujours été propre ! Il y a eu, par contre, des dérives regrettables. Aujourd'hui, nous sommes concentrés sur le travail, le travail, le travail... La remise en question. Et l'avenir ! Je le dis aussi à mes coureurs pour les aider à avancer, surtout quand ils viennent de gagner une course : il ne faut pas oublier ce qui a été fait, mais il ne faut pas trop y penser non plus. L'important, c'est ce qu'on fera de bien demain. Je crois en l'avenir.

Crédit photo : Pierre Carrey - www.directvelo.com
 

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