La Grande Interview : Adrien Costa

Crédit photo Freddy Guérin - DirectVelo.com

Crédit photo Freddy Guérin - DirectVelo.com

Pour la première fois, Adrien Costa se livre. Le coureur américain, né de parents français, est à 18 ans la grande attraction de la saison, vainqueur du Tour de Bretagne et 3e du Rhône-Alpes Isère Tour. Mais que sait-on de lui officiellement ? Jusqu'à aujourd'hui, rien. Sur les compétitions, le grimpeur-rouleur semble déjà très professionnel, rationalisant ses gestes et rationnant son temps, ce qui ne l'empêche pas de discuter ci et là et de claquer la bise à des enfants qui sont déjà devenus fans de lui (à l'arrivée finale du Rhône-Alpes Isère Tour). Costa en 2016 : des prouesses sur tous les terrains – il veut maintenant découvrir les pavés de Paris-Roubaix Espoirs –, de l'énergie par quintaux, de la « sérénité », son point fort selon lui, du panache ou un certain charisme... Et même une polémique surréaliste sur l'utilisation d'un vélo à moteur à laquelle il répond pour la première fois. N'en jetez plus ! Léger accent de Californie, Adrien Costa détaille son parcours à DirectVelo, dans un français parfait, tournures familières en prime (il a des « ben ouais », « ch'sais pas » !). Il parle aussi d'où il va : sans doute une année supplémentaire chez les Espoirs en 2017, alors qu'Axeon Cycling Team, l'équipe dirigée par Axel Merckx, vient à peine de l'intégrer à son effectif Continental. Car le jeune coureur sait qu'il doit se « donner le temps ».

DirectVelo : Avec ce début de saison tonitruant, tu es au centre de toutes les attentions et, déjà, on a appris que de nombreuses équipes professionnelles, françaises et étrangères, voudraient te recruter. Est-ce que tu ressens une grosse pression en ce moment ?
Adrien Costa : La pression que je ressens, c'est celle que je me mets moi-même pour être toujours plus performant. Je cours toujours pour faire de mon mieux, pas pour faire plaisir aux autres ou justifier une quelconque réputation. D'ailleurs, je ne regarde pas trop ce qui se dit ou ce qui s'écrit. Je suis un homme de plein air...

Vraiment ?
Mais oui  ! Mon truc, c'est de passer du temps dehors, seul ou avec des amis, c'est de me relaxer. Je fais du ski, de la randonnée et, depuis peu, je pêche dans ces grands lacs qu'on trouve par chez-moi, en Oregon. Et si je ne suis pas dehors, je peux volontiers passer du temps à la maison en train de jouer à la guitare.
 
« JE REVAIS DU TOUR DE FRANCE »
 
Tu t'es mis au vélo pour prendre un bol d'air frais ?
Bon, je vous raconte l'histoire. Chaque fois que je rentrais en France, en vacances chez les grands-parents, je regardais le Tour à la télé. Depuis tout petit, je suis un passionné de cyclisme. Aux « US », le vélo n'est rien, ce n'est même pas un sport, tout juste un moyen de transport. Alors je jouais au foot. A l'âge de douze ans, je me suis cassé le bras lors d'une sortie en VTT. L'équipe ne faisait plus trop appel à moi, je commençais à m'ennuyer. Il était temps de commencer le vélo pour de bon. Si aux US ce sport est très marginal, il est davantage développé en Californie, et surtout dans la région où j'ai grandi, la Silicon Valley. Là-bas, plein de monde roulait. Il y avait aussi une piste à une demi-heure de la maison, à San Jose. Ce qui m'a permis de rencontrer des entraîneurs, des gamins de mon âge, bref de rentrer dans le monde du cyclisme.

Et tu retrouves très vite parmi les meilleurs coureurs américains ?
Dès ma première saison, je dispute les Championnats nationaux. Nous étions seulement quarante dans le peloton. Rien à voir avec une course en France, où tu dois d'abord te qualifier au niveau régional. Aux US, tout le monde peut participer aux Championnats nationaux. Et je me suis fait assez vite repérer. Chez les Juniors, les choses se sont encore accéléré dès ma première saison, en 2014 [il remporte en mai le Tour du Pays de Vaud, avant de terminer 2e du Championnat du Monde du montre-la-montre.].

Après cette éducation américaine, envisages-tu de changer de passeport ? L'an passé, l'Equipe de France Espoirs rêvait de te voir naturalisé pour avoir « enfin un très bon coureur de contre-la-montre »  ! C'était avant que Rémi Cavagna prenne du galon dans la discipline et gagne par exemple le Tour de Berlin... Mais l'idée titillait les entraîneurs de l'Hexagone. Et toi ?
Je crains de ne pas pouvoir accepter, parce que je ne suis pas un pur rouleur de chrono ! [rires] Et, plus sérieusement, je suis bien avec l'équipe nationale des Etats-Unis, je dispose d'un bon programme, j'ai mes repères... Pourquoi changer ? On court principalement les Championnats du Monde et les Jeux olympiques avec une équipe nationale. Et je devrais changer de nationalité pour seulement deux rendez-vous dans l'année ?

« JE ME SENS A L'AISE DANS TOUS LES PAYS »
 
Sur le papier, la conversion aurait été facilitée par ta double culture.
C'est vrai, j'ai grandi aux Etats-Unis de parents français, qui ont déménagé il y a vingt ou vingt-cinq ans pour travailler dans la Silicon Valley. J'ai deux cultures et deux langues. J'ai fait ma maternelle en français, mais je parle beaucoup plus anglais ces temps-ci, alors j'ai un peu perdu, non ? [Non, NDLR]. Ma famille est originaire de Fontainebleau, près de Paris. Je vais souvent en vacances dans le pays. Bref, je suis Américain aux Etats-Unis, Français en France. Je me sens à l'aise partout !
 
Tu aimes voyager ?
J'en suis fou ! Actuellement, je passe par correspondance un diplôme en « tourisme et commerce international ». Je rêve d'avoir un jour ma société pour cyclotouristes. Je me régale dans tous les voyages que je fais, peut-être encore plus que la moyenne des coureurs. J'ai passé trois mois à Nice en début de saison et j'ai adoré monter les petits cols de rêve dans l'arrière-pays. Même bonheur quand je suis allé avec ma famille en vacances dans les Pyrénées en 2012, à Nice en 2013, dans les Alpes en 2014. C'était un moment avec mes parents, que je couplais avec des sorties vélo et puis le passage du Tour de France. De super moments ! J'ai bien voyagé en France et je ne m'en lasse pas. La semaine passée, au Rhône-Alpes Isère Tour, j'ai beaucoup aimé les petits cols dans la région autour de Lyon. Les paysages ne sont pas là pour me distraire, ils sont une source d'inspiration et ils renforcent toujours plus ma passion pour ce sport.
 
 
« EN 2017, JE PEUX PRENDRE MON TEMPS »
 
Quel pays voudrais-tu visiter prochainement ?
Pour m'entraîner ou pour m'installer et y vivre ?
 
Pour explorer ?
Je voudrais bien essayer l'Autriche. Je connais déjà les Alpes et les Pyrénées – que je préfère, d'ailleurs, car elle sont plus tranquilles. Alors, l'Autriche, ça pourrait être sympa.

Et, donc, si tu pouvais choisir, où habiterais-tu ?
En France, certainement, car j'aime le pays et j'ai une facilité avec la langue. Nice, ça m'a bien plu, même si les loyers sont un peu chers pour quelqu'un de mon âge. Mais, voilà, je voudrais bien poser mes valises dans un chouette endroit entre les courses, plutôt que d'être constamment en transit.

Ça y est ! Nous en arrivons à la question de 2017. Souhaites-tu rejoindre une équipe WorldTour dès l'an prochain ?
Toutes les options sont possibles. J'ai déjà pas mal de contacts. Mais j'ai la chance de travailler avec un manager depuis 2014. Je vous ai dit que j'étais relax. C'est justement parce que je sais qu'il y a de grandes chances que je passe pro. Cette quasi certitude m'aide à me concentrer sur les courses à venir. Je peux prendre mon temps. Est-ce que 2017 est la meilleure année pour rejoindre une grosse équipe ? Tout dépend... Mais, a priori, je dirais qu'il me faut rester une année de plus chez les Espoirs, pour continuer à apprendre.

« EN MONTAGNE, ON PARTAIT A L'AVENTURE »
 
Tu pourrais par exemple travailler tes aptitudes dans la montagne ?
Je dois travailler dans tous les domaines. Cette année, je me suis aligné sur le ZLM Tour, aux Pays-Bas, avec des bordures dans tous les sens. Le type de course qui te forme, même si tu n'aimes pas l'exercice. De la même manière, je vais sans doute disputer Paris-Roubaix Espoirs. Je suis a priori un coureur de courses à étapes, parce que j'ai un bon contre-la-montre et quelques qualités de grimpeur, comme je l'ai déjà montré chez les Juniors. Mais il faut avant tout que je devienne un coureur complet.

Pour en revenir à la montagne ?
C'est vrai, je suis inspiré par l'immensité de la nature. Rien n'est plus beau que passer en vélo à travers des cols avec un décor de cimes enneigées. J'ai besoin de me sentir seul. C'est l'image de l'homme seul dans la nature... D'autres fois, je m'amuse avec les copains dans la Silicon Valley. On peut faire facilement 4000 mètres de dénivelée. On part le matin et c'est l'aventure. On ne sait pas où on va, on prend des routes au hasard, on grimpe, jusqu'à se retrouver parfois sur des chemins de terre. Après ma carrière cycliste, j'espère recommencer ces aventures ! En tout cas, c'est comme ça que j'idéalise la montagne.
 
Est-ce que tu t'ennuies sur les compétitions cyclistes, qui sont beaucoup plus codifiées que tes petites escapades ?
Non, c'est autre chose. J'aime les deux aspects du cyclisme. D'un côté la beauté des paysages, l'histoire du sport. De l'autre, la science. Je ne suis pas du genre à regarder combien je fais de watts : j'envoie mes données à un entraîneur et il travaille dessus. Pendant ce temps, je n'ai plus qu'à rouler. Toujours sans stress, en savourant le moment présent. Les deux aspects sont indispensables et indissociables. Dans tous les cas, tu as les outils nécessaire pour repousser tes limites. Tu as la possibilité de grandir non seulement en tant que coureur mais en tant qu'homme. Que ce soit avec ta relation aux paysages ou avec les watts, tu apprends beaucoup de toi-même, des choses que tu garderas pour tout le restant de ta vie.
 
« MA SERENITE M'AIDE DANS CE QUE JE FAIS »
 
Tu as peur d'être marqué dans tes prochaines courses ?
Peur ? Non. C'est un nouveau défi à réussir. A l'avenir, il va falloir que j'utilise davantage ma tête en course, car on ne me laissera plus partir facilement.
 
Pourquoi éclates-tu dès tes premiers mois dans la catégorie Espoirs ?
J'ai participé à un camp d'entraînement avec Etixx-Quick Step en décembre puis j'ai fait une belle coupure pour passer Noël et le Premier de l'An en famille. Je suis arrivé très frais mentalement. Je ne dis pas que je ne me suis pas beaucoup entraîné, parce que je me donne toujours à 100%, mais ma sérénité m'aide certainement dans ce que je fais.

Au Tour de Bretagne, c'est donc ton état d'esprit qui a fait la différence, quand tu remportes l'étape-reine et le classement général ?
J'avais cette étape-reine dans la tête. J'aurais pu avoir peur  : jamais je n'avais dépassé les 150 km en course, alors, frôler les 200 km... Il y avait de quoi s'inquiéter. De même, je ne m'attendais pas à gagner. Il n'y avait aucune pression négative au départ. Alors je suis parti à l'attaque...
 
« LE VELO M'A DONNE UNE PERSPECTIVE DE VIE »



Tu ne t'es pas encore exprimé publiquement sur la controverse du vélo à moteur. Une vidéo circulant sur les réseaux sociaux montre ta roue arrière tourner quand ton vélo est à l'arrêt et, soudain, tu es au centre d'une suspicion. Cette histoire a-t-elle gâché ta victoire ?
C'est agaçant. Je pose mon vélo au sol après l'arrivée, la pédale touche le sol, la roue se met à tourner : quelque chose de normal se produit mais certaines personnes y ont vu autre chose. Nous avions convenu, avec mon agent et avec le directeur de mon équipe, de ne pas réagir. Je ne sais pas si c'était la meilleure attitude, mais c'est celle que nous avons adoptée. Il n'était pas question de répondre à des sites internet ou à des médias qui attaquent un jeune coureur de mon âge et qui « sensationnalisent » tout et n'importe quoi. Sur le moment, je n'ai rien vu, ce sont des amis qui m'ont alerté. J'avais du mal à y croire : comment peut-on raconter des bêtises pareilles ? L'énervement m'a passé. Mais j'avais quand même très envie de gagner une étape du Rhône-Alpes Isère Tour pour pouvoir dire : « mon vrai moteur se trouve dans les jambes » !

Tu sembles très philosophe pour ton âge ?
[Il réfléchit trente secondes à la réponse.] Le vélo m'a donné une perspective de vie. Par exemple, je sais que la souffrance n'est pas un état de fait mais seulement une perception. Chaque être humain peut corriger cette perception, la dominer, et la vaincre. Nous faisons face à de nombreux problèmes. Le vélo t'apprend à les résoudre. Et puis nous avons tous des objectifs à atteindre. Si tu consacres assez de temps et d'énergie, tu peux y arriver.

Crédit photo : Philippe Pradier

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