" Laissons Adrien Costa un peu tranquille ! "

Crédit photo Zoé Soullard - DirectVelo

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Annoncé avec tambours et trompettes dans le peloton Espoirs, courtisé par toutes les équipes pro de la planète pour 2018 (il veut rester amateur un an de plus), comparé aux plus grands... Adrien Costa, l'Américain d'à peine 19 ans, tranche par son caractère très calme avec les éloges et les attentes qu'il déchaîne. Alors qu'il est en lice pour remporter le Tour de l'Avenir sur la dernière étape, ce samedi, son directeur sportif Mike Sayers, à la tête de l'Equipe des Etats-Unis Espoirs, apporte son éclairage sur le « phénomène Costa ».

DirectVelo : Au départ de la dernière étape, Adrien Costa est 3e du classement général, à 1'21'' de David Gaudu (lire ici). Selon vous, peut-il encore retourne la situation ?
Mike Sayers : Tout est possible. La dernière étape est très exigeante. Sur les précédents éditions, on a assisté à beaucoup d'attaques et de défaillances le dernier jour. Adrien peut boucher l'écart. Mais il y a d'autres gars très forts. Gaudu est très solide, il court bien, il est devant son public. Les Colombiens seront motivés. Et nous, nous aurons une équipe qui se donnera à 110 % pour n'avoir aucun regret à la fin de la journée.

Si Costa ne remporte pas le Tour de l'Avenir, est-ce un échec pour lui et pour votre équipe ?
Absolument pas. Nous étions venus pour remporter une étape : c'est fait depuis le contre-la-montre [Costa s'est imposé mardi à Lugny, NDLR]. Nous souhaitions aussi placer un coureur dans le top 5, qu ce soit Adrien, Neilson Powless ou un autre : a priori, on devrait y arriver. Pour nous, le Tour de l'Avenir est déjà gagné.

« ADRIEN A MONTRE PLUS DE FORCES QUE DE FAIBLESSES »

A propos, certaines équipes participantes veulent la victoire sinon rien. D'autres considèrent le Tour de l'Avenir comme une étape dans la formation des jeunes coureurs. Et vous, quelle approche avez-vous de la course ?
Que ce soit comme coureur ou directeur sportif, je n'ai jamais pris le départ d'une course avec une autre ambition que la victoire. Sur le Tour de l'Avenir, nous avons un plan à exécuter et nous nous y tenons. Si nous sommes battus par plus forts que nous, nous l'accepterons. Mais nous sommes aussi là pour apprendre, pour donner la chance à des jeunes de s'exprimer physiquement et émotionnellement. Par exemple, Sepp Kuss n'avait pas beaucoup de références sur les courses européennes et c'est justement pour cette raison que je l'ai sélectionné. Le vélo ne se résume pas à une question de victoire.

On a vu Costa accuser le coup dans le final des ascensions, vers Tignes jeudi, vers Valmeinier samedi. Comment expliquez-vous qu'il coince un peu ?
Il y a beaucoup de variables dans une course cycliste. Adrien est jeune, il a déjà disputé une longue saison, il sort d'un Tour de l'Utah où on ne l'attendait pas aussi haut [2e du classement général]. Il est clairement offensif en course. Au bout d'un moment, tous ces efforts se paient. Il lui manque peut-être 2 ou 3% pour être à son maximum. Mais il a quand même montré plus de forces que de faiblesses jusqu'à présent. Sur le Tour de l'Avenir, il y a 140 coureurs qui ont coincé bien avant lui dans la montagne...

Vous avez senti qu'il portait la pression du favori sur ses épaules ?
Oui, nous l'avons tous senti. Adrien, pour beaucoup, était l'homme à battre. On se prend tous au jeu, on a tous envie de bien faire. Bien sûr qu'on aimerait qu'il gagne. Au Tour de Bretagne, il avait le maillot de leader le matin de la dernière étape. J'ai dû prendre sur moi pour éviter de penser à la victoire de façon obsessionnelle. Qu'il gagne ou qu'il perde, Adrien aurait laissé une trace sur la course. Nous sommes exactement dans la même situation sur le Tour de l'Avenir : qu'il prenne le maillot jaune ou pas, il aura tout donné.

« ADRIEN COURT AU JOUR LE JOUR »

Pour s'enlever de la pression, il faut donc relativiser ?
C'est ça. Mais l'exercice est très difficile pour des compétiteurs. Pourtant, on doit vraiment être au clair avec ça. Dans sa vie, Adrien disputera peut-être 1000 ou 1200 courses. Il en gagnera certaines, il en perdra beaucoup d'autres. Le Tour de l'Avenir est une course importante mais il ne s'agit « que » d'une course. Essayons de savourer l'instant présent. Je dis à mes coureurs de bien profiter quand il « gagne » au sens large (il remporte une étape ou un classement général, il fait une échappée, bref il signe une performance...). Les athlètes sont d'éternels insatisfaits et ils pensent toujours au jour d'après. Mais non, concentrons-nous sur le présent ! On sait que les cyclistes sont exposés à des accidents. On peut gagner un jour et être fauché le lendemain. Adrien est dans le même état d'esprit. Il était heureux de sa victoire après le chrono. Il court au jour le jour, et chaque jour comme si c'était son dernier sur un vélo... C'est cet état d'esprit qui le rend si fort.

Vous approuvez son choix de rester une saison de plus chez les Espoirs en 2017 (lire ici) ?
Oui, complètement. Si vous voulez mon avis – mais ce n'est que mon avis –, un coureur devrait passer quatre ans chez les Espoirs avant de rejoindre une équipe WorldTour. Je ne dis pas ça pour les garder le plus longtemps possible avec moi, mais parce que le WorldTour est incroyablement exigeant. Une équipe pro investit beaucoup d'argent sur les coureurs, elle a un projet dicté par ses sponsors. Une fédération nationale est non-partisane, elle peut donner aux coureurs le temps de progresser dans un environnement où ils se sentent à l'aise. Adrien pourra combiner son programme entre la sélection nationale et l'équipe Continentale Axeon Cycling Team.

« LES COMPARAISONS SONT DANGEREUSES »

Que manque-t-il encore à Costa pour rejoindre le WorldTour ?
[Il réfléchit]. De l'expérience. Tu peux avoir tout le talent du monde, mais si tu n'as pas d'expériences, tu ne vas pas loin. En ce moment, Adrien se bat pour un maillot jaune face à de super grimpeurs à travers les cols des Alpes. Ça lui servira pour la suite...

Il y a un engouement très fort des passionnés sur les forums ou les réseaux sociaux. Pour résumer les débats ambiants, Adrien Costa est-le plus grand talent américain depuis vingt ans ? Et, pour aller jusqu'au bout, peut-il gagner le Tour de France un jour ?
Bonnes questions ! Est-ce qu'il possède un talent immense ? Est-ce qu'il est capable de gagner de très belles courses ? Clairement, oui. Mais ce serait irresponsable de ma part de lui coller une étiquette. Laissons-le un peu tranquille ! On a eu Greg LeMond, on a eu Lance Armstrong (quoi que vous en pensiez, quoi qu'il ait fait das sa carrière, il avait du talent). On a eu Taylor Phinney aussi, et quelques autres. Quelle est la place de Costa par-rapport à tous ces coureurs ? Les comparaisons sont toujours dangereuses. Adrien Costa n'est pas le nouveau Untel. Il est Adrien Costa. Et on verra dans quelques années ce que ça signifie vraiment.

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