La Grande Interview : Mickaël Guichard
Dans le peloton Elites français, Mickaël Guichard n’est pas vraiment un athlète comme les autres. Étranger au milieu du vélo dans sa jeunesse, le coureur du Team Pro Immo-Nicolas Roux n’a commencé la compétition qu’à 19 ans, en partant de zéro. “Je ne connaissais absolument rien du monde du cyclisme. Je n’avais même jamais regardé une course à la télé étant jeune”. Six ans plus tard, la vie du Corrézien n’a pas énormément évolué. Il réside toujours dans le domicile parental, à Saint-Rémy, une toute petite commune de 200 âmes, quinze kilomètres au Nord d’Ussel, où il exerce le métier d’opticien depuis un peu plus de deux ans. “Je n’habite même pas au village. Je suis en pleine campagne. Il y a juste une ferme en face de chez moi”, sourit-il. Sur le vélo en revanche, le garçon a désormais fait ses gammes. Ses handicaps des débuts, il en a depuis fait des forces. A tel point que, sans vraiment l’avoir cherché, ce descendeur hors pair se porte désormais candidat à un passage dans les rangs professionnels.
DirectVelo : Tu as 24 ans mais tu es finalement assez nouveau dans le monde du cyclisme !
Mickaël Guichard : J’ai commencé à 19 ans, très tard. Puis c’est allé assez vite par la suite. J’ai pris la première saison comme de l’apprentissage mais je suis très vite passé de l’UFOLEP à la 1ère catégorie. J’ai appris le métier avec le Comité du Limousin, notamment. C’est là que j’ai rencontré François Trarieux, qui est aujourd’hui encore mon entraîneur. J’ai beaucoup évolué avec lui. On débriefait les courses ensemble. Il m’expliquait toutes les erreurs que je commettais et comment les corriger. Et au début, il y avait du boulot.
Car tu ne savais absolument rien des courses cyclistes ?
Rien du tout ! Moi, depuis petit, j’étais attiré par d’autres disciplines. J’ai fait de la moto, notamment de l’enduro, et du ski alpin. J’ai d’ailleurs obtenu mon brevet fédéral et je peux encadrer des jeunes à la montagne.
« J’AI VITE ÉTÉ À L’AISE »
On pense très vite à des points communs entre la moto, le ski et le cyclisme : l’adrénaline, la vitesse, le travail des trajectoires…
J’ai toujours été passionné par les deux roues et même si je ne suis pas du tout issu d’une famille de cyclistes, ça semblait presque écrit que je m’y essaie un jour. Pendant un an, j’ai participé à quelques courses d’enduro mais en moto, c’était beaucoup plus difficile qu’en vélo.
Qu’est-ce qui était plus difficile ?
De trouver où courir. La moto, ce n’est pas tous les jours… En cyclisme, tu te poses beaucoup moins la question : si tu le souhaites, tu peux vraiment courir tous les week-ends. Pour ma première année sur le vélo, j’alliais les deux : moto et vélo. Puis j’ai complètement basculé sur le cyclisme par la suite.
Aujourd’hui, tu es réputé comme l’un des meilleurs descendeurs du peloton amateur. Et certains disent de toi que tu serais certainement l’un des plus impressionnants au sein du peloton professionnel également. Ces qualités te viennent donc de la moto et du ski alpin ?
Complètement ! Grâce à la moto, j’avais déjà plusieurs notions importantes pour être à l’aise sur un vélo. Je savais déjà frotter et jouer des coudes avec mes adversaires. En ce qui concerne la prise de trajectoires, j’adore ! Je fais aussi un peu de voiture de sport. Je roule sur des circuits une ou deux fois par an. Je suis un grand passionné de tout ce qui est vitesse. Je tourne pas mal au simulateur, j’en ai un chez moi d’ailleurs, et je m’éclate ! Autant dire que j’ai vite été à l’aise sur le vélo.
« PAS VRAIMENT LA NOTION DE DANGER »
Dans une descente de col, tu dois te régaler !
Oui car c’est vraiment quelque chose de naturel pour moi. Quand je descends fort, je n’ai pas l’impression de prendre beaucoup de risques. Le seul truc qui peut te faire peur dans une descente, c’est bien évidemment la chute. Cela peut arriver à tout le monde. Par chance, je ne tombe pratiquement jamais et si je chute un jour et que j’arrive à comprendre pourquoi et comment je suis tombé, je suis persuadé que le lendemain, je repartirai à fond dans la même descente. J’ai confiance en moi.
Sur la Ronde de l’Isard 2014, tu avais impressionné tout le monde dans la descente d’un col…
Sans exagérer, j’avais bouché 1’30” et j’étais rentré sur le groupe de devant comme ça. Je m’étais bien employé mais c’était énormément de plaisir ! Je me suis vite rendu compte que c’était un gros avantage sur les courses. Ca m’a sauvé plus d’une fois. Bien savoir virer, prendre les bonnes trajectoires, ça ne te coûte pas grand-chose en terme d’énergie mais ça te fait gagner du temps. Ca peut t’aider à rentrer sur un groupe duquel tu avais été lâché dans une montée, ou ça peut t’aider à faire le saut entre deux groupes et à te retrouver à l’avant, tout simplement.
Beaucoup de proches de coureurs ne supportent pas de regarder les descentes de cols sur les courses cyclistes. En descendant aussi vite, tu dois terrifier ta famille !
(Rires). Mon père a le coeur solide. Il aime aussi la vitesse donc ça va. D’ailleurs, c’est lui qui m’avait emmené vers les sports automobiles. Pour le reste de ma famille, je pense que ce n’est pas un gros soucis car comme je prends des trajectoires propres et limpides, tu n’as pas vraiment la notion de danger. C’est même plutôt rassurant, normalement.
« IL M’AVAIT EXPLIQUÉ QU’IL ÉTAIT CHAMPION DU MONDE... »
Ta science de la course, en revanche, est beaucoup moins évidente que tes qualités de descendeur…
(Sourires). Je progresse quand même, mais je pars de très loin. De zéro, en fait. Les premières années, c’était la cata au niveau tactique et je sais que j’ai perdu des courses comme ça. Je me souviens notamment d’un Grand Prix des Foires d’Orval, en 2012 (voir classement). Dans le dernier tour de circuit, je fais la jonction avec le groupe de tête. Je rentre sur Kévin Pigaglio et Quentin Bernier qui étaient en tête. J’arrive lancé, à 50 km/h. J’aurais dû en profiter pour passer en injection. D’ailleurs, eux-mêmes m’ont avoué après la course qu’ils étaient cuits et qu’ils ne pouvaient pas prendre ma roue. Mais comme un idiot, je mets un gros coup de frein pour me poser dans leurs roues, en passant de 50 à 40 km/h. Et je suis battu au sprint juste après.
Quand tu es arrivé dans le peloton, tu ne connaissais pas non plus le moindre coureur ?
C’est venu petit à petit mais au début, c’était plutôt drôle… Sur le Tour de l’Eure-et-Loir, je me souviens que François (Trarieux) m’avait dit dans le final de me mettre dans la roue d’un coureur du Vendée U : Pierre-Henri Lecuisinier, en me donnant son numéro de dossard. Il m’avait dit : “c’est celui avec les gros mollets”. Mais bon, au Vendée U, j’avais l’impression que tous les coureurs avaient de gros mollets (rires). Après l’arrivée, il m’avait expliqué qu’il était Champion du Monde mais moi, ça ne me parlait pas du tout.
L’avantage, c’est que tu ne pouvais pas être impressionné par qui que ce soit ?
Exactement mais j’étais quand même impressionné par d’autres choses : les voitures, les camions, toutes les infrastructures autour des équipes. Tout ça m’avait beaucoup marqué au début. Je pense aussi aux maillots de certaines équipes comme la Lotto. J’avais vu ces maillots peu de temps avant chez moi, à la télé, et ça me parlait quand même !
« C'ÉTAIT L’APPRENTISSAGE »
Pour la nourriture également, il parait que tu n’étais pas vraiment “dans le moule” les premières années…
Je faisais n’importe quoi. Sur le Tour d’Eure-et-Loir, déjà, je me souviens qu’à un repas je me suis levé pour reprendre un truc à manger. Je suis allé chercher une île flottante. Quand je suis revenu à table avec mon plateau, François (Trarieux) m’a fait des yeux ! Il m’a demandé ce que je faisais… Il m’a presque fait peur (rires).
Et du coup, cette île flottante ?
Je ne l’ai pas mangée. Sur le coup, je ne comprenais pas trop… Mais c’était l’apprentissage du métier.
Aujourd’hui, tu penses avoir totalement comblé ces différentes lacunes ?
“Totalement” n’est pas le mot car avant de connaître 100% du métier, il faut en faire des années sur le vélo ! Ce n’est pas en six saisons que je vais me transformer en spécialiste et en quelqu’un qui court au millimètre. Mais c’est sûr que ça va quand même beaucoup mieux. Pour la nourriture, je fais attention dans les grandes lignes mais je me fais quand même plaisir de temps en temps.
« DÉJÀ QUE JE NE SUIS PAS DE NATURE À L’OUVRIR... »
Tu n’as donc pas de balance dans la cuisine…
Alors là, ça ne risque pas !
François Trarieux nous a révélé qu’il y a dix jours, tu avais débarqué au départ du Circuit Boussaquin trente minutes avant le départ !
Ce n’était pas loin de chez moi et je dois avouer que j’étais un peu optimiste sur la durée du trajet. Dans la voiture, j’étais un peu speed et pas franchement serein. Je suis arrivé à l’heure mais j’avais déjà bouffé tout mon jus avant le départ… Bon, cela étant, je tiens à préciser que je n’ai jamais loupé le départ d’une course en six ans de vélo (sourires).
On te dit également très réservé, et peut-être “trop gentil” sur le vélo…
Je suis assez timide et je ne parle pas énormément. J’ai conscience de ne pas être très expressif. Le fait que je sois arrivé tard dans ce monde du vélo n’a sûrement pas aidé. Je découvrais un peu tout, alors déjà que je ne suis pas de nature à l’ouvrir… Avec l’expérience, je me suis quand même ouvert un peu plus. En course, c’est vrai qu’on me dit aussi que je suis trop gentil et que je manque d’agressivité, mais j’y travaille.
« UN PARCOURS DIFFÉRENT »
Tu as également la particularité d’être l’un des rares opticiens du peloton !
J’ai passé un BTS d’optique et je suis maintenant employé depuis février 2016. Je suis content d’avoir cet emploi en parallèle du cyclisme. Financièrement, j’assure mes arrières mais ça me permet aussi de trouver un certain équilibre. Aujourd’hui, je n’ai pas la moindre pression sur le vélo car je ne cours pas spécifiquement après quelque chose. Je fais du vélo pour m’amuser mais je sais que j’ai une situation stable à côté, contrairement à certains jeunes qui misent tout sur le vélo.
Tu as toujours réussi à parfaitement concilier les deux activités ?
Je travaille 27h par semaine. J’ai la chance d’avoir un patron qui me laisse pas mal de libertés. Ensuite, j’essaie de m’adapter en fonction du calendrier de courses, de mes entraînements… J’arrive vraiment à faire les courses que je souhaite, il n’y a pas de soucis. Bon, sans doute qu’au niveau de la récupération, je suis désavantagé par rapport à ceux qui ne font que du vélo. Par exemple, quand je suis rentré de Paris-Mantes-en-Yvelines, j’étais au travail le lundi à 13h. Mais je n’ai pas à me plaindre. Je suis heureux dans cette situation. Et puis, franchement, l’optique, ce n’est pas le métier le plus physique du monde non plus.
Tu expliquais “ne pas courir spécifiquement après quelque chose” dans le monde du cyclisme. Mais quand on progresse de façon régulière comme tu le fais depuis tes débuts, et que l’on est l’actuel 7e du Challenge BBB-DirectVelo, on n’aspire pas à passer professionnel ?
Dans le peloton actuel, je vois de plus en plus de coureurs qui sont suivis dès les Juniors voire les Cadets. Ils semblent avoir un avenir tout tracé s’ils ont ne serait-ce que deux ou trois bons résultats dans l’année. Pour ma part, je n’ai pas du tout suivi le chemin de ces garçons-là, pour toutes les raisons que l’on a évoquées. J’ai eu un parcours différent.
« ALLER CHERCHER MES LIMITES »
Tu n’es pas dans les écrans radars des équipes professionnelles…
Voilà. Cela dit, à partir du moment où l’on se voit progresser tout le temps, on a forcément envie de voir jusqu’où on peut aller, et de montrer qu’on est là, nous aussi.
Donc, malgré ton détachement, le monde professionnel t’intéresse ?
Je veux continuer de me faire plaisir avant tout, vraiment, et aller chercher mes limites. Si on s’intéresse à moi, tant mieux. Passer pro serait une belle expérience et une superbe aventure humaine. Mais encore une fois, ce n’est pas une fin en soi. Contrairement à beaucoup de mes collègues et adversaires du peloton, je n’ai jamais rêvé de ça en étant gamin.