La Grande Interview : Lewis Askey

Crédit photo Christophe Dague / DirectVelo

Crédit photo Christophe Dague / DirectVelo

Décrocher le maillot arc-en-ciel de Champion du Monde et remporter Paris-Roubaix : voilà, à long terme, les deux plus grands rêves de Lewis Askey. En réalité, le Britannique - qui portera le maillot de la Conti Groupama-FDJ à partir du 1er janvier prochain pour ses débuts dans la catégorie Espoirs - a déjà dompté « l’Enfer du Nord ». C’était au printemps 2018, alors qu’il n’avait que 16 ans, chez les Juniors. “C’est un moment que je n’oublierai jamais”, explique avec le recul le coureur britannique, qui a grandi au coeur de l’Angleterre, au nord de Birmingham. DirectVelo s’est longuement entretenu avec celui qui aura donc le statut de coureur professionnel dans les semaines à venir, à 18 ans seulement.

DirectVelo : Comment abordes-tu ta première saison avec le statut de coureur professionnel, qui plus est en France ?
Lewis Askey : C’est forcément excitant et particulier. Ces derniers temps, j’ai d’abord tranquillement profité de la trêve hivernale à la maison. C’est agréable de prendre le temps de bien souffler, de recharger totalement les batteries avant de repartir au combat. Désormais, j’ai repris les bonnes charges d’entraînement et j’ai hâte de découvrir mon nouvel environnement. C’est une grande évolution mais je suis prêt pour ça.

On ne t’a pas vu dans les sous-bois jusqu'à ce jeudi à Heusden-Zolder alors que l’an passé, tu avais notamment terminé 3e ici même et 10e à Namur, en Coupe du Monde…
Je n’avais pas forcément envie d’arrêter le cyclo-cross mais j’ai senti qu’il fallait faire des choix. Après ma grosse saison de Junior 2 sur la route, il fallait absolument que je prenne le temps de souffler. J’arrive à un moment important de ma jeune carrière. Le passage des rangs Juniors à Espoirs/Élites est primordial et je n’ai pas envie de me louper, surtout qu’il y aura beaucoup de nouveautés pour moi en 2020. Dans ces conditions, je me suis dit qu’il fallait absolument que j’arrive dans les meilleures conditions possibles à la Groupama-FDJ. Or, ce n’aurait pas été le cas si j’avais fait la saison de cyclo-cross, avec des manches de Coupe du Monde, etc. La saison de cross se termine très tard, au moment même où l’équipe attaquera les premières courses sur route de la saison. Il fallait être raisonnable. J’ai quand même décidé de disputer deux-trois cross pendant les fêtes de fin d’année, puis le Championnat national pour retrouver le rythme de la compétition, mais rien de plus (Il a terminé ce jeudi à la 32e place de l'épreuve Espoirs à Heusden-Zolder, NDLR).

Tu resteras donc encore quelques semaines en Angleterre ?
Oui, j’arriverai en France au moment des premières courses, en février ou en mars, je ne sais pas exactement… Mais ensuite, je ne bougerai plus (sourires).

Revenons à tes débuts : tu as commencé le cyclisme très tôt mais c’est d’abord en natation que tu t’es fait remarquer !
Ma mère faisait du triathlon et mon père jouait au rugby. Naturellement, je suis donc venu au sport. Mes parents m’ont acheté un vélo dès mes 4 ans et c’est vraiment parti de là, tout simplement. J’ai aussi rapidement découvert la natation et j’ai toujours allié les deux activités. J’avais de bons résultats au niveau national en natation, dès mes 8-9 ans. Le problème, c’est que je n’aimais que la compétition. Faire des allers-retours en bassin pendant des heures à l’entraînement ne m’intéressait pas trop. C’était trop répétitif. J’ai fini par vraiment me lasser et je me suis concentré sur le cyclisme.

« UNE ÉMULATION ENTRE LES JEUNES BRITANNIQUES »

Avec réussite dès le début ?
C’est venu petit à petit. Je me souviens que lorsque j’étais plus jeune, il y avait ce groupe d’une dizaine de cyclistes qui roulait en nocturne, partant près de la maison. Je voulais y aller mais je n’avais pas le niveau et j’étais trop petit. C’est quelque chose qui me frustrait, mais ça m’a motivé à progresser et à me faire mal car j’avais vraiment envie de rouler avec eux. Aujourd’hui, il y a toujours ces sorties groupées. Je suis le meilleur du groupe et la plupart de ceux qui m’accompagnent a des vélos électriques pour me suivre (rires).

Quand as-tu réalisé que tu avais de réelles possibilités de performer au plus haut niveau ?
C’est difficile à dire car en réalité, je crois que je n’y ai jamais pensé. Il n’y a jamais eu un moment, ou une course en particulier, qui m’a fait dire que mon avenir était dans le cyclisme. Je fais ce sport parce que j’aime le pratiquer et que j’y prends beaucoup de plaisir. Mais je n’ai jamais vraiment couru après le but de faire carrière. Je ne me suis jamais dit que si je gagnais telle ou telle course, ça allait forcément m’ouvrir des portes. Bien sûr, lorsque j’ai gagné Paris-Roubaix Juniors l’an passé, ça a été quelque chose de très fort et j’ai réalisé ce que j’avais accompli. Pour autant, ça ne m’a pas vraiment fait voir les choses différemment par la suite.

Tu es né en 2001 et tu fais partie de cette génération de jeunes cyclistes qui ont grandi en voyant des coureurs britanniques au plus haut niveau mondial, avec notamment Bradley Wiggins, Chris Froome et Geraint Thomas tour à tour vainqueurs du Tour de France… Est-il plus “facile et évident” d’être cycliste en Grande-Bretagne aujourd’hui ?
Le vélo n’a jamais eu autant de place et d’importance dans notre société, mais c’est à relativiser malgré tout. On est encore à des années lumière du football. Une fois que l’on a dit ça, c’est sûr qu’il y a un vrai avantage : celui d’avoir un plus grand nombre de structures de qualité, avec tout ce qu’il faut aux jeunes pour avoir envie de continuer et de s’impliquer à fond dans ce sport. Il y a aussi une émulation entre les jeunes britanniques et c’est une bonne chose.

Es-tu inspiré par les coureurs précédemment cités ?
Je ne suis pas forcément le genre de coureur à m’inspirer des autres. J’essaie simplement de faire mon truc. Et puis, ce qui me parle le plus, ce sont quand même les Classiques et donc les spécialistes de ce type de courses. En fait, je ne vais pas forcément citer des coureurs du pays mais j’ai plutôt en tête Greg Van Avermaet ou Peter Sagan. Dans la génération précédente, je pense aussi à Tom Boonen et Fabian Cancellara. Ces gars-là, c’est du solide (rires). Ce sont des coureurs auxquels j’ai envie de ressembler à l’avenir, mais à ma façon.

« ON A TOUS NOS LIMITES »

Dans ta façon de t’exprimer lors d’interview d’après-courses chez les Juniors, tu as parfois semblé avoir une grande confiance en toi. Est-ce le cas ?
Il m’arrive aussi de douter et de me remettre en question. C’est important. Pour autant, c’est vrai que j’ai confiance en mes capacités. Je sais ce dont je suis capable, et ce n’est pas prétentieux de le dire. Ma victoire lors de Paris-Roubaix 2018 m’a justement aidé à prendre confiance en moi. Mais bon... Je connais quand même aussi mes limites.

C’est-à-dire ?
Même si je suis ambitieux, j’ai bien conscience que je ne peux pas monter le Mont Ventoux à la vitesse d’un Chris Froome… On a tous nos limites. J’ai les miennes, et j’en aurai toujours, même si je vais essayer de les combler au maximum. Une fois que ce constat est établi, il y a quand même de quoi espérer de belles choses pour le futur, je pense. Mais il va falloir travailler dur en essayant d’apprendre des mes erreurs, au fur et à mesure.

Apprendre de tes erreurs : voilà une philosophie qui revient régulièrement dans tes propos…
Parce que c’est primordial ! J’ai toujours la curiosité et l’envie d’apprendre. Il faut passer par là pour progresser. Le plus important selon moi, c’est d’apprendre le plus vite possible de ses erreurs et de ses échecs. Je déteste commettre des erreurs mais j’en commets encore beaucoup, bien sûr. Du coup, lorsque je termine 5e ou 8e d’une course que j’aurais peut-être pu gagner, j’essaie d’analyser les choses qui ne sont pas allées, et ce que j’aurais dû faire différemment pour l’emporter. Je ne veux surtout pas commettre la même faute deux fois.

Des erreurs, tu en as donc commises beaucoup en 2019 ?
Forcément, je pourrais parler de plein de courses et décrire ce que j’aurais pu faire différemment. J’y pense souvent. Je me refais le film pour comprendre ce qui n’a pas été. J’ai plusieurs fois été confronté à un mec comme Quinn (Simmons) qui a fait une énorme saison. Quand tu es face à un gars comme ça, tu te dis qu’il te reste du boulot. D’un autre côté, je me suis déjà retrouvé dans sa roue et j’ai senti qu’il y avait moyen de jouer de belles choses. Au final, je pense pouvoir dire que c’était une bonne saison, même si on peut toujours faire mieux. Je suis satisfait de ma régularité (il a notamment terminé 2e du GP André Noyelle - le Gand-Wevelgem Juniors -, 3e du Trophée des Flandres, 5e du Keizer der Juniors, 6e de la Philippe Gilbert et de Kuurne-Bruxelles-Kuurne ou encore 8e de Paris-Roubaix, dont il était le tenant du titre, NDLR). J’aurais peut-être pu gagner sur une grosse course… Il y avait sans doute mieux à faire aussi sur le Championnat du Monde, mais ce n’est pas si mal.

« JE N’OUBLIERAI JAMAIS CE MOMENT »

As-tu ressenti une certaine pression en tant que lauréat de Paris-Roubaix la saison précédente ?
Non, pas vraiment. Je n’ai gardé que le positif de cette victoire à Roubaix. L’entrée sur le vélodrome était irréelle. La clameur du public, le sprint avec Samuele Manfredi, la victoire, le podium... Je n’oublierai jamais ce moment et les sensations que j’ai ressenties ce jour-là. C’était complètement fou. Pour le reste, heureusement que je ne le vis pas comme une pression car sinon, je serais complètement bloqué et je ne ferais plus rien. J’ai essayé d’occulter ça de ma tête. Il faut rester concentré sur l’instant présent. Ou faire d’autres choses. Certains coureurs ne vivent que pour le vélo mais moi, j’aime bien faire plein d’autres activités. Cela permet de s’aérer l’esprit et de s’enlever de la pression, justement. Il n’y a pas que le cyclisme dans la vie, même si c’est une passion pour moi. Je crois qu’il faut toucher un petit peu à tout. Il y a tellement de choses intéressantes à vivre et à faire…

As-tu une autre passion en particulier ?
J’aime beaucoup la photographie. Je me régale à prendre des clichés de tout et n’importe quoi. Je travaille pas mal sur des portraits, sur l’expression des visages… J’aime aussi les photos à grand angle pour les paysages ou un coucher de soleil… Je m’amuse beaucoup avec un appareil photo dans les mains mais ça, c’est uniquement quand j’en ai le temps.

Ne t’es-tu jamais amusé à jouer au photographe sur une course cycliste à laquelle tu ne prenais pas part ?
Si ! Mais c’est compliqué car ça n’arrive pas souvent. Je ne vais pas faire de longs déplacements pour ça évidemment, car j’en fais déjà suffisamment pour mes propres courses (rires). Mais il m’est déjà arrivé de shooter des cyclo-cross.

Étant donné que tu t’y connais, les photographes ont intérêt à assurer lorsqu’ils te prennent en photo sur les courses !
Oui, c’est un peu ça : il faut qu’ils s’appliquent (rires). C’est toujours agréable d’avoir de belles photos de soi en course. Il y a de quoi vraiment se faire plaisir avec un appareil photo dans les mains. Enfin… Je suis très bien aussi avec les mains sur le guidon.

« JE PEUX ENCORE ÉLARGIR MA PALETTE »


Puisque tu es curieux et avide de découvertes, tu vas être servi en 2020 en découvrant une équipe française et en vivant à Besançon !
C’est très excitant. Je vais essayer d’apprendre le français le plus vite possible. J’ai quelques toutes petites bases déjà, mais ce n’est pas ça qui va me permettre de m’exprimer pour le moment. En vivant en France, ça devrait aller. Je vais aussi pouvoir compter sur le soutien des autres coureurs qui ne sont pas francophones. Dans un premier temps, ça servira d’appui, c’est rassurant.

En 2002, Bradley Wiggins avait fait ses débuts au plus haut-niveau sous le maillot de la Française des Jeux...
Je ne savais pas que Bradley Wiggins avait couru à la FDJ ! (DirectVelo lui montre alors un fameux extrait vidéo d’un stage de l’époque, durant lequel on aperçoit Bradley Wiggins partir à la faute lors d’une sortie de cyclo-cross avec ses coéquipiers, NDLR). En fait, je suis déjà tombé sur cette vidéo… Mais je n’avais jamais réalisé que c’était l’équipe FDJ (sourire).

Beaucoup plus proche de toi, un autre britannique, Jake Stewart, a fait partie de la première classe de la Continental Groupama-FDJ en 2019 et sera ton coéquipier cette saison…
C’est un élément important à vrai dire. Avant de prendre la décision finale de venir dans l’équipe, j’ai parlé avec Jake et ça m’a conforté dans mon choix. Il ne m’a dit que du bien de l’équipe. Désormais, c’est à moi de jouer. Je suis ultra motivé. Quand je prends le départ d’une course, c’est pour la gagner et pour rien d’autre.

De quoi rêve un gamin de 18 ans qui a marché fort en Juniors et qui semble avoir tout l’avenir devant lui ?
Je marche bien sur les Classiques depuis plusieurs années et j’espère pouvoir continuer dans cette direction chez “les grands”. Les courses d’un jour m’attirent mais je peux encore élargir ma palette. Un titre de Champion du Monde serait exceptionnel, et gagner un jour Paris-Roubaix Élites après l’avoir déjà remporté chez les Juniors, ça aurait de la gueule !



 

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