La Grande Interview : Romain Feillu

Crédit photo Freddy GUÉRIN / DirectVelo

Crédit photo Freddy GUÉRIN / DirectVelo

Romain Feillu a mis un terme à sa carrière cycliste l’hiver dernier. Après deux décennies complètes passées dans les pelotons, dont treize saisons chez les pros au sein de quatre structures différentes, il a dit stop. Le natif de Châteaudun (Eure-et-Loir) a voulu se faire plaisir le plus longtemps possible, jusqu’à ses 35 ans. L’aventure aurait pourtant pu être bien plus courte. Alors qu’il n’était encore qu’adolescent, le futur maillot jaune du Tour de France est éjecté de son scooter à la suite d’une collision avec une voiture, en rentrant du lycée. Le voilà avec le fémur cassé. Quelques années plus tard, on lui conseille de se faire allonger la jambe douloureuse, désormais plus courte que l’autre de vingt millimètres, mais il passera ensuite l’ensemble de sa carrière à souffrir du genou. Incapable d’exploiter la plénitude de ses moyens, Romain Feillu s’affirme malgré tout comme l’un des sprinteurs de référence en France, collectionnant une vingtaine de victoires chez les pros et presque autant de Top 10 sur la Grande Boucle. Toujours aussi passionné, le jeune retraité a désormais créé une petite société dans le but d’organiser des séjours touristiques et des stages à vélo. Le tout en parallèle de son nouveau métier d’entraîneur. Entretien avec un garçon simple, drôle et généreux, qui a toujours tenu à rester le même, des rangs amateurs au podium protocolaire du Tour de France.  

DirectVelo : Te voilà néo-retraité mais toujours actif dans le monde du cyclisme !
Romain Feillu : J'ai créé une petite société qui s'appelle Académie cycliste. L'idée est de proposer des séjours et stages cyclistes. Ça peut être pour les cyclo-sportifs ou même les cyclo-touristes, mais aussi pour les compétiteurs. Je suis en train de créer des choses par chez moi mais l'idée est aussi d'aller sur la Côte d'Azur et en Espagne. Malheureusement, cette période de covid-19 m'a bien bloqué. Je n'ai pas bouclé beaucoup de séjours. De toute façon, pour pouvoir en commercialiser, je dois avoir le diplôme, notamment pour bénéficier des différentes assurances. Sauf que je n'ai pas encore pu le passer, toujours à cause du covid. Il ne me manque que l'épreuve pédagogique mais c'était impossible ces derniers temps. Je devais passer l’épreuve vers le 18-19 mars, juste après le début du confinement. Ça pourrait se faire d’ici fin juin peut-être, mais plus sûrement en octobre… Pour l’instant, je ne peux faire que de l'accompagnement. Je propose des prestations pour une petite boîte qui s'appelle "C'est parti", qui vient d'être créée. Mais là aussi, ce n'est pas simple. On a dû annuler le premier stage et pour le deuxième, c'est compliqué de trouver du monde. Mais bon, ça va bien finir par partir…

Sur les réseaux sociaux, on te voit tout de même très actif et tu proposes de belles idées de sorties…
J'accompagne des petits jeunes de Brive, sans oublier que j'entraîne Thomas Chassagne et Mickaël Guichard. Ce sont des jeunes qui marchent bien et qui sont motivés donc c'est très intéressant pour moi. Je suis content de les accueillir et des faire des sorties avec eux. Ça me permet de garder le rythme, de rouler un peu, mais aussi et surtout de les accompagner sur scooter. C'est très plaisant et même jouissif (rires).

Étant donné la situation actuelle, te dis-tu que tu as bien fait d’arrêter ta carrière cycliste l’hiver dernier ?
Ce n’est pas un argument en plus, non. Si j'avais été coureur en 2020, ça ne m'aurait pas forcément pénalisé ou dérangé. C'est pour les coureurs de 24-25 ans, qui espéraient passer pro, que la situation va être vraiment compliquée. Ils se retrouvent dans une situation de merde. Mais si j'étais encore coureur, je n'aurais pas eu de mal à me motiver en cette période pour les deux-trois derniers mois de compétitions de l'année. Au contraire ! Le manque de compétition et la privation donnent encore plus envie d'y retourner. D'ailleurs, même en ayant arrêté ma carrière, je ne me suis pas gêné pour bien reprendre l'entraînement dès que j'ai pu le faire à la fin du confinement.

Roules-tu encore régulièrement ?
Oui, je roule encore pas mal quand même… Je reste plus souvent sur le vélo que sur le scooter. J'essaie de faire deux-trois sorties de plus de cent bornes par semaine. Je peux encore faire des sorties de 130 ou 150 bornes à 35 de moyenne avec les gars, je ne suis pas rouillé (sourire).

Il y a aussi eu cette fameuse sortie de 300 kilomètres (lire ici) mais cette fois-ci, tu étais sur le scooter. Ces sorties sur scooter ne te paraissent-elles pas longues, sans les sensations et l'effort physique ?
Non, pas du tout. Sur un deux roues, je me sens bien. La moto, c'est aussi beaucoup de concentration. Tu n'as pas le droit à l'erreur car tu as les gars derrière. À l'arrière de la moto, j'ai mis une petite bulle pour mieux abriter les coureurs. L'autre jour, on faisait parfois une borne à 80 km/h de moyenne, les gars collés à la moto. Mickaël Guichard était avec son vélo de chrono. On était à la limite de la vitesse autorisée. Mickaël a fait un pic à 83 km/h. Franchement, c'est vraiment bon et ça les habitue à une grosse vitesse. Mais en tant que pilote, c'est aussi une responsabilité. Je fais ça sur des routes assez dégagées, où seuls des lapins pourraient traverser. C'est plus dangereux à 40 km/h en ville, que là. Je suis heureux de faire ça pour mes coureurs. Lorsque j'étais moi-même coureur, j'aurais aimé que quelqu'un m'emmène de la sorte. Les gars sont reconnaissants.

« JE CROIS QUE BEAUCOUP ONT PEUR DE RIRE » 

Ces dernières semaines, tu as aussi fait parler de toi avec tes vidéos humoristiques sur les réseaux sociaux, où tu démontrais par l'absurde plusieurs façons de tricher sur les applications virtuelles, avec par exemple une essoreuse à salades (voir ici). Pourquoi t'es-tu lancé là-dedans ?
Je me suis inscrit sur Zwift quelques temps et j'ai vite vu que c'était complètement délirant, au niveau des watts. J'ai vu pas mal de gens, notamment dans mon entourage, et sans les citer, parader et dire qu'ils étaient super forts. Mais j'ai vite compris que c'était complètement bidon. Tout ça dépend de tellement de choses… La façon dont tu serres ta roue, le gonflage du pneu, la façon de serrer la molette, le type de home-trainer... Il y a tellement d'éléments qui rentrent en compte et qui peuvent te faire croire que tu développes des watts de malade, alors que pas du tout. Je voulais donc prouver qu'avec un simple panier à salade, je pouvais aussi développer une grosse puissance. C'était aussi pour discréditer Zwift et ceux qui pensent être des champions via cette appli. Pour moi, ce n'est pas du vrai sport. Et quand je vois que certains se bousillent la santé avec ça... Je ne comprends pas.

Que ce soit via le dopage sanguin, le dopage mécanique ou ici les techniques pour développer un maximum de watts sur les applications virtuelles, la question de la triche est encore et toujours un sujet extrêmement sensible dans le monde du cyclisme. Bien que tu l'aies fait de manière humoristique, n'as-tu pas eu peur qu’on te le reproche ?
Si, un peu... Mais à la limite, je m'en fous. Et c'est peut-être con car je suis en train de lancer ma société et je devrais faire plus attention à ces petits trucs-là. Tant pis, au moins, ça m'amuse. Et ça me ressemble. Je trouve que c'est rigolo... Pour moi le vélo, c'est la nature. Les applis, ce n’est pas du vélo mais on fait beaucoup de business sur tout ça. Je trouve qu'il y a un côté gênant dans la façon dont les applis ont profité du confinement, même si c'est le jeu, pour faire croire à des gens qu'ils étaient forts.

Penses-tu qu’il y a réellement beaucoup de “tricheurs” sur les plateformes virtuelles ?
Bien sûr, il y en a plein. De façon générale, même sur la route, je pense qu'il y a plus de tricheurs chez les Ufolep que chez les professionnels… Je vois même des gars afficher leurs victoires, dire qu'ils ont quatre victoires sur Zwift cette année... Il y a des cyclos qui font des compétitions la nuit, à des heures où il y a moins de monde, pour avoir plus de chance de faire de bons classements. C'est n'importe quoi, mais ça en dit long sur ce que certains sont prêts à faire.

On te sent très à l'aise derrière un écran, ce qui n'est pas forcément le cas de beaucoup de coureurs…
Oui, j'aime beaucoup ça. Je suis même attiré par le théâtre, à vrai dire. Je trouve ça rigolo. Une mise en scène, réfléchir à des idées... Je suis un grand fan de Jean-Yves Lafesse, de François Damiens... Les canulars téléphoniques, toutes les conneries de Laurent Baffie, j'adore ces trucs-là.

On t'imagine aisément réaliser des reportages vidéos sur le terrain, au départ d'une course, au pied des bus, en y apportant une touche humoristique et décalée. Est-ce que ça te dirait ?
Oui, ça pourrait être un truc sympa, c'est clair ! Il y a aussi d'autres gars qui aiment bien rigoler, comme Steve Chainel qui est dans le même style. Mais c'est vrai qu'il n'y a pas beaucoup de coureurs comme ça. Je crois que beaucoup ont peur de rire... Ils s'inquiètent de l'image qu'ils vont donner à l'extérieur.

« ON AVAIT FOUTU LE BORDEL DANS LES TUNNELS DE MONACO » 

Trouves-tu le cyclisme actuel plus “sérieux” que par le passé ?
C'est très sérieux. Quand je suis passé pro, sur le début de saison, c'était la rigolade. Même sur le Tour, on se marrait. En 2009, j'étais parti avec un sac à dos plein de pétards pour le 14 juillet. Mais on n'avait pas attendu le 14 juillet pour en faire péter. On avait foutu le bordel dans les tunnels de Monaco notamment. Vraiment un gros bordel (rires). Mais qu'est-ce qu'on rigolait. Aujourd'hui, on ne l'imagine plus trop (le grand départ du Tour de France avait été donné de Monaco. Le lendemain, Romain Feillu avait terminé 3e à Brignoles lors d’une étape remportée par Mark Cavendish, NDLR).

Quelle période de ta carrière te laisse les meilleurs souvenirs ?
Agritubel, c'était magique. C'était vraiment cool, c'était une petite équipe où l'on rigolait bien avec Nicolas Vogondy, Freddy Bichot, puis Christophe Moreau qui nous a rejoints. On faisait des départs arrêtés avec sa Mercedes (rires). C'était une autre époque. On était insouciant. Aujourd'hui, on ne pourrait plus faire ça.

Cette insouciance, tu l'as donc perdue les années suivantes ?
J'ai essayé de la garder mais j'avais plus de responsabilités chez Vacansoleil. Il y avait plus d'attentes. C'était plus sérieux chez les Néerlandais. Ils aimaient que tout soit bien droit, ce que je comprends aussi.

Attendais-tu autre chose de tes dernières saisons chez les pros ou te doutais-tu que tu allais être sur le “déclin” ?
Franchement, non, je n’attendais rien d’autre. Je me suis quand même fait plaisir, j'ai vécu de bons moments avec les copains chez St Michel-Auber 93. Si on reprend tout du début, il ne faut pas oublier que j'ai connu un gros accident de la circulation en 2000, lorsqu'une voiture m'avait fauché. Je rappelle cet événement car ça a été quelque chose d'important dans ma vie, qui a conditionné tout ce qui a suivi. Après cet accident, j'ai vite retrouvé l'envie de m'entraîner dur et de progresser mais j'ai eu de gros problèmes de genou et de dos. À la suite de cet accident, je m'étais retrouvé avec une jambe plus courte que l'autre. J'étais hyper gêné. Je me suis fait rallonger la jambe de deux centimètres. C'était une opération “lourde”, forcément, car ils fallait casser l'os etc. Je devais déjà passer pro chez Agritubel dès 2005 mais ça a retardé mon passage. Puis lorsque je suis passé pro, j'étais toujours embêté et ça ne m'a jamais lâché. J'ai beaucoup souffert, ça a souvent été l'enfer. Tous les jours, c'était de la glace, des étirements... Je devais parfois prendre des anti-inflammatoires… C'était vraiment chiant. À partir de 2015, j'ai vu la vie différemment. Je me suis moins entraîné et du coup, même si j'avais toujours une gêne, j'avais quand même moins mal.

Tu n'as donc jamais pu t'exprimer à 100% de tes moyens physiques durant l'ensemble de ta carrière…
Non car j'étais toujours blessé. Chez Agritubel, tous les débuts de saison, dès qu'on faisait beaucoup de dénivelé positif, ça allait un jour mais le lendemain, s'il fallait remettre ça, j'avais mal au genou. Ce que Thibaut Pinot a connu sur le dernier Tour de France, avec ce syndrome de l'essuie-glace, je l'ai connu toute ma carrière. J'avais un désaxement avec un frottement permanent. En cuissard long, il y avait une compression en plus et c'était pire. Et en montagne, le muscle est encore plus tendu et le tendon frottait encore plus. J'avais même les fibres qui craquaient. C'était pire chaque jour lorsque j'enchainais les efforts.

« J’AI FINI PAR EN FAIRE LE DEUIL » 

Tu as dû vivre des moments particulièrement difficiles sur les grandes courses par étapes !
C'est pour ça que sur le Tour de France, en 2011, alors que je marchais vraiment bien, j'avais toujours mal au genou. Sur une étape, ça passait encore mais après, je ne pouvais plus. Mais il n'y avait pas que ça : je devais aussi anticiper la préparation des courses par étapes. Par exemple, avant le Tour de France, j'évitais les stages en montagne pour ne pas arriver au départ du Tour avec le genou déjà en vrac. Du coup, c'était dur d'espérer avoir le niveau en montagne.

N'as-tu jamais été tenté de tout arrêter ?
J'aimais tellement le vélo que j'ai tenu, mais c'était hyper dur. Les premières années, ça m'est souvent arrivé d'en pleurer à l'entraînement. C'était une frustration, je trouvais ça injuste. Au Tour de France 2009, puis en 2011, j'étais bien emmerdé. J'ai fini par en faire le deuil à partir de 2013. Je me suis dit que c'était une fatalité. Je m'étais renseigné sur les choses à faire. À l'époque, un docteur aux Pays-Bas m'avait dit qu'il fallait peut-être recasser l'os mais il n'y avait rien de garanti et ça aurait été encore une opération lourde, alors je ne me suis pas lancé.

C’est aussi à cause de ce problème au genou que tu as souvent abandonné le Tour de France en cours de route…
En 2011, je me souviens que j'étais en chambre avec Johnny Hoogerland. On était les deux grands blessés de l'équipe, même si ça se voyait beaucoup plus dans son cas (Johnny Hoogerland, alors échappé, avait été envoyé dans des barbelés par un véhicule lors de l’étape Issoire-Saint Flour, NDLR). J'ai dû abandonner après avoir passé un IRM à Aurillac. J'avais une grosse inflammation.

Et pourtant, tu avais terminé six fois dans le Top 6 sur les onze premiers jours de course, dont une 2e place derrière Tyler Farrar à Redon ! La veille de cet abandon, tu terminais encore 6e à Lavaur…
Oui, je m'accrochais ! C’est vrai qu’à Lavaur, j'avais fait un bon sprint. La veille aussi. (5e à Carmaux, NDLR). Mais je ne pouvais plus partir le lendemain. Je n'arrivais même plus à monter les escaliers. Je ne pouvais pas aller au-delà, c’est sûr.

Parmi les moments marquants de ta carrière, il y a eu - toujours en 2011 - ces trois victoires d'étapes consécutives sur le Tour Méditerranéen. Se sent-on intouchable dans ces moments-là ?
Je n'avais jamais connu ça avant chez les pros, bien sûr. Ni même en amateurs. Enfin si, il y avait eu un Tour d'Eure-et-Loir durant lequel j’avais fait 3e le premier jour puis j'avais gagné les deux autres étapes et le général derrière, ce qui me faisait trois victoires en deux jours. Mais lever les bras trois fois de suite sur la ligne, non, ça ne m’était jamais arrivé ailleurs qu’au “Tour Med”. Je me souviens de tout. Thomas Voeckler avait gagné la 1ère étape et j'avais déjà réglé le sprint du peloton ce jour-là, devant Yauheni Hutarovich. Je me souviens qu'il y avait une différence de vitesse impressionnante entre moi et les autres sprinteurs cette semaine-là. J'avais aussi ressenti ça sur le Tour de l'Ain 2010. J'avais l'impression d'être dans une autre catégorie de sprinteurs, même si bien sûr, il n'y avait pas les Cavendish, Greipel etc. Mais en ces occasions-là, en terme de watts, j'étais capable de faire quasiment ce qu'ils font eux aussi. Malheureusement, ça n'a été que quelques fois dans ma vie.

« C'ÉTAIT LA CHANCE DE MA VIE » 

On imagine que c’est une situation particulièrement grisante ?
C'était hyper jouissif. T'as l'impression de planer. Surtout au “Tour Med”. Pour la première étape que j’ai gagnée, je m'étais dit de démarrer au dernier rond-point après avoir reconnu le final le matin-même. On avait fait le détour exprès. C'était osé de partir de si loin mais je savais où mettre les roues à cinq centimètres près, pour éviter les plaques d'égouts etc. Le lendemain, j'avais cassé la tige de selle à huit bornes de l'arrivée et j'étais revenu dans le peloton aux trois bornes. Je n'ai fait que remonter... Jusqu’à gagner ! C'était grandiose. Et sur la troisième, j'avais battu dans une arrivée en bosse des gars comme Davide Appollonio et Dan Martin. Sur le papier, ce n'était pas forcément mon terrain mais j'étais hyper affuté cette année-là, dès le début de saison.

À quel moment t'es-tu senti le plus fort de toute ta carrière ?
Sur le Tour de Grande-Bretagne, en 2007. C'est la semaine où j'ai le plus fait le job de toute ma vie. J'étais au lit à 20h. Le matin, j'étais plus que jamais concentré sur le roadbook, je connaissais le moindre kilomètre, la moindre petite bosse... J'étais régulier cette année-là. J'avais fait un bon Tour mais j'avais dû abandonner quand j'étais arrivé sur ce Tour avec beaucoup de jours de course au compteur, en fin de pic de forme. Mais j'étais revenu en grande forme en Grande-Bretagne. Pour Agritubel, c'était beau de gagner là-bas. J’avais aussi gagné Paris-Bourges en fin d’année, ça tournait vraiment bien.

T'es-tu vu gagner une étape sur le Tour de France, toi qui y totalises pas moins de cinq podiums et seize Top 10 ?
Franchement, oui ! C'est d'ailleurs pour ça que, lors de l'étape où j'ai pris le maillot jaune en échappé (Saint Malo-Nantes, en 2008, NDLR), je m'étais complètement désintéressé de l'étape. Je me disais que j'allais gagner une étape plus tard. Et finalement, ça ne l’a jamais fait. Parfois, c’est passé tout près. D’autres fois, que ce soit avec Vacansoleil ou avec Bretagne-Séché Environnement, on ne m’a pas sélectionné car ils avaient peur de mes problèmes de genou, justement. Or, quand tu n’es pas sur le Tour, tu ne peux pas espérer y gagner.

Comprenais-tu ces non-sélections ?
En 2013, je n'ai pas été sélectionné chez Vacansoleil-DCM. Ils avaient fait confiance à Borut Bozic et Kris Boeckmans. En 2015, avec “Bretagne”, j'avais gagné la Route Adélie et malgré ça, je n'avais pas été pris. Cette non-sélection avait été dure à vivre. J'étais le seul à avoir gagné une course dans l'équipe. Mais bon, ils avaient sûrement peur de mes problèmes de santé.

Ta carrière restera vierge de succès sur le Tour mais tu auras porté le maillot jaune une journée. Où est ce maillot jaune désormais ?
Là tout de suite, à côté de moi là, dans la chambre (sourire). À l'époque, il y avait souvent un prologue et cette année-là, ça n'avait pas été le cas, avec l'arrivée à Plumelec direct. Du coup, je n'étais pas loin au général. Les autres années, ça aurait été hyper compliqué. Là, une échappée allait enfin au bout… C'était la chance de ma vie pour avoir le maillot.

« QUAND BRICE PASSAIT UN TEST D’EFFORT, C'ÉTAIT UN TRUC DE FOU » 

Tu n’as porté le maillot qu’un jour, lors du chrono de Cholet…
Pendant 29 kilomètres (rires). C'est anecdotique mais c'est drôle.

Puisqu'on évoquait tes victoires, n'as-tu pas le regret de ne pas avoir pu gagner une fois sous le maillot de St Michel-Auber 93, lors de tes quatre dernières saisons chez les pros ?
Si, c'est vrai. C'est un petit regret. D'un autre côté, j'ai passé de bons moments là-bas et je pense avoir apporté de belles choses à l'équipe. Je suis persuadé que parfois, ça vaut bien plus qu'une victoire. Car si tu ramènes une victoire à l’équipe mais qu’à côté de ça tu te comportes comme un connard... (rires). Mais j'y ai toujours cru même s'il me fallait des circonstances favorables pour espérer gagner un sprint car, forcément, j'étais moins fort qu'avant. Je savais toujours où placer mes roues. Seulement… Je n'étais plus à 100% sur le vélo. J'avais des enfants à emmener à l'école, une maison à entretenir. J'avais déjà changé de vie, mais j'y ai quand même cru. Au Grand Prix de la Somme, j'ai fait 2 derrière Lorrenzo Manzin pour deux boyaux, même pas (voir classement). C’était il y a à peine un an, en mai 2019. Une victoire UCI la dernière année, ça aurait été beau.

Lorsque l'on est sprinteur, il semble impossible de pouvoir terminer sa carrière au top. Chaque sprinteur connaît une période dorée et une pointe de vitesse record avant de perdre de sa superbe. Comment vit-on une telle situation ?
C'est compliqué. Les grimpeurs peuvent jouer plus longtemps, sur le côté purement endurance, dans la force de l’âge. Pour les sprinteurs, on a notre meilleure pointe de vitesse assez jeune. Il y a une part d'adrénaline, aussi. Ce sentiment de pouvoir tordre le guidon et arracher le bitume, ça me le faisait souvent les premières années. Puis au fil des saisons, ça t'arrive de moins en moins souvent, même si ça me l'a refait un peu en 2016. Mais en 2017, ça a totalement disparu et je n'ai plus jamais connu cette sensation d'une grosse force. Et même si tu vas t'amuser à faire un sprint avec des cyclos, bien sûr, tu vas les tordre, mais tu n'auras quand même plus l'impression que ton corps n'a presque pas de limites, comme avant. Dans ma première partie de carrière, j'avais l'impression que le matériel pouvait casser si j'appuyais encore plus (rires). Maintenant, c'est fini !

Durant une bonne partie de ta carrière, tu as également eu l’occasion de courir au côté de ton frère, Brice. En 2009, certains l’imaginaient en future vedette du Tour de France après son succès d’étape à Andorre Arcalis…
C'était aussi mon point de vue. Quand Brice passait un test d'effort, c'était un truc de fou, franchement. Il avait un très gros moteur. Mais bon, il n'est pas tombé dans les mêmes "trucs" que certains autres mecs. C'est dommage car il était hyper doué. Finalement, il a connu la même chose que moi, même si de mon côté, c'était à cause d'une blessure. Lui aussi a été limité face à d'autres. De ce fait, il a vite compris qu'il ne pourrait pas gagner le Tour ou même tenter de jouer le général. Bon, on voit aujourd'hui que c'est quand même possible avec Thibaut Pinot ou Romain Bardet. Mais ce sont des exceptions car ces gars ont vraiment de très gros moteurs.

Au fil de tes treize saisons chez les pros, tu as toujours semblé être un coureur populaire. Pas nécessairement à l’échelle du grand public, comme un Thomas Voeckler ou un Julian Alaphilippe, mais au niveau du public des “connaisseurs”, ceux qui se rendent sur le terrain de février à octobre. Comment l’expliques-tu ?
Peut-être que quand tu es sprinteur, tu es un peu plus mis en lumière qu’un autre coureur peut-être plus complet et plus fort, mais qui gagne moins souvent.. Et puis, j'ai toujours répondu avec plaisir à toutes les sollicitations, avec le sourire. Je pense avoir toujours été agréable avec tout le monde, les spectateurs comme la presse. C'est sûr que parfois, quand on te pose la même question dix fois dans la journée, ce n'est pas super drôle. Mais d'un autre côté, la personne qui te pose la question ne peut pas savoir qu'on te l'a déjà posée dix fois avant. On se doit d'être gentil, ça me paraît normal. Les spectateurs font le déplacement pour venir nous voir, alors on leur doit bien ça. Quand t'es une méga-star, il faut bien avouer que c'est sans doute plus compliqué. Lorsqu’une une dizaine de personnes te sollicite, ça va, mais quand ce sont des centaines, ce n'est pas pareil. J'ai sans doute vécu le juste milieu et ça m’a plu. J’ai passé une carrière entière blessé, mais j’ai bien profité. J’ai gagné des courses et je me suis amusé.



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