La Drôme Classic neutralisée ? « C’était limite mais praticable »

Crédit photo Nicolas Mabyle / DirectVelo

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Vent violent, températures ressenties glaciales, enchaînement de petites bosses aussi courtes que raides - à l'image du fameux Mur d'Allex -, la Faun-Drôme Classic (1.Pro) avait plus que jamais des allures de Classique pour flahutes ce dimanche (lire ici), comme si l'air et les nuages du week-end d'ouverture belge - Nieuwsblad et Kuurne - planaient au-dessus des BDA. Avec une course particulièrement animée et menée tambours battants, des favoris qui se sont découverts très tôt - comme la veille en Ardèche - et des coureurs éparpillés dans de nombreux groupes à force de bordures, les courageux (et pas frileux) spectateurs présents sur place comme les téléspectateurs devant leur petit écran se sont régalés. Mais les coureurs, eux, ont vécu un après-midi des plus désagréables.

Transi de froid en zone mixte, Anthony Perez - brillant vainqueur de cette Faun-Drôme Classic - s’assoit sur ses mains rosâtres pour répondre aux questions de la presse après l’arrivée. Histoire de se réchauffer tant bien que mal. À quelques mètres de là, l’Italien Andrea Bagioli (3e) tremble lui aussi de froid derrière le podium protocolaire. Une poignée de minutes plus tôt, les deux hommes luttaient encore contre des bourrasques de vent aussi fortes que frigorifiantes dans la vallée du Rhône. “C’était une journée dont je vais me rappeler un moment. C’était hyper tendu et les conditions étaient vraiment spéciales”, témoigne Nicolas Debeaumarché (St-Michel-Mavic-Auber 93) auprès de DirectVelo.   

« L'IDÉE ÉTAIT D'ÉVITER LES PLUS GROSSES RAFALES »

Son ami Julien Bernard, qu’il avait côtoyé lors de son stage estival chez Trek-Segafredo en 2019, faisait partie des coureurs les plus expérimentés du peloton des BDA et représentait l’une des grosses armadas du peloton. Il admet avoir sondé son staff et ses coéquipiers avant même le départ. C’était peut-être déjà un peu trop tard mais mieux vaut tard que jamais. On était d’accord pour faire une grande boucle en moins et filer directement sur la seconde boucle, plus au sud, sachant que le vent allait forcir tout au long de l’après-midi. L’idée était d’éviter les plus grosses rafales. Il faisait très froid et passer cinq heures dans ces conditions à une semaine du début de Paris-Nice n’était pas l’idéal”, explique l’athlète de 30 ans.

Dans les bus, à quelques minutes de s’élancer et alors que les concurrents - emmitouflés sous plusieurs couches de vêtements - ont pu prendre la température au moment de la présentation des équipes, il n’a (la plupart du temps) pas été question d’évoquer une éventuelle neutralisation ou réduction du kilométrage de la course. “Les coureurs doivent aller au charbon. Si on commence à leur mettre dans la tête que ça pourrait être neutralisé, ils sortent de la course. Je ne leur en ai donc pas parlé du tout”, assure Maxime Monfort, directeur sportif de l’équipe Lotto-Dstny. Même son de cloche chez Cofidis, future équipe lauréate de la course grâce à l’Occitan Anthony Perez. “On a déjà fait pire même s’il y avait beaucoup de vent. J’avais la conviction que ça continuerait normalement. Je n’en ai pas du tout parlé à mes coureurs, je ne voulais surtout pas les conditionner à un possible changement, il fallait qu’ils restent bien concentrés”, explique Benjamin Giraud.

« J’AI DIT AUX GARS DE NE PAS JOUER LES SYNDICALISTES »

Finalement, une fois la course lancée, il a un temps été envisagé de proposer une solution alternative, un parcours raccourci. “On se demandait ce qu'on allait faire parce qu'on se rendait compte qu'il y avait beaucoup de vent. On voyait que c'était dangereux. C'était roulable, mais on savait que le vent allait se lever encore plus et on avait peur qu'il y ait beaucoup de chutes lorsque ça mettrait en route”, annonce David Gaudu, finalement 4e à l’arrivée. “Il y a eu des échanges sur les deux-trois kilomètres qui précédaient le passage sur la ligne. Je pense que c’était du 50-50 dans le peloton. Ce sont des décisions qui doivent se prendre à chaud, en quelques instants, ce n’est pas facile. Chacun a son avis mais on ne veut pas non plus se mettre d’autres coureurs à dos”, analyse Romain Combaud, pensionnaire du Team DSM. Des garçons de la Soudal Quick-Step, de la Trek-Segafredo ou encore de la Groupama-FDJ se portent en tête de peloton. Bruno Armirail interroge les coureurs qui l’entourent dans le paquet. “Les gars, il va falloir se décider. On fait quoi ?”. Le convoi ralentit mais finalement, rien ne se passe et la course reprend ses droits très rapidement avec l’attaque de l’Américain Quinn Simmons.

Romain Combaud précise : “je n’étais pas pour arrêter. Certes, le vent était fort mais ce n’était pas dangereux d’après moi, même si c’est vrai que ça s’est accentué en fin de course et que je n’étais plus là (sourire). Les organisateurs se démènent pendant un an pour trouver des partenaires, pour rendre cet événement possible, on connaît les problématiques qui sont les leurs… J’ai dit aux gars de ne pas jouer les syndicalistes. On sait que l’on doit parfois courir dans des conditions pas très agréables, ça fait partie du métier”. L’ancien sociétaire de l’Armée de Terre et de Delko a notamment échangé avec Laurent Pichon (Arkéa-Samsic) durant la course. “Il m’a dit que l’on ne s’arrêterait que quand il serait trop tard. Je comprends son point de vue, mais au moment où on a pris le départ, je ne trouvais pas justifié d’annuler la course et après coup, je pense aussi que c’était la bonne décision de continuer”.

« CE N’EST PAS MOI, EN VOITURE 19, QUI VAIS POUVOIR JUGER »

Régulièrement citée parmi les formations à l’initiative d’une éventuelle neutralisation, la Groupama-FDJ était dirigée par son ancien coureur Benoît Vaugrenard sur les BDA. Également représentant des directeurs sportifs pour le protocole de discussion des conditions météo sur ce week-end de course, il explique à DirectVelo : “on s’est concertés avec le président du jury et l’organisateur avant le départ. Ils se sont renseignés sur la météo et ont estimé que ça irait car les rafales ne devaient pas dépasser les 70 km/h. Autrement dit, c’était limite mais praticable”. Une fois la course lancée, il considère que ce n’était plus à lui de jouer un quelconque rôle. “Ce sont aux organisateurs et surtout aux commissaires de prendre des décisions. Les commissaires sont juste derrière le peloton, ils voient ce qu’il se passe. Ce n’est pas moi, en voiture 19, qui vais pouvoir juger si c’est trop dangereux ou non”.

Alors la course se poursuit et va jusqu’à son terme. 72 concurrents terminent l’épreuve pour 68 abandons. Tandis que le peloton explose au fil des difficultés et des rafales de vent, chacun tente de rester sur sa machine malgré des moments délicats. Il y avait deux endroits où c’était limite. J’ai vu des coureurs tomber à cause du vent. Deux de nos coureurs, notre leader Maxim Van Gils et Ramses De Bruyne ont été éjectés du premier groupe à cause de ça”, lâche Maxime Monfort. “Certains de mes coureurs ont été poussés par le vent dans le fossé, sans tomber. Ils ont posé le pied à terre. C’était limite, c’est sûr. Plus encore sur la deuxième boucle”, ajoute Benjamin Giraud.

« ÇA AURAIT PU ÊTRE UN CARNAGE »

L’ancien double vainqueur de Paris-Camembert, Dorian Godon, admet avoir même eu “un fou rire” nerveux pendant la course, “tellement c’était n’importe quoi !”. Et pour cause : lui aussi s’est retrouvé plusieurs fois dans le bas-côté à cause des rafales de vent. “Je tiens bien sur le vélo car je suis plus lourd que les grimpeurs, mais quand même… Il y a une partie du circuit sur laquelle c’était vraiment limite”, déclare le coureur d’AG2R Citroën. Galère identique pour Jordan Jegat au Team CIC U Nantes Atlantique. “Je me suis retrouvé deux-trois fois au fossé à cause du vent. Je n’arrivais pas à tenir le vélo correctement, il y avait parfois de très grosses rafales. Comme je suis assez léger, je me faisais bouger même si j’essayais de bien me positionner. J’ai même dû m’arrêter brièvement une ou deux fois pour poser le pied à terre”.

Malgré ces moments difficiles et une période de tergiversation, tous s’accordent après coup pour dire qu’il n’y a certainement pas scandale à avoir couru dans ces conditions.Je considère que les commissaires ont bien fait leur boulot. Ils se sont renseignés et effectivement, ils avaient raison. Même si c’était limite, ça s’est bien passé”, souligne Benoît Vaugrenard. “En vrai, ça passait car on s’est vite retrouvés avec plein de petits groupes. Mais avec un peloton de 80 mecs dans la partie la plus délicate, ça aurait pu être un carnage. Alors oui, on peut toujours se dire qu’on attend un gros accident pour faire quelque chose mais honnêtement, si on avait arrêté ou qu’on n’était pas parti du tout, on n’aurait pas été content non plus, il faut le dire. C’est difficile de savoir qui a tort ou raison dans ces cas-là. Je pense que ça allait, au final”, appuie Julien Bernard, avant d’ajouter : “De toute façon, je ne me considère pas comme l’un des patrons du peloton, ce n’était pas à moi de prendre une décision et dans tous les cas, je ne me voyais pas m’arrêter et prendre en otage les organisateurs”. Le mot de la fin revient à Romain Combaud pour DSM : Si on s’était arrêtés sur la ligne, ça aurait sûrement été pour enlever un tour de circuit et écourter la course, mais pas pour complètement arrêter. Après coup et selon moi, on peut dire qu’il n’y a rien à reprocher aux organisateurs”.

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