Stéphane Javalet : « Soyons honnêtes... »

Difficile marge de manœuvre pour Auber 93. Il y a d'un côté les équipes WorldTour, qui ne laissent ni les meilleurs jeunes à recruter, ni l'argent du sponsoring qui permettrait aux formations Continentales de mettre un peu de beurre dans les épinards. De l'autre, les clubs DN1, concurrents sérieux dans la formation des jeunes... Stéphane Javalet, le Manager du club francilien, peine à dessiner les contours de sa saison 2016, comme il le confie à DirectVelo. Mais avec sa passion d'éducateur chevillée depuis 22 ans, il reste optimiste.

DirectVelo : Voilà quasi trois mois que votre coureur Steven Tronet est devenu Champion de France. Est-ce que le titre vous a aidés à trouver de nouveaux sponsors ?
Stéphane Javalet : Pas vraiment. Ce titre est un bonheur immense, le public nous soutient, des managers d'équipes concurrentes nous ont dit qu'ils étaient contents pour nous... Mais il n'y a pas de quoi bomber le torse. Pour ce qui est de nos finances et de notre contrat de sponsoring, nous sommes dans la même situation que l'an passé ! C'est-à-dire dans l'attente...

Comment l'expliquez-vous ?
Peut-être qu'on ne brille pas assez pour certains décideurs. Etre perçu comme « petit », c'est un atout mais aussi un inconvénient...

« JE NE REGARDE PAS LA CARTE D'IDENTITE DES MECS ! »

Vous rempilez donc pour un an en Continental ?
Oui, nous aurons bien une équipe Continentale en 2016. Mais c'est très dommage et usant de travailler sur le court terme. J'ai un plan sur trois ans, un beau projet, avec l'objectif de monter une équipe Continentale Pro, parce que nous avons des choses à apporter au cyclisme professionnel, une expérience et des valeurs à partager, y-compris à ce niveau. Au lieu de ça, je ne sais même pas combien de coureurs nous aurons l'année prochaine. L'effectif tournera une nouvelle fois autour de dix, peut-être onze noms. C'est le comptable qui me donnera la réponse ! Nous refusons de rogner sur les « prestations » que nous apportons aux coureurs. Alors, le seul poste sur lequel nous pouvons économiser, c'est un cycliste salarié.

Vous avez quitté la deuxième division mondiale en 2004. Votre credo est-il resté celui de la formation ?
C'était l'ambition au départ et c'est essentiellement ce que nous faisons. Mais pas à 100%. Concrètement, il y a des coureurs que nous formons sur deux ou trois ans. Mais nous avons aussi des « cylindrées » comme Guillaume Levarlet, l'ex-professionnel, ou Théo Vimpère, qui a déjà passé trois saisons chez nous, ou encore Steven Tronet, notre capitaine de route, qui est resté quatre ans. Ces coureurs-là ont la mission de transmettre de l'expérience et d'apporter des résultats. Car en cyclisme, les résultats sont obligatoires pour contribuer à la bonne marche d'une équipe...

D'où le fait que vous n'avez pas que des jeunes ?
Je ne regarde pas la carte d'identité des mecs. Qu'ils aient 21 ou 26 ans, ils peuvent être « jeunes » dans le peloton. Prenons le cas d'un coureur qui s'est consacré aux études jusqu'à ses 24 ans. Trois ans plus tard, il est encore en formation. Beaucoup d'équipes ne voudront pas lui donner sa chance parce que, dans l'absolu, à 27 ans tu es « vieux » pour le cyclisme. Moi, je pense qu'on peut arriver à maturité sur le tard.

« PARFOIS, LA MARCHE DU WORLDTOUR EST TROP HAUTE »

Quand elles ont été lancées par l'UCI en 2005, les équipes Continentales avaient principalement un rôle de « formation ». La réforme du cyclisme, qui a été enterrée, prévoyait de renforcer cette vocation, en intégrant une Continentale au sein de chaque équipe WorldTour, comme une sorte de « réserve » active. Comment définissez-vous votre rôle aujourd'hui ?
Soyons honnêtes, les Continentales subissent une évolution pas très enthousiasmante. Dans les faits, où courent les meilleurs Espoirs ? Dans les clubs de DN1. Quand ils ont 20 ans, ils sont recrutés par les WorldTour. Cette démarche est parfois payante, mais il y a aussi du « déchet »... Quoi qu'ils en soit, au moment des transferts, nous avons du deuxième, voire du troisième choix. De plus en plus, je prends des coureurs avec qui j'ai envie de travailler. Les « bons » que nous pensons recruter ont parfois une attitude désinvolte : « Je signe chez toi si je n'ai pas mieux ». Ils me font attendre. J'ai l'impression de passer après tout le monde.

A leur place, vous iriez plutôt dans une équipe WorldTour que Continentale, non ?
Probablement. Mais il y a la manière. Certains coureurs nous traitent de façon inélégante. Quant au choix entre une WorldTour et une Continentale, mieux vaut le réfléchir mûrement : parfois la marche est trop haute, les coureurs passent trop tôt à plus haut niveau et ils en ressortent cassés...

Pour prendre son temps, mieux vaut-il une DN1 ou une Continentale ? Votre calendrier est déjà ardu, par exemple.
Notre programme de courses est très intéressant. C'est un aperçu du très haut niveau puisque nos coureurs sont régulièrement confrontés à ceux des équipes WorldTour. Les types d'épreuves et de parcours sont variés. Pour le coup, nous sommes tout à fait dans le cadre de la formation. Et nous pouvons adapter les programmes. Chez les plus jeunes, nous prévoyons plus de plages de repos...

« ENTRE LES EQUIPES, C'EST DU CHACUN POUR SOI ! »

Vous avez essayé de créer des liens avec des équipes de première division ?
Oui, en 2012, avec la FDJ. Mais le projet n'a pas abouti. L'idée est pourtant très intéressante : l'équipe WorldTour place un coureur chez nous et paie en contrepartie les charges patronales. Un an plus tard, quand elle récupère son coureur, il est prêt pour le haut niveau ! Hélas, dans le peloton, c'est du chacun pour soi. Les coopérations, les partenariats ne sont plus à l'ordre du jour.

Dans ces conditions, comment dessinez-vous la saison 2016 ?
Dans la continuité d'une équipe 2015 qui s'est montrée très motivée, très combative, qui a gagné des courses de valeur [Auber 93 est actuellement classée 2e de la Coupe de France-PMU par équipes, NDLR], qui a une belle énergie. J'ai du plaisir à travailler avec ces gars et ceux qui nous rejoindront s'inscriront dans un collectif solide. Quant aux projets sur le long terme, j'y travaille évidemment toujours... En dépit du contexte difficile, nous avons une carte à jouer.

Photo : Stéphane Javalet, 2015 / crédit : Thomas Maheux – www.thomasmaheux.photodeck.com
 

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