La Grande Interview : Sofiane Merignat

Sofiane Merignat restera pour toujours le premier vainqueur du Challenge BBB-DirectVelo, catégorie Juniors (voir le classement). Ses amis, ses « collègues » comme il dit, peuvent-ils en apprécier la portée ? Dans son quartier, le grimpeur du VC La Pomme Marseille, vainqueur de la Classique des Alpes Juniors et du Tour PACA, est un cycliste isolé. Mais il aime les deux : le vélo et son quartier. Comme Marcel Pagnol, il vient d'Aubagne. Et trouve pour le moment son équilibre dans cette ville tranquille à l'est de Marseille, proche de la plage de Cassis et des petits cols pour travailler le coup de pédale. A tel point qu'il ne se voit pas encore partir. Etixx-Quick Step aurait voulu le mettre à l'essai sur un stage en décembre ou janvier, au milieu des pros du WorldTour. Mais Merignat est resté chez lui pour s'entraîner avec son club et suivre son Bac Professionnel en installation thermique. "Ce sera pour une autre fois", dit-il.

DirectVelo : Ta victoire dans la Classique des Alpes Juniors reste mémorable. Non seulement parce que tu attaques de loin mais parce que tu termines couvert de sang, après une chute (revoir la vidéo). Le public a éclaté de rire en octobre, lors de la Soirée DirectVelo, à Bois­-Colombes. Tu avais une façon très détachée de raconter ta course : « Je me suis relevé direct ! J'ai pas cherché à comprendre ! ». Presque un dessin animé...
Sofiane Merignat : C'est la vérité ! Je ne me suis pas posé de question. Dans la descente du Mont du Chat, j'étais seul en tête et je chute au bout de deux kilomètres, dans un virage avec des graviers. Je ne suis pas mort ? Alors, je continue ! De toute façon, je suis du genre à aller jusqu'au bout. Mais je peux te dire que j'ai souffert... Le côté gauche était ouvert : genou, coude, cheville.
Quand je suis arrivé dans la plaine, la douleur s'est estompée, je ne pensais qu'à la victoire. J'ai eu mal le soir même et dans les deux ou trois jours qui ont suivi.

Que veut dire pour toi « aller jusqu'au bout » ?
J'ai abandonné une seule fois en 2015, en tombant sous la pluie à Bourg-­de-­Péage. Je n'arrivais plus à me relever ! Le reste du temps, même blessé, je continue. Sur la Classique des Alpes, j'aurais pu souffrir encore plus que je n'aurais pas enlevé le dossard. Je ne peux pas faire 1000 kilomètres de voiture pour finir comme ça. Et je ne veux pas décevoir les gens. Je pense aux mecs du club, à ceux du Comité de Provence, à mon père, à toutes les personnes qui me permettent de faire du cyclisme dans de bonnes conditions.

« A FORCE DE TE DIRE : 'J'AIME LES BOSSES'... »

Il paraît que tu n'étais pas tout à fait grimpeur avant 2015...
Je ne me considérais pas comme un grimpeur ! Pour ma première année Junior, je pensais même être sprinter !

Comment es­-tu passé d'un registre à l'autre ?
J'ai pris confiance en moi. Avant la saison 2015, j'ai perdu un peu de poids, j'ai acquis un coup de pédale véloce, j'ai commencé à me sentir à l'aise. Lors du stage avec le VC La Pomme Marseille, j'ai vu que je passais bien les bosses. En course, ça s'est confirmé. J'essaie de monter l'Espigoulier plus souvent qu'avant – qui est au programme du GP La Marseillaise, il se trouve non loin de la maison. Mais l'essentiel du travail est mental. Un jour, je finis par me demander : « Et si j'étais grimpeur ? ». A force de te dire : « J'aime les bosses », tu finis par les aimer vraiment.

Auparavant, cette méthode de persuasion ne marchait pas ?
Il me tardait d'arriver en haut des bosses ! Mais il y avait quand même des petits signes... Sur la Classique des Alpes Juniors en 2014, je passe le premier col dans les trente premiers. J'étais étonné de me retrouver en si bonne position. Et puis je crève dans un virage et je crève mes deux boyaux. Comme ma voiture d'équipe suivait un coureur à l'avant, j'ai attendu vingt minutes pour être dépanné. J'ai terminé tranquille.

Sans cette chute, tu aurais peut­-être pris conscience de ton potentiel ?
Qui sait ? C'est bizarre, le destin. En 2014, je chute un virage plus tôt que celui où j'ai failli tout perdre en 2015 !

« J'AI LE GOUT DU RISQUE »

Sur la Classique des Alpes, tu te révèles non seulement grimpeur mais aussi attaquant au long cours. C'est ta marque de fabrique ?
Oui, j'ai souvent besoin de bouger ! J'ai perdu trop de courses dans des sprints à deux : contre Pavel Sivakov sur le Prix du Conseil Général de l'Ardèche (voir par ici), contre Louis Louvet sur le Tour de la Vallée de la Trambouze (voir par là), face à un Italien sur le Tour PACA... Alors, j'essaie de finir en solitaire. Sur la Classique, il y avait un trou de 2'30'' à boucher sur l'échappée. Or, la même situation s'est produite sur le Tour PACA et nous n'étions pas revenus assez tôt. Ici, j'ai pris mes responsabilités.

Ton directeur sportif, Mathieu Delarozière, semble aimer ton côté « feu d'artifice ». Mais il parle aussi de la nécessité de te « canaliser ».
C'est normal. Mon instinct me dit qu'il ne faut pas attendre 100 km dans les roues pour aller chercher une dixième place. J'ai le goût du risque : à la fin je gagne ou je perds. Mais pour ma première saison chez les Espoirs, je vais devoir faire un peu plus attention.

Ce n'est pas une blague, ton prénom Sofiane signifie « qui marche rapidement ! »
Je l'ignorais. Ça tombe bien ! Une bonne coïncidence !

Une réalité ?
Disons que j''ai un caractère impatient. Je voudrais réaliser de bons résultats cette saison, particulièrement en montagne. Le GP Souvenir Jean-Masse, en février, sera un premier objectif. Puis viendra la Ronde de l'Isard, au mois de mai. Je sens bien qu'il y a des attentes autour de moi et je voudrais confirmer. C'est vrai dans la saison en général, c'est vrai en course également. On l'a dit, je n'aime pas attendre. C'est drôle... Peut-­être que ça remonte à l'école de cyclisme.

« MON ETAT D'ESPRIT : TOUJOURS A BLOC ! »

L'école de cyclisme, elle t'a transformé en pile électrique ?
J'ai des souvenirs extraordinaires ! J'ai commencé au Vélo Club Aubagnais à l'âge de six ans, parce que j'étais hyperactif, toujours dehors, dans la rue. C'était une ambiance familiale. Quand on allait à l'Etang de Berre, à une heure de route, j'avais l'impression de voyager loin ! Chaque année, on partait en stage dans le Var, à Flassans­-sur­-Issole : il y avait du footing le matin, du cyclo­-cross, une chasse au trésor le dernier jour... Beaucoup de rigolade aussi. Je voulais toujours bien faire, toujours progresser, toujours gagner. Mon Championnat du Monde, c'était le Trophée Santonnier, qui rassemblait des écoles de cyclisme de partout. L'événement avait lieu sur un week­end, à Aubagne, à cinquante mètres de chez moi ! La famille et les amis venaient, j'avais une pression de fou.

Tu avais besoin de cette pression, non ?
Plus je l'avais, plus je marchais. Je l'avais tellement qu'il m'arrivait de vomir au départ. Le Trophée Santonnier, je l'ai gagné trois fois. Je n'ai jamais retrouvé un tel niveau de pression. C'est redescendu depuis ces années-­là. Je suis un peu plus détendu sur les courses. Mais toujours aussi à bloc !

En­ dehors des compétitions, tu es dans le même état d'esprit ?
Je peux être très calme. Mais tout ce qui touche au cyclisme me transcende. Je vais encore vous raconter un truc sur l'école de cyclisme. Tous les mercredis, à l'entraînement, on faisait des petits challenges entre nous, des cyclo­-cross, des exercices, des jeux, et nous marquions des points. Il y avait aussi des points pour ceux qui lavaient leur vélo. A la fin de la saison, en fonction du score, on pouvait gagner un maillot. Je peux vous dire que mon vélo était toujours nickel...

Et depuis que tu as rejoint le VC La Pomme fin 2014 ?
Le matériel est moins propre, c'est vrai ! [rires]

« JE SUIS TRES ATTACHE A MON QUARTIER »

Pourquoi prends-­tu une licence en deuxième catégorie cette saison ? Volonté de te « canaliser », justement ?
Je vais y aller crescendo ! Prendre de la confiance, essayer de gagner et si possible taper plus haut.

Depuis 2010, tous les vainqueurs de la Classique des Alpes Juniors ont rejoint Chambéry Cyclisme Formation : Alexis Dulin, Pierre Latour, Dorian Lebrat, Aurélien Paret-­Peintre, Rémy Rochas. Pourquoi pas toi ?
Je me sens bien au VC La Pomme Marseille. J'y ai mes repères, un bon suivi, un bon programme. Pourquoi aller me brûler les ailes ailleurs ? J'ai besoin de bien structurer ma carrière. Je vais privilégier mon environnement. Pendant au moins un an, je reste fidèle à Marseille. Ensuite, on verra.

Cet environnement qui te rassure, quel est-­il ?
La famille, les collègues, le quartier. J'ai besoin de voir des visages familiers. A Aubagne, je suis très attaché à mon quartier, le Petit Canadel. C'est là que j'ai grandi, je connais presque tout le monde. J'aime bien aller en bas de chez moi, m'asseoir sur un banc en face du café et discuter avec les collègues. On parle de tout, de rien, de nous, de nos projets...

« AVEC LES COPAINS, ON RESPECTE NOS DIFFERENCES »

Ils comprennent que tu sois cycliste ?
Au début, non. Je jouais au foot, comme la plupart d'entre eux. Je faisais des tournois de non-licenciés et ils n'ont pas compris que je change de sport. Mais depuis douze ans, ils ont eu le temps de s'y faire ! [rires] Quand j'ai le temps, je vais les voir jouer sur le terrain. Parfois, c'est eux qui m'encouragent sur les courses de la région. Le vélo leur semble bizarre. Ils me demandent toujours : « C'est quand qu'on te voit sur le Tour de France ? ». Pour eux, le vélo se résume à ça. Ils sont aussi surpris de voir la diététique d'un cycliste.

Et tu sens un peu sur le banc de touche, par rapport à eux ?
Non, non ! On se respecte, on s'apprécie avec nos différences. Je me rappelle d'une fois où on part regarder un match de foot à la télé, dans un snack. Les collègues étaient tous au kebab­-frites. Moi je commande une salade avec du poulet, un truc simple à 7€. Ils ont rigolé. Voilà, c'est ça, on rigole beaucoup entre nous !

Vous êtes juste des jeunes du même quartier...
Eux footballeurs ou non sportifs. Moi cycliste. Je ne suis pas obligé de faire comme tout le monde ! Le vélo colle à mon image. D'ailleurs... les grands m'ont toujours appelé Virenque !

Ils se doutaient que tu serais grimpeur ?
Ça, c'est encore une bonne coïncidence !

Crédit photo : Freddy Guérin - www.directvelo.com
 

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