Opinions : « Protégeons le cyclisme africain »

Nouvelle rubrique en 2016 sur DirectVelo : un acteur du monde cycliste donne son point de vue sur une question d'actualité, un sujet de fond dans son sport.
Ce soir : L'avenir du cyclisme africain, par Jean-Pierre Van Zyl, directeur du Centre Mondial du Cyclisme (CMC) Afrique et conseiller technique de la Confédération Africaine de Cyclisme.


« En moins de dix ans, le cyclisme a connu une véritable révolution avec l'arrivée des Africains. Il faudrait plutôt dire « évolution » tant le processus est long, à la fois passionnant et difficile à mettre en place. Le Tour de France a accueilli en 2015, pour la première fois de son histoire, deux coureurs noirs africains, Daniel Teklehaimanot et Merhawi Kudus, deux Erythréens. Et c'est maintenant un Ethiopien, Tsgabu Grmay, qui s'apprête à participer en 2016. Quel extraordinaire moment nous vivons ! Mais tout n'est pas idyllique : le cyclisme africain traverse aujourd'hui une situation dangereuse.

J'ai parfois l'impression que le cyclisme africain est en train de se couper de ses racines. J'espère me tromper mais certains signes méritent qu'on y prête attention. Sur les Championnats d'Afrique, qui se déroulent actuellement à Casablanca, au Maroc, certaines nations phares du continent n'ont pas fait le déplacement. Certes, nous ne sommes pas dans une année de qualification pour les Jeux Olympiques en ce qui concerne les hommes : les tickets pour Rio se gagnaient en 2015. Mais ces défections sonnent comme un avertissement. Il y a un risque de délitement des Championnats d'Afrique, qui étaient devenus au fil des ans le grand rendez-vous du continent, celui pour lequel chacun se prépare et vient se confronter aux autres nations.

LE CYCLISME AFRICAIN EST DEVENU UN FRUIT JUTEUX

Il ne faut pas que l'Afrique oublie l'Afrique. Le Team Dimension Data, qui succède au Team MTN-Qhubeka, joue un rôle important dans le développement de certains athlètes et la promotion du continent. Avec sa promotion en catégorie WorldTour, avec son renouvellement d'effectif, j'espère que cette équipe va continuer de travailler pour l'Afrique. Son manager, Douglas Ryder, m'a toujours dit qu'il voulait une équipe africaine. Pourvu que ça continue !

Le cyclisme africain est devenu un fruit juteux. Je trouve intéressant que des organisateurs ou des patrons d'équipes européens s'intéressent à l'Afrique, pour créer des opportunités ou partager leur savoir. Mais ils doivent beaucoup donner, pas seulement se servir.

Aujourd'hui, le cyclisme africain doit non seulement se développer mais se protéger. La meilleure façon de se protéger passe d'ailleurs par ce développement. Revenons aux bases : un projet solide, sur le long terme, proposé à un maximum de pays et centré sur l'individu. En un mot, un projet respectueux. Le cheminement d'un athlète est le suivant : détection dans son pays, formation au Centre Mondial du Cyclisme Afrique, en Afrique du Sud, puis perfectionnement au Centre Mondial du Cyclisme, en Suisse. Depuis 2005, nous avons non seulement mis en place les Championnats Continentaux mais aussi un autre moteur du cyclisme africain, le CMC Afrique, qui a formé plus de 400 coureurs.

L'EUROPE DOIT NOUS SOUTENIR

La formation doit se poursuivre et je suis heureux que l'UCI et la Confédération Africaine de Cyclisme apportent leur total soutien et leur détermination à cette ambition. Nous devons, toutefois, modifier notre approche. Par exemple, multiplier les stages afin de toucher un maximum d'athlètes et de nations, plutôt que de travailler sur les bases d'un centre d'entraînement permanent. Ainsi, le CMC Afrique va proposer de plus en plus de formations décentralisées.

Nous avons aussi besoin du soutien de l'Europe. C'est là que, tôt ou tard, les meilleurs Africains poursuivent leur apprentissage et découvrent leurs vraies capacités. J'aimerais que les équipes africaines s'installent en Europe et disputent une partie du calendrier – non pas des équipes Continentales, car nous n'avons pas assez de sponsors pour multiplier les initiatives, mais les équipes nationales, comme l'Algérie le fait en courant des épreuves françaises plusieurs mois par an. Les coureurs ont beaucoup à apprendre de l'Europe, mais aussi les directeurs sportifs, entraîneurs, mécaniciens, assistants...

L'Europe doit nous faire confiance non par pitié mais par envie de nous connaître. Tout athlète africain qui parvient au sommet a une histoire à raconter. Pas nécessairement une histoire triste, de pauvreté ou de guerre, mais une histoire heureuse. Les Africains ne passent pas leur temps à se plaindre : ce sont des gens fiers. Ils ont une vie simple, un cœur pur et ils aiment leur sport. Ils portent les valeurs essentielles de l'olympisme et c'est pour cette raison, entre autres, que nous devons les protéger et les encourager de toutes nos forces. »

Crédit photo : Pierre Carrey - DirectVelo.com
 

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