La Grande Interview : Jean Daffis

Crédit photo Zoé Soullard - DirectVelo

Crédit photo Zoé Soullard - DirectVelo

Sa gouaille, sa bonne humeur et son sourire vont manquer aux suiveurs, notamment à Pierre-Yves Chatelon avec qui il collabore depuis des années. "Lui aussi va me manquer. C'est une bonne personne. On va dire qu'il n'est pas vraiment reconnu dans la maison", lâche Jean Daffis, mécanicien à la Fédération Française de Cyclisme depuis 1985. « Jeannot » va partir à la retraite en juin prochain, avec le sentiment du devoir accompli et sans vraiment de nostalgie. Pendant 32 ans, l'Auvergnat a tout connu avec les tricolores. "J'ai fait les Jeux Olympiques de 1996 à 2012. A Rio, on m'a dit qu'il n'y avait pas de place pour moi", dit-il.
Forcément, début janvier pendant le stage de l'Equipe de France Espoirs en Maurienne, il a pris le temps de commander un vin chaud, puis un second, avant de se livrer à DirectVelo. Plongée dans plus de trois décennies de souvenirs.

DirectVelo : Tu attaques ta dernière saison après 32 années à la Fédération Française de Cyclisme : ça doit être une drôle de sensation ?
Jean Daffis : C'est une sensation particulière. Je vais totalement changer de vie. J'ai quand même eu une belle vie pendant 32 ans : des voyages, le travail avec des jeunes... Je n'ai pas de regret. Je suis toujours resté dans la même maison. Je finis heureux. Je ne sais pas si j'ai manqué des choses.

« JE BECHAIS L’HIVER »

Comment es-tu rentré à la FFC ?
Grâce à des relations. C'est (Jean-Yves) Plaisance qui m'a fait venir dans la maison. (Lucien) Bailly venait d'arriver comme DTN. Il a structuré la FFC. Il a lancé Montry (Seine-et-Marne), qui devait être le Clairefontaine du vélo. C'est finalement devenu un service-course. Mais à l'époque, nous étions en avance... La fédé avait besoin de personnel. J'ai été embauché. J'étais jusqu'alors cycliste. J'ai couru dix ans en première catégorie, en Auvergne, à Saint-Pourçain (Allier). C'était un gros club à l'époque. Plein de pros sont passés là-bas.

Tu aurais pu être cycliste professionnel ?
J'ai eu une touche, une fois. C'était avec l'équipe Miko-Mercier de Danguillaume. Mais j'étais salarié à la ville de Montluçon. J'avais une bonne situation, mon salaire tombait tous les mois. Je ne faisais pratiquement que du vélo. Le maire était fou de vélo. Il était même président du club cycliste de l'Assemblée Nationale. Nous n'étions pas du même bord politique mais j'ai eu beaucoup de facilités. J'étais employé aux espaces verts.

On n'a pas dû beaucoup t'y voir ?
Bah si quand même ! Je bêchais l'hiver. C'était ma musculation. Je n'étais pas souvent là l'été, c'est vrai. J'avais une bonne situation. A l'époque, tu avais trois-quatre gars qui passaient pros par an. Ce n'est pas comme maintenant où il en passe des brassées chaque hiver. Tu passais pro pour 10 ans mais il fallait avoir fait ses preuves. Je n'ai pas insisté quand j'ai eu cette touche chez les pros.

« ON ALLAIT PARTOUT »

Finalement, c'est à la FFC que tu es resté très longtemps. Tu l'aurais imaginé en 1985 ?
On ne peut jamais savoir. J'étais presque là par hasard. C'est passé très vite... J'ai fait jusqu'à 240 jours de course par an. On faisait le tour du monde. C'était structuré différemment. L'Équipe de France disputait des grandes courses toute l'année. Je suis allé au Tour du Mexique, au Tour d'Uruguay, au Tour d'Egypte... On allait partout ! Ce type de courses existe encore mais on n'y va plus. Elles sont ouvertes aux pros. Les choses évoluent. Il n'y a plus beaucoup de places pour les équipes nationales. Le système a changé. On peut trouver ça bien ou mal. Ça dépend du côté où l’on se trouve.

Et tu n'as jamais cherché ailleurs ?
Non. J'ai toujours été bien dans la maison. Et puis, c'est la sécurité... Je n'avais pas de soucis à me faire.

La nostalgie commence à s'installer chez toi ?
Non. Je ne me retrouve pas dans l'évolution que ça prend. Je vais passer le cap.

Le vélo va te manquer ?
Je ne sais pas mais pour le moment, je ne crois pas. Je prépare bien la suite. Il y a d'autres activités à faire.

A quoi vont ressembler tes journées ?
Je n'ai pas envie de me tourner vers des activités sportives. Je souhaite avoir des activités culturelles, voyager... Pendant ma carrière, je suis allé dans 49 pays. J'ai connu beaucoup de cultures. Je cause anglais et allemand. Je veux revoir certains pays. Si je n'avais pas fini ici (à la FFC, NDLR) j'aurais voulu travailler dans une agence de voyages. Être guide touristique m'aurait plu... J'ai sillonné les routes pendant 35 ans. Je connais tous les traquenards de l’Europe entière ! J'en ai fait des villes, des montagnes, des campagnes…

« AU MEXIQUE, LA VOITURE EXPLOSE… »

Tu as dû voir de sacrées choses...
Il y a eu de sacrées aventures avant 89. C'était quelque chose à chaque fois que nous allions à l'Est. On passait une journée à la frontière à être fouillé, à remplir des papiers... On rentrait dans un monde « bizarre ». A Prague, il n'y avait pas de voiture. Vous imaginez ? Il y a 25 ans de ça. Il n'y avait même pas d'essence. On donnait des bidons aux gens qui nous accueillaient et ils allaient la nuit acheter de l'essence au marché noir. Il n'y avait pas d’hôtel non plus. On logeait dans les vestiaires des stades. Le monde a évolué trop vite. Chaque mission était une aventure... Je me souviens d'un Tour du Mexique sur 20 jours. Sur place, ils te donnaient une voiture : un combi Volkswagen. Tu avais un chauffeur. Sur la première étape, on fait dix bornes et la voiture explose. Le chauffeur s'est mis derrière la voiture à faire la prière. Les coureurs étaient loin. On les a retrouvés le soir !

Que s’était-il passé ?
Le vase d'expansion était en plastique. Il a explosé... Il restait quatorze jours de course à faire. Nous avons fini l'étape accrochés à une dépanneuse. Parfois, tu arrivais à l’hôtel à minuit. Maintenant, tout est programmé... Il n'y a plus de surprise.

Ces galères te manquent ?
Ce n'était pas des galères mais des aventures. C'est sûr qu'il n'y avait pas une heure de massage par coureur le soir ou la machine à laver le linge. C'était une autre vie mais on s'y faisait. Tout le monde participait... L'ambiance était meilleure. Maintenant, chacun est dans son coin.

« ON BUVAIT DU ROUGE À TABLE AVEC LES COUREURS »

Les coureurs ont changé ?
Je n'ai aucun problème avec les cyclistes. Enfin, je crois. Il y a bien sûr une différence de génération. On n'a pas les mêmes occupations mais ils me respectent, je pense. Je ne cherche pas à être trop proche des coureurs, sinon tu n'es plus respecté.

Certains t'ont marqué ?
Je remonte encore dans le temps mais à l'époque, certains restaient pendant une décennie avec nous. Un mec comme Pascal Hervé, je l'ai eu dix ans en Equipe de France. C'était un bon vivant. On buvait du rouge à table. C'était différent. Maintenant les coureurs passent. On n'a pas le temps de les connaître. C'est devenu ponctuel.

Tu as gardé le contact avec certains ?
Très peu. (Johan) Le Bon m'envoie ses vœux tous les ans. (Nicolas) Vogondy également. Je ne les vois qu'une fois par an, au Championnat du Monde bien souvent, mais il y en a des « comme ça ».

Qu'est-ce que tu te dis quand Johan Le Bon t'envoie ses vœux ?
Je me dis « quand même ». Il respecte le travail que j'ai pu faire. Tous ont des bons souvenirs de leurs années chez les jeunes, avec nous. Aujourd'hui, ils sont dans un système où il n'y a plus trop de plaisir. Quand on les voit au Championnat du Monde, ils sont contents. Ça les change de leur système à eux.

« DES VOITURES BLINDÉES ET LE PRÉSIDENT EN COLOMBIE »

Ta carrière a aussi été marquée par ta collaboration avec Jeannie Longo...
Tout le monde a enterré Longo mais à l'époque c'était quand même une personnalité. Elle représentait la France... Dès que tu allais faire une compétition, à la fin de la course, tu étais au moins invité par l'ambassade voire plus. En 1995, Longo est restée trois semaines supplémentaires en Colombie, avec moi, après le Mondial pour battre le record de l'heure. Nous avons été reçus par le président de la Colombie (Ernesto Samper Pizano, NDLR). Il y avait un protocole à respecter. Nous sommes passés par l’ambassade de France. Je n'avais pas de costume ! L'ambassadrice m'a emmené dans les magasins chics de Bogota... Tout ça en voiture blindée ! Vous imaginez ?

Pas vraiment...
Il y avait des risques d'enlèvement à l'époque. Alors tous les jours, quand elle allait s’entraîner, on descendait par l'escalier de service de l'hôtel. On allait au vélodrome avec deux voitures blindées... Il y avait même un flic qui couchait devant sa chambre. Et on avait même des flics avec des mitrailleuses autour du vélodrome ! Il y avait aussi Indurain qui tentait lui aussi de battre le record de l'heure... Il avait 100 personnes autour de lui, et nous nous n'étions que deux pendant sa préparation. Pour aller voir le président de la Colombie, on a traversé tout Bogota avec deux voitures blindées : une avec l'ambassadrice de France et Jean Daffis, l'autre avec Monsieur l'ambassadeur et Longo. On t'ouvre les portes de la voiture à ton arrivée chez le Président. En me voyant, il me dit : « Monsieur, on va aller boire une bonne bouteille de vin. » Un moment comme ça, ça ne s'oublie pas.

Et en France, tu as déjà eu le droit à un accueil présidentiel ?
Longo était dans la politique. J'ai rencontré Chirac quand il était maire de Paris. Quand nous sommes revenus de son record de l'heure à Mexico, en 1989, nous avons été reçus à la mairie de Paris. J'ai salué la foule depuis le balcon ! Je n'ai pas de photos de ça. A l'époque, il n'y avait pas internet... J'ai très peu de souvenirs photographiques !

UN DOSSIER SUR CHAQUE COURSE

C'est un regret ?
Bah oui ! Ça serait bien. Il faudrait que j'en cherche.

Pendant ta retraite ?
Ça me ferait une occupation. J'ai fait un dossier de chaque course où j'ai été. C'est chez ma mère à Montluçon. Il n'y a pas assez de place chez moi à Coulommiers. J'ai mis tout ça dans une grande caisse.

Que gardes-tu ?
Le programme de la course, des éléments sur l’hôtellerie... Ce que j'ai pu ramasser pendant les courses. Il y a aussi des listes des engagés. Tu vois des noms parfois... J'ai eu Jalabert en Juniors, je ne m'en souvenais même pas ! A la fin de sa carrière, un bouquin est sorti et on me voit avec lui sur une photo. Je suis assis sur le capot de la voiture. Chez les jeunes, il n'a rien fait de plus que les autres. On voit passer tellement de coureurs.

Ça s'est toujours bien passé entre eux et toi ?
Je n'ai jamais eu de vrai conflit. On a eu des vedettes ! Je pense à Menthéour... Au Tour d'Autriche, il vendait les vélos. Il disait aux gens qu'il croisait qu'on allait les vendre à la fin de la course. Le dernier jour, les gens venaient me voir avec de l'argent pour venir chercher leur vélo. J'étais obligé dire que ce n'était pas vrai. Lui, c'était une vedette. On a vu ce qu'il a fait après (rires). Nous avons une bonne idée de la psychologie d'un coureur quand il passe chez nous. Les gens la découvrent quand ils sont professionnels... Nous, on le sait bien avant. Mais nous, on n'y connait rien (ironique).

Tu suis leurs performances chez les professionnels ?
Je regarde les résultats.

« LE BUSINESS DIRIGE »

On t'imagine mal te poser devant la télévision pour regarder une course de vélo...
Ah si. Mais quand j'ai le temps. Ils n'en passent pas tant que ça à la télévision. Je n'ai pas les chaînes payantes. Je ne vais quand même pas payer la télé ! Ça se résume donc au Tour de France... L'an dernier, j'ai regardé quasi l'intégralité du Tour de France.

Tu t'es fait des amis dans le vélo ?
J'en ai, et dans beaucoup de pays. Avant, on retrouvait toujours le même encadrement. Il y avait des bonnes soirées, de l'entraide... Maintenant, il y a tout dans le camion. On vit dans son coin.

Et ton métier a évolué ?
Oui. La mécanique évolue. Nous sommes souvent les premiers à avoir le nouveau matériel. Tu t'adaptes... Je n'ai jamais fait de formation. On découvre sur le tas. Il n'y pas d'école qui prépare à ça de toute façon, et je n'ai jamais été chez les fabricants. Il aurait peut-être fallu. On découvre les problèmes au fur à mesure.

Quand tu t'es retrouvé en 2016 au Championnat du Monde au Qatar, avec quasiment aucun spectateur au bord des routes, que t’es-tu dit ?
Que le sport a changé. C'est le business qui dirige. La société est devenue comme ça. Celui qui paie a raison. Ça coûte trop cher. La Norvège n'est pas un pays malheureux et il y a eu des problèmes financiers à Bergen. Vu de l'intérieur, au Qatar, j'ai fait comme d'habitude. Je n'ai pas été traumatisé. On suit nos coureurs, on regarde la course. Ça passe vite... ça roulait vite !

« J’AI ÉVITÉ UN DIVORCE »

Qu'est-ce que les gens vont retenir de toi ?
Ma bonne humeur, peut-être. Je ne pense pas avoir été trop chiant. C'est ma philosophie de vie. Je suis célibataire. J'ai profité de la vie tant que j'ai pu. Je n'ai pas été malheureux. J'ai eu plusieurs vies. J'ai vécu autour du vélo. C'était ma priorité. J'ai ainsi évité un divorce et des pensions alimentaires ! Je ne dois rien à personne. J'ai bien géré ma vie. J'ai un appartement qui est à moi. Maintenant, j'ai envie de m'acheter un truc au Portugal. Je vais aller vers plus de soleil. Et le prix de la vie est moins cher là-bas. Ça me permettrait de garder mon train de vie. Je ne veux pas être obligé d'être enfermé chez moi faute de bien gagner ma vie.

Tu reviendras sur les courses ?
Il faut voir. Si on m'invite à un truc en particulier, pourquoi pas. Mais pas sur une course sur route. Ça ne vaut pas le coup d'être dans la bagnole. Je n'ai pas envie d'être derrière les barrières non plus. Au Tour de France, personne ne te reconnaît si tu n'as pas une invitation…

Il reste Facebook...
Ah oui, je me suis fait un compte l'an dernier. Ça sert à communiquer entre nous dans le travail. J'ai suivi le mouvement. Je ne l'utilise pas beaucoup. Ça m'est surtout utile pour m'informer. Je trouve ça sympa quand même car on retrouve des gens « disparus » depuis très longtemps.

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