La Grande Interview : Alexandre Delétang

Crédit photo Zoé Soullard - DirectVelo

Crédit photo Zoé Soullard - DirectVelo

Se donner les moyens de réussir. Une notion à la fois basique, large, mais pleine de sens et essentielle lorsque l’on prétend vouloir faire carrière dans le sport de haut-niveau. Promis à un bel avenir à son arrivée dans la formation de l’Armée de Terre en 2012, Alexandre Delétang n’a pourtant encore jamais exploité tout son potentiel. Pas assez impliqué, pas suffisamment “assisté”, mais aussi trop têtu, le natif de Chambray-lès-Tours, en Indre-et-Loire, qui vit toujours aux environs, à Descartes, a longtemps donné l’impression d’un coureur au talent gâché. Déprimé par sa propre situation, l’athlète de 24 ans s’est laissé aller, petit à petit, au point de traverser la saison 2017, sa troisième et dernière à l’Océane-Top 16, comme un fantôme. L’été dernier, il a même envisagé de laisser son vélo au clou et a créé son entreprise en mécanique automobile. Mais celui qui a passé les trois premières années de sa vie au Québec, où son père travaillait, ne pouvait pas arrêter sur un tel échec. Pour la première fois de sa carrière, il s’est enfin décidé, cet hiver, à se faire épauler par un entraîneur, et a changé d’air en rejoignant la formation Creuse Oxygène Guéret. Bingo ! L’ancien adepte du BMX - de 5 à 12 ans - change radicalement sa façon de travailler, se découvre un mental et une rigueur qui lui faisaient tant défaut depuis des années. En compétition, les résultats ne se font guère attendre : vainqueur du Prix de Buxerolles, 3e du GP de Saint-Etienne Loire, 6e des Boucles de l’Essor (Elite Nationale) ou encore 6e de Bordeaux-Saintes (CDF DN1), le voilà devenu un autre homme, lui qui n’avait pas décroché le moindre Top 10 l’an passé, hormis son succès au Championnat régional. Mieux encore, il promet que le meilleur arrive pour les beaux jours. 

DirectVelo : On semble découvrir un nouvel Alexandre Delétang depuis le début de saison !
Alexandre Delétang : J’ai tout changé cette année. Pour la première fois, j’ai fait le choix de prendre un entraîneur. Surtout, j’ai réussi à me remotiver. Cela faisait deux à trois ans que je n’étais plus très motivé, et que je me demandais même si j’allais continuer le vélo ou non. Je ne trouvais aucun plaisir à faire du vélo. Quand j’allais rouler, c’était en me forçant. Mais cet hiver, je me suis lancé dans quelques cyclo-cross, pour changer, et finalement ça m’a redonné l’envie. Depuis, c’est vrai que tout se passe bien. Je me fais plaisir et c’est surtout ça le principal.

Tu avais besoin de te mettre “un coup de pied au cul” ?
C’est exactement ça ! Je suis en première catégorie depuis quelques années maintenant et je voyais bien que toutes mes saisons se ressemblaient, mis à part peut-être celles à l’Armée de Terre. Il était vraiment temps que ça change car là, ça ne pouvait pas être pire que ça.

T’attendais-tu à un tel contraste, aussi vite, entre ton année presque blanche de 2017 et ce début de saison particulièrement prometteur ?
Je suis content mais je pense que le meilleur arrive. Pour l’instant, il ne fait pas très beau et je ne roule pas encore énormément. Il me reste une marge. Je sais que je vais travailler encore plus fort lorsque les beaux jours vont arriver. Le but, c’est de marcher toute la saison, au printemps et à l’été. Je sais que je suis capable de faire mieux que ce que je réalise en ce moment, même si c’est déjà pas mal par rapport à l’an passé… 

« CA NE POUVAIT PAS EMPIRER »

Tu n’es donc pas spécialement euphorique suite à tes premiers résultats de l’année ?
J’ai souvent marché en début de saison quand même, alors ces résultats ne m’ont pas trop surpris. Et puis, je savais que ça allait marcher : quand tu passes de cinq heures d’entraînement par semaine à ce que je fais aujourd’hui, ça ne pouvait pas empirer !

Le constat semble implacable : quand on fait le travail sérieusement, on est récompensé par de meilleurs résultats ?
Déjà, ça se joue beaucoup dans la tête. Le vélo est un sport qui est vraiment dur et quand on a le mental, ça fait une bonne partie du travail. Pour le reste, effectivement, le travail porte ses fruits pour le moment. Je me contente de faire ce que me dit mon entraîneur (dont il préfère ne pas citer le nom, NDLR). Niveau entrainement, je suis ce qu’il me dit à la lettre sans me poser de questions. Je n’essaie pas d’en faire plus ou moins.

Depuis tes débuts dans la catégorie Espoirs et Elites, on a le sentiment que tu n’as encore jamais été vraiment régulier, sur une saison complète, ou ne serait-ce que sur quelques mois...
J’ai toujours été capable de bâcher quatre courses de suite, puis de gagner sur la cinquième… Je veux progresser sur ce point-là. Dans les catégories de jeunes, ça allait très bien. En fait, ce manque de régularité, il est particulièrement vrai depuis trois ans. A l’Armée, ça allait encore à peu près mais depuis mon arrivée à l’Océane-Top 16, je n’ai plus du tout été régulier. Parce que je ne faisais pas le métier, et que je m'entrainais de moins en moins.

« J’EN AVAIS JUSTE RAS-LE-BOL »

Tu sembles avoir “touché le fond” l’an passé, sportivement parlant, avec - mis à part ton titre au Championnat régional - pas le moindre Top 10 dans la saison ! Après quoi courais-tu à ce moment-là ?
J’avais un contrat avec l’Océane Top 16, un 35h. Je ne faisais que du vélo… Je me demandais ce que j’allais bien pouvoir faire si j’arrêtais le vélo pendant la saison. C’est ce qui m’a un peu forcé à continuer… Vraiment par défaut ! Je n’avais plus envie de faire de vélo. Pourtant, je m’entendais bien avec le groupe, mais j’en avais juste ras-le-bol. Ca ne m’était jamais arrivé à ce point-là.

Et tu as envisagé ton futur professionnel ?
Je l’ai anticipé. J’ai créé mon auto-entreprise l’été dernier. Je suis devenu micro-entrepreneur en mécanique automobile et depuis, je fais les deux. J’avais fait un BEP dans le secteur et depuis, je n’avais fait que du vélo pendant des années. Aujourd’hui, je travaille sur des voitures de particuliers, mais je le fais uniquement quand j’ai le temps. Je débute alors pour l’instant, c’est pour des gens que je connais et un peu grâce au bouche à oreille. L’an passé, je faisais passer ça avant le vélo mais maintenant, j’ai inversé mon ordre des priorités. Je n’ai pas un emploi du temps surchargé dans ce boulot. Travailler est sans doute d’ailleurs ce qui m’a poussé à faire le job sur le vélo. Quand on travaille, on réalise que c’est quand même moins agréable que de rouler.


L’hiver dernier, tu sous-entendais que ça pouvait être ta dernière année de compétition car financièrement, ce n’était pas tenable. Tu as donc changé d’avis ?
Oui, c’est vrai qu’il y a sans doute la possibilité de faire ça quelques années, entre la DN et mon job en micro-entreprise. Cela dépendra surtout de mon envie. Si je peux le faire encore un an ou deux, je le ferai.

« QUAND ON REÇOIT DES ORDRES, IL NE FAUT PAS TROP LES DISCUTER »

De l’extérieur, on a le sentiment que tu as perdu beaucoup de temps ces dernières années. Et c’est d’ailleurs un constat que tu avais déjà toi-même fait par le passé (lire ici) !
C’est vrai mais le problème, c’est que j’ai tendance à trop jouer sur mes qualités et à me reposer là-dessus. Avant, je n’avais pas vraiment conscience que ça ne pouvait pas suffire. J’essayais clairement d’en faire le moins possible à l’entraînement. Pour marcher, il faut tout le temps que j’ai quelqu’un derrière moi, presque à me sortir du lit et à me dire d’aller rouler.

Tu n’avais jamais été aussi impliqué que tu l’es aujourd’hui ?
Jamais ! Pourtant, à l’Armée de Terre déjà, mes collègues me disaient : “sors du lit, va rouler !”. Cela a toujours été comme ça mais je ne faisais pas les efforts. Cette année, ça y est, je me suis décidé à m’imposer un train de vie. C’est la première fois de ma carrière que je me lève toujours à la même heure et que je vais rouler assez vite dans la foulée. Je me suis pris en main.

Quand tu nous expliques n’avoir que très peu de discipline, ne pas être très sérieux et rigoureux, on t’imagine mal avoir passé trois saisons à l’Armée de Terre entre 2012 et 2014, à une époque où la formation de David Lima Da Costa était encore amateur et stricte sur la rigueur militaire…
Ca m’a quand même fait du bien car c’est vrai qu’à l’Armée, il faut être carré. Au début, je crois que je ne savais pas vraiment dans quoi je m’embarquais. Quand on reçoit des ordres, il ne faut pas trop les discuter. J’ai eu du mal à me fondre dans le moule mais au final, ça m’avait quand même fait du bien. Avant de retrouver mes bonnes vieilles habitudes... Une fois qu’on me laisse tout seul, je ne fais plus grand-chose.

« MOINS JE PARLAIS DE VÉLO, MIEUX JE ME PORTAIS »

Pourquoi avoir eu ce déclic cet hiver ?
Le déclic, je l’ai eu lorsque j’ai appris que le club de l’Océane-Top 16 n’allait pas me conserver. Aucune équipe ne m’appelait. Là, je me suis demandé si j’étais fini. Je voyais que personne ne voulait de moi.... Et puis, j’ai aussi tilté en voyant tous ceux qui étaient avec moi en Elite passer pro et s’éclater. Là, je me suis dit que si je m’étais pris en main avant, j’aurais pu être à leur place. Ca m’a beaucoup fait réfléchir. Des coureurs sans entraîneur, c’est très rare en DN1 aujourd’hui. A Creuse Oxygène par exemple, je crois que tout le monde a un entraîneur.

Et on ne te faisait pas de remarques, lorsque tu expliquais aux autres coureurs que tu n’avais pas d’entraîneur ?
Je n’en parlais pas vraiment. Moins je parlais de vélo, mieux je me portais. En fait… Je n’en parlais même pas du tout. Du coup, dans le monde du vélo, personne n’a vraiment eu l’occasion de me faire la remarque. C’est plutôt mes parents qui m’ont dit que je ne pouvais pas continuer sans entraîneur.

Jamais personne dans le milieu n’a cherché à te faire changer tes habitudes ?
Si, à l’Armée, Cédric Barre m’avait fait la réflexion. Il m’avait même trouvé un entraîneur et m’avait organisé un rendez-vous avec cette personne, qui lui-même m’avait fait des plans… Mais je ne les avais pas suivis. Je n’étais pas sérieux. C’est moi qui ai “merdé”, pas les autres.

« CAPABLE DE FAIRE L’INVERSE DE CE QUE L’ON ME DISAIT JUSTE POUR FAIRE CHIER »

Tu es têtu ?
Il y a encore deux-trois ans, je n’en faisais vraiment qu’à ma tête. Parfois, j’étais même capable de faire l’inverse de ce que l’on me disait juste pour faire chier. Il fallait toujours que ça aille dans mon sens. Si on me disait “bleu” et que je décidais “rouge”, eh bien c’était rouge.


Maintenant c’est “bleu” ?
C’est entre le rouge et le bleu (sourires). Non… Maintenant, quand on me dit de faire quelque chose, si j’ai confiance en la personne, je le fais. Avant, je ne parlais plus de vélo avec personne car sinon, c’était vite un motif de fâcherie. On s’engueulait, alors j’évitais la discussion…

Tu regrettes de n’en avoir fait qu’à ta tête vis-à-vis de certaines personnes ?
Oui bien sûr. Je pense notamment à ma mère, qui s’y connaît en sport. Elle a fait de la course à pied pendant 20 ans : elle a été Championne du Monde Masters de cross-country. Elle me faisait souvent des réflexions sur le fait de ne pas prendre d’entraîneur par exemple. Elle avait raison. Et elle, elle avait un entraîneur ! Quand elle me voyait m’entraîner, ça la faisait rire au début mais au fil du temps, elle rigolait de moins en moins.

« ON ME DISAIT : “T’ES NUL, RETOURNE EN UFOLEP” »

Tu expliquais que tu recevais pas mal de critiques pour ta façon de fonctionner : ça te vexait ?
Bien sûr que ça me vexait… Parfois, des mots sortaient et ça ne faisait pas plaisir, même s’il ne fallait pas se voiler la face et que c’était la vérité. J’étais dégoûté du vélo. On me disait : “t’es nul ! Qu’est-ce que tu fous ? Retourne en Ufolep…”, des trucs dans ce style-là. Au début, je prenais ça à la rigolade mais quand on entend ça souvent pendant des mois, ce n’est plus très drôle. Là aussi, il y a eu un déclic. Les mots blessants, ça a fini par me faire bouger.

Sur cette période où tu n’en faisais qu’à ta tête, tu as peut-être manqué l’occasion de passer pro en même temps que ta formation de l’Armée de Terre, à l’hiver 2014-2015 ?
Je me comportais comme un con. A l’Armée, ils se sont sûrement dit : “si ça continue comme ça, on ne va pas pouvoir le garder”. De mon côté, je n’avais pas forcément envie de rester non plus. Mais c’est vrai que depuis, j’ai réfléchi et je me suis dit que j’ai vraiment été con à ce moment-là. Si j’avais mis de l’eau dans mon vin, ça aurait été mieux pour moi.

Aujourd’hui, tu cours toujours après ton rêve de devenir coureur professionnel. N’as-tu pas peur d’avoir, auprès des managers d’équipes, l’étiquette d’un coureur “mentalement instable”, avec trop de hauts et de bas dans une saison ?
Je n’y ai jamais pensé. Je crois que dans mes premières années, je n’étais pas assez prêt. A l’Armée, je n’avais pas encore trop le mental. Le fait de n’en faire qu’à ma tête m’a joué des tours. Si à l’époque, j’avais été aussi sérieux que je le suis maintenant, je ne serais peut-être pas à Creuse O cette année… C’est pour ça que j’ai cogité cet hiver.

« JE ME FORCE »

Désormais, tu penses être irréprochable à l’entraînement ?
Avant, je roulais juste pour dire de rouler. L’entraînement fait tout, on le sait. Comme je vous l’avais déjà raconté, il m’arrivait de faire des sorties avec des cyclos, à 30 km/h de moyenne (lire ici). Et je me contentais de ça. Alors derrière, en course, le moindre effort ou la moindre bosse me repoussait dans le grupetto. Aujourd’hui, je fais tous les exercices que l’on me demande à l’entraînement. Bon, il y a encore des jours où je n’ai pas envie de les faire mais là, je les fais quand même. Pour l’instant, je n’en ai pas loupé un ! Je me force.

2018 sera donc ta grande année ?
Je l’espère ! Et je pense que oui. Tout le monde me soutient aujourd’hui, ça va aller ! J’ai envie de marcher sur les manches de Coupe de France surtout, parce que l’équipe m’a fait confiance en me prenant et c’est à moi de leur rendre la pareille. Je veux marquer des points pour eux.

Tes adversaires risquent de stabiloter ton nom pour les prochains week-end de compétition !
En ce moment, je reçois beaucoup de messages pour DirectVelo Manager (rires). Je crois qu’il y a des mecs qui m’ont mis dans leur équipe et qui sont contents ! A 2 étoiles, c’était une bonne côte !

Mots-clés

En savoir plus

Portrait de Alexandre DELÉTANG