Les bonifications mettent le peloton au galop

Crédit photo Pauline Ballet - ASO

Crédit photo Pauline Ballet - ASO

En 1959, Albert Baker d'Isy, adversaire des bonifications aux arrivées du Tour de France, n'est pas contre des étapes volantes dotées de secondes dans les courses à étapes d'une semaine. "Mais il serait injuste de réserver les bonifications aux « réalisateurs » qui franchissent en tête – et souvent au sprint – la ligne d'arrivée. Elles devraient aussi – et peut être surtout – récompenser les attaquants, les animateurs ceux qui tentent leur chance et qui n'en sont pas souvent récompensés!" Le journaliste mort en 1968 ne verra jamais son idée appliquée dans le Tour de France. Mais il n'est pas le premier à avoir l'idée.

En 1924, Gaston Bénac écrit dans Le Miroir des Sports sa proposition pour animer les étapes de plaine de la Grande Boucle. "Un sprint décidé brusquement sur l'ordre des directeurs de la course et des commissaires, sur lesquels ne doit planer aucun soupçon de partialité. On avertit les coureurs : dans 10 kilomètres, il y aura sprint. Et, le soir venu, on donnera à la suite du classement de l'étape, une bonification aux cinq premiers du ou des deux classements établis en cours d'étape".

Ces sprints intermédiaires existent déjà sur la piste dans les individuelles aux points et dans les Six Jours. Les courses sur route connaissent aussi ces lignes blanches avant celle de l'arrivée : elles ne donnent pas des secondes mais des billets et s'appellent des primes. Elles animent aussi la course puisque c'est en allant chercher une prime qu'Albert Bourlon se lance dans la plus longue échappée victorieuse du Tour, 253 kilomètres entre Carcassonne et Luchon en 1947.

LES POINTS CHAUDS, LES BONIF VANILLE FRAISE

En 1966, l'année sans bonif, le Tour de France met en place des sprints intermédiaires. Jusqu'en 1970, ils n'attribuent que des points. Mais ce nouveau classement, patronné par Miko, va faire tâche d'huile dans le monde du vélo grâce au nom choisi : Les Points Chauds.

Preuve de la caisse de résonance énorme de la Grande Boucle, à chaque fois que le Tour a choisi un nom pour ses sprints intermédiaires, on le retrouve dans toutes les courses par étapes. Aux "Points Chauds" Miko, succèdent le "Rush" Simca puis Talbot et le "Catch", du nom de l'insecticide. Les Catch ont en plus l'honneur d'un maillot distinctif qui attire l'oeil : un maillot rouge vif que Jean-Marie Leblanc supprimera en 1990. Quand le PMU a parrainé le maillot vert et les sprints, on aurait pu les baptiser les "Galops PMU" mais les organisateurs ont raté le coche.

Dans les étapes de plaine, les organisateurs comptent sur eux pour secouer le peloton. A l'époque de l’instauration de ces sprints bonifications en 1971, la télévision ne retransmet, au mieux, que les 10-15 derniers kilomètres, et encore, quand l'hélicoptère peut décoller. Pas besoin de partir au km 0 pour passer à la télé. Ces primes en secondes doivent faire bouger le classement général, pas provoquer des échappées. En 1972, Cyrille Guimard se sert des Points Chauds pour conquérir et défendre son maillot jaune, la première semaine. C'est au sprint intermédiaire de Saint-Méen-le-Grand, que Laurent Jalabert s'octroie le maillot jaune en 1995. C'est après la lutte pour un sprint bonification que Richard Virenque contre-attaque dans la 2e étape du Tour 1992. Le peloton ne le reverra pas et il endossera le maillot jaune à Pau. Et en 2005, c’est grâce à un sprint bonification, le dernier jour, qu’Alexandre Vinokourov remonte à la 5e place du général.

JUSQU'À 28'36" PAR TOUR

Ces emballages peuvent aussi servir à rétablir des situations. En 1979, Bernard Hinault se rapproche à 49" de Joop Zoetemelk après la 14e étape où il a raflé 40" de boni dans les "Rush". Ses équipiers de Renault-Gitane bloquent la course pour que le peloton arrive groupé au moment des sprints. En 1984, après avoir perdu du temps sur Laurent Fignon dans le contre-la-montre par équipes, le Blaireau se lance dans la bataille des Catch pour réduire l'écart. Pourtant le Breton s'affirme contre ces bonifications. "C'est de l'argent qu'il faut", lance-t-il en 1988 alors qu'il est passé dans le camp des organisateurs. Mais deux ans plus tard, en 1990, il change d'avis. "Il m'est arrivé d'émettre souvent des doutes sur [les bonifications]. Je les maintiens en partie. A la longue, la chasse aux primes peut s'avérer dangereuse", déclare-t-il à Ouest-France avant le départ du Tour.

Après un Tour 1977 qui a été long à se décanter, Jacques Goddet trépigne. Il veut des contre-la-montre sur les pavés -ça ne se fera pas- et des sprints bonification à foison. Ils feront leur retour en 1978 sur la pointe des pieds, après trois années d'absence. En 1979, les Rush attribuent des bonifications seulement dans cinq étapes, promises à être des étapes de transition. A partir de 1980, ces sprints vont prendre leur rythme de croisière : cinq par étape, des bonifications (12", 8" et 4") seulement pour les profils plats, le dernier placé près de l'arrivée, comme le Point Bonus du Tour 2018. Mais attention, si les bonif sont réservées aux étapes plates, les Rush peuvent être jugés au sommet d'une bosse non répertoriée pour le Prix de la Montagne.

En 1984, ce sont en tout 28'36" qui sont offertes à celui qui gagnerait toutes les étapes plates, les Catch et les étapes volantes du Tour.  En effet, si la moyenne journalière est de 5 Catch, leur nombre peut grimper jusqu'à 8 pour les étapes marathon Nantes-Bordeaux et Crans-Montana-Villefranche, plus de 300 bornes à chaque fois. Pour couronner le tout, les organisateurs rajoutent trois étapes volantes. Ces "traguardo volante" à la française rapportent autant que les trois premières places à l'arrivée : 30"-20"-10". Il y en a une dans chaque étape marathon et une autre entre Bobigny et Louvroil. . Entre Bobigny et Louvroil, le maillot jaune change trois fois virtuellement d'épaules et atterrit sur celles de Jacques Hanegraaf.

LE RÈGLEMENT BRIDE LES CHEVAUCHÉES

Ce cas de figure ne peut plus arriver aujourd'hui. Le règlement de l'UCI normalise les bonifications. Une étape ne peut pas compter plus de trois sprints intermédiaires. Si ces sprints offrent des bonifications alors l'arrivée doit obligatoirement en attribuer. Le règlement fixe aussi le barème de ces bonif : 3"-2"-1" pour les sprints et 10"-6"-4" pour l'arrivée. Ainsi, la somme des secondes glanées dans la journée ne peut jamais dépasser celles attribuées au vainqueur de l'étape.

Dans ces conditions figées, et dans un cyclisme où la réussite d'une échappée fait figure d'exception, la plus grosse part du gâteau va toujours aux même depuis 75 ans, les sprinteurs, qui n'ont pourtant aucun intérêt à animer la course.

Pourtant, ces sprints intermédiaires sont nés sur la piste et aujourd'hui le règlement de l'UCI récompense les attaquants des courses en peloton des vélodromes. Un coureur ou une équipe qui double le peloton d'une course aux points ou d'une Américaine marque 20 points, soit moitié plus que ce que rapporte la victoire du dernier sprint (10 points).

La formule parfaite des bonifications -à partir du moment où on ne les supprime pas- n'existe sans doute pas. Et pourtant, depuis 1923, les méninges des organisateurs de toutes les courses se sont creusés pour découvrir la formule la formule magique pour récompenser les attaquants face à la meute du peloton.

Retrouvez notre dossier spécial Bonifications dans le Tour de France.

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