François Trarieux : « Inverser la tendance »

Crédit photo Léa Decourtet

Crédit photo Léa Decourtet

L'Equipe de France dispute ce dimanche, à Rosmalen (Pays-Bas), le Championnat d'Europe de cyclo-cross. Que peuvent espérer les Bleus ? Pour DirectVelo, l'entraineur national, François Trarieux, livre les ambitions des tricolores. Il en profite pour faire le point sur la situation du cyclo-cross français. 

DirectVelo : Qu'attends-tu de ce Championnat d'Europe ?
François Trarieux : C'est le premier gros test. La Coupe du Monde de Berne était la première prise de « performances » mais le terrain était un peu trop sec. Nous avons eu des courses très homogènes chez les Juniors et les Elites. Tout se jouait au départ. Nous avons donc du mal à connaître la hiérarchie chez les Juniors par exemple, même si les Belges et les Néerlandais sont présents, et que Witse Meeussen et Luke Verburg semblent se détacher. Le Champion du Monde Ben Tulett revient tout juste. Ils feront figure de favoris ce dimanche. Nous, nous manquons de repères. Cette course arrive très tôt. Peu de nos coureurs ont évolué au niveau international en ce début de saison. Il est difficile de dire ce qu'on peut viser. La donne est différente chez les Espoirs.

Après le podium à Berne d'Eddy Finé et Antoine Benoist, il y a de quoi être ambitieux dans cette catégorie ?
Sandy Dujardin a pris la 10e place à Berne. Il a prouvé qu'il faisait partie des coureurs à suivre tout comme Erwann Kerraud et Maxime Bonsergent. Ils font leur retour en Equipe de France après de belles performances chez les Juniors. Eddy Finé (2e) et Antoine Benoist (3e) sont en effet montés sur le podium à Berne. Pidcock et Iserbyt sont en forme et s’alignent régulièrement avec les Elites en Belgique. Le message que je vais faire passer à nos coureurs, c'est qu'ils ne doivent pas faire de complexe. On ne doit pas rejeter la pression sur les autres et y aller pour jouer les accessits. Nos adversaires sont battables. A Berne, Iserbyt a profité de notre travail. C’est un gagneur et pour le battre, il faudra courir juste en le poussant à la faute. Il faudra aller les chercher, lui et Pidcock. Nous serons là pour faire une performance. C'est un Mondial bis. C'est aussi un tournant de la saison. Il y a des choses à tenter. C'est un circuit roulant. Ça ne se fera pas forcément à la pédale. Je suis ambitieux pour mes coureurs. Et je sais qu'ils le sont.

« NOS MEILLEURES JUNIORS ARRÊTENT VITE... »

Il n'y aura « que » deux Espoirs Féminines et aucune Elite...
Le groupe des féminines est restreint étant donné le niveau actuel. Marlène Petit a connu un début de saison compliqué. Mais ce n'est pas une surprise. Elle travaille et court peu sur la route. Elle a besoin de courir pour retrouver du rythme. L'an dernier, elle n'avait pas disputé le Championnat d'Europe avant de finir 9e du Mondial. Il n'y a donc pas de quoi s'affoler sachant qu’elle va se consacrer entièrement au vélo à partir de maintenant. Caroline Mani a des problèmes personnels à régler aux Etats-Unis. Derrière, le niveau est éloigné de ce qu'on attend à l'international. Preuve en est la première manche de la Coupe de France. Les deux premières Cadettes couvraient les tours plus rapidement que les Françaises présentes sur le podium Elite. C'est le Championnat d'Europe, on doit aligner des concurrentes qui ont le niveau international et qui performent en Coupe du Monde.

Comment expliques-tu les difficultés à trouver davantage de Françaises capables d'évoluer au haut-niveau ?
Nos meilleures Juniors arrêtent vite le cyclo-cross. C'est le cas de Juliette Labous, Maëlle Grossetête, Hélène Clauzel, Evita Muzic, Jade Wiel, Maïna Galand et d'autres... On les forme durant plusieurs saisons puis elles arrêtent sous le poids de leurs structures. Chez les Elites, le niveau reste donc très éloigné de ce qu'on peut attendre à l'international. Nous avons Marion (Norbert-Riberolle) qui elle se spécialise dans le cyclo-cross. Mais ce n'est que son deuxième hiver à ce niveau-là, elle manque forcément de repères. L'objectif, pour elle, reste de se situer par rapport aux adversaires. Elle n'a pas la pression du résultat. Idem pour Léa Curinier qui doit encore progresser sur le plan technique.

« ÉCHANGER DAVANTAGE AVEC LES ÉQUIPES »

Que t'inspire le début de saison chez les Elites Hommes ?
Je trouve que c'est homogène. Nous avons deux coureurs dans le Top 20 UCI (Steve Chainel et Matthieu Boulo, NDLR). Fabien Canal se stabilise. David Menut revient. Il avait terminé 7e d'un Mondial Espoirs très relevé. Joshua Dubau arrive chez les Elites. Concernant Francis Mourey, il va axer sa saison sur les rendez-vous nationaux. C'est sa dernière saison, il tient à briller chez lui à Besançon. Derrière ? Lucas Dubau et Yan Gras, qui sortent des Espoirs, représentent également la future génération. En fait, il nous manque peut-être le coureur capable d'aller chercher un podium en Coupe du Monde mais il y a plusieurs très bons coureurs français. Il faut bien préparer la génération qui arrive. Van der Poel et Van Aert ne vont peut-être pas rester quinze ans dans le cyclo-cross. Et puis nous avons vu par le passé qu'ils pouvaient se louper. Michael Vanthourenhout termine 2e du Mondial l'an passé. En Espoirs, il avait le niveau de Clément Venturini, Fabien Doubey et David Menut. L'Espagnol Felipe Orts finit 8e de la Coupe du Monde à Berne. Il n'est pas trois jambes au-dessus des Français ! La France est revenue sur le podium du classement mondial des pays. Ça veut dire que ça bouge. Je pense notamment aux trois structures UCI : le Team Chazal-Canyon, Team Cross Safir Ganova et S1Neo Connect Cycling. Ils apportent une nouvelle dynamique au niveau national. Ces équipes se structurent progressivement et essayent de mettre en œuvre des projets autour des coureurs qui souhaitent se spécialiser. C'est intéressant pour le cyclo-cross français.

Mais là aussi, de nombreux coureurs qui brillaient chez les jeunes arrêtent après la catégorie Espoirs...
J'aimerai échanger davantage avec les structures pro et DN pour voir ce qu'on pourrait mettre en place. Mais il faut qu’il y ait de l’intérêt. J'ai du mal avec le discours que les équipes tiennent parfois aux coureurs même si chacun a ses intérêts et qu’il faut les respecter. Nous avons eu en août dernier, Van Aert et Van der Poel, deux crossmen, sur le podium du Championnat d'Europe sur route ! Les exemples sont nombreux.

Alors que faire ?
C’est une question d’investissement et de gestion. Joshua Dubau est devenu Champion d'Europe de VTT l'été dernier. Les coureurs ont-ils le choix ? Je ne pense pas qu'ils aient toujours leur mot à dire dans la gestion de leur saison. C'est pour ça qu'on peut retrouver aussi des coureurs démotivés en deuxième partie de saison. Ils se lassent... On ne devrait pas dire à un coureur « arrête le cyclo-cross, tu marcheras mieux sur la route ou en VTT ». Le formatage est-il la meilleure solution pour avoir des coureurs performants dans un collectif ?

« UNE SITUATION FRUSTRANTE »

Est-ce frustrant quand on est sélectionneur ?
Je me pose des questions. C'est frustrant de voir certains coureurs répéter ce que les équipes leur disent. Bien sûr que les saisons sont très longues et que certains ont besoin d’avoir une vraie coupure. Mais faire plusieurs disciplines apporte de la fraîcheur mentale. Je n’invente rien. Dans le vélo, on doit avoir la notion de plaisir. Même si je peux comprendre le coût financier et d’énergie que cela représente, la situation est dommageable. On peut construire un projet en incluant une saison de cyclo-cross. Aujourd'hui, on cherche à appliquer la même méthode à tous les coureurs alors que chacun a des envies et des parcours différents. Ils enchaînent les stages et les kilomètres pendant l'hiver, veulent tous marcher en début de saison, puis beaucoup d’équipes ont du mal à boucler leur effectif après juillet. Encore une fois, un coureur ne deviendra pas forcément meilleur car il arrête le cyclo-cross. Clément Venturini a réalisé une excellente année sur la route, en 2017, en sortant d'une saison internationale de cyclo-cross. Il y a beaucoup d'exemples : Maxime Jarnet et Sandy Dujardin figuraient cette année parmi les meilleurs scoreurs en Coupe de France DN1 après avoir fait la saison de cyclo-cross ; Antoine Raugel est devenu Champion de France Juniors sur route alors qu'il avait passé son hiver dans les sous-bois avec nous. On peut aussi citer Aloïs Charrin, lauréat du Challenge DirectVelo et membre de l'Equipe de France l'hiver dernier jusqu’au Mondial...

Tu as donc envie d'encourager les coureurs à faire du cyclo-cross et de la route...
Je trouve qu'il y a la place pour le faire. D'autres nations le prouvent. Je pense aux Pays-Bas par exemple avec les féminines ou à la Belge Sanne Cant. Beaucoup de coureurs se servent du cyclo-cross pour passer pro. Ils deviennent ensuite un parmi la masse alors qu'ils pourraient faire une carrière intéressante en cyclo-cross également. Pourquoi ne pas inverser la tendance grâce aux nouvelles structures qui se mettent en place ?

Mots-clés

En savoir plus