La Grande Interview : Nicolas Garbet

Crédit photo Freddy Guérin - DirectVelo

Crédit photo Freddy Guérin - DirectVelo

Fin de l’histoire pour Nicolas Garbet. Après dix années passées dans les rangs amateurs entre le CC Villeneuve-Saint-Germain et le CC Nogent-sur-Oise, le Picard a mis un terme à sa carrière cycliste cet hiver. Pas vraiment par choix mais plus par obligation. “Je n’étais pas usé du vélo (...) mais il faut penser à l’avenir”, synthétise le coureur de 28 ans. Le résident d’Agnetz (Oise), commune située entre Beauvais et Creil, a rapidement souhaité passer à autre-chose et a ainsi déjà trouvé un emploi du côté de l’Aéroport de Roissy-Charles de Gaulle. Pour DirectVelo, Nicolas Garbet est longuement revenu sur cet arrêt plus précoce que prévu, sur ses souvenirs et sa vision du cyclisme amateur actuel.

DirectVelo : Pour la première fois depuis plus d’une décennie, tu n’es pas en train de profiter du mois de novembre pour préparer la prochaine saison. Est-ce un sentiment particulier ?
Nicolas Garbet : C’est sûr, ça fait bizarre. D’autant que cet arrêt n’était pas une volonté mais financièrement, ça devenait trop difficile. Le club a essayé de trouver des solutions mais ça ne s’est pas fait. J’avais profité d’un contrat aidé durant trois saisons, entre 2015 et 2017. J’ai pu m’en sortir durant les deux dernières saisons mais désormais, ce n’est plus possible et ça devenait donc trop dur. J’ai une petite fille maintenant et je dois nourrir ma famille. Il faut penser à l’avenir. Je ne pouvais pas continuer, ce n’était malheureusement pas possible autrement. Je connais bien le club et je sais qu’en terme de finances, c’est plus compliqué que ça a pu l’être par le passé, comme dans sensiblement toutes les DN.

D’un point de vue purement sportif, tu aurais donc été prêt à repartir pour une onzième saison chez les Élites !
C’était mon souhait, je n’étais pas usé du vélo. Jusqu’à présent, je ne m’étais jamais posé la question d’arrêter ou non. Pour moi, continuer le vélo durant toutes ces années était une évidence. C’est ma passion, c’est ce que j’aime.

Le nombre de coureurs passant une décennie complète dans le peloton amateur, comme tu viens de le faire, est-il amené à se raréfier ?
Sans doute, oui. J’ai d’ailleurs constaté que beaucoup de “vieux” arrêtent cette année. Je n’avais pas vu depuis longtemps une telle vague d’arrêts sur une seule saison, avec Pierre Bonnet, Maxime Roger et plein d’autres. Mais le modèle a changé. Maintenant, certains coureurs passent très tôt. Je trouve ça prématuré mais c’est le cyclisme actuel. Mis à part des exceptions à la Bouchard ou à la Cabot, tu es pratiquement fini pour passer pro à 23 ans. Du coup, beaucoup de coureurs ne voient plus l’intérêt de continuer par la suite.

As-tu toi-même espéré rejoindre le monde professionnel ?
J’étais conscient que je n’étais pas un champion, dès le début. Quand je suis arrivé en DN il y a dix ans, je “ramassais” à chaque fois. Je me souviens notamment de l’équipe de La Pomme Marseille. Il y avait des gars comme Navardauskas ou Siskevicius. On prenait cher, ils écrasaient les pédales. Je sentais bien que j’étais loin du niveau de ces coureurs-là. Mais depuis, j’ai vraiment bien progressé et j’y ai cru.

« IL Y AVAIT BEAUCOUP PLUS D’ANCIENS À L'ÉPOQUE »

Ces dernières années ?
Oui. J’ai marché tard, il m’a fallu du temps. J’espérais quand même… Tous les coureurs qui sont en DN ont au fond d’eux l’espoir de passer pro, même si tout le monde ne le dit pas. Si j’avais gagné deux-trois bonnes courses au bon moment, ça aurait pu le faire. Même cette année, j’espérais encore. J’ai eu quelques contacts après la Ronde de l’Oise mais ça ne s’est pas fait.

Tu évoquais à l’instant le passage très jeune de certains coureurs chez les pros. Penses-tu que ce soit un problème ?
J’ai le sentiment que parfois, c’est précipité. L’avenir nous le dira. Je me trompe peut-être, mais je ne suis pas sûr que tous ces coureurs fassent de grandes carrières par la suite. Ils n’ont pas forcément encore assez de bagages. Et certains d’entre eux finissent par arrêter le vélo deux-trois ans seulement après leur passage professionnel, ce qui prouve bien que quelque chose ne va pas.

En dix ans chez les Élites, tu n’auras connu que deux clubs : le CC Villeneuve-Saint-Germain et le CC Nogent-sur-Oise. Faut-il y voir une volonté de stabilité et de confort de vie ?
J’étais au CC Nogent-sur-Oise chez les Juniors mais je n’avais pas le niveau pour intégrer leur équipe DN en tant qu’Espoir 1. Il n’y avait pas de place pour moi. Il faut dire que leur effectif de l’époque était vraiment impressionnant, avec Stéphane Rossetto et tous les autres. Cette année-là, il n’y a d’ailleurs que Flavien Dassonville qui était directement “monté” dans la DN. Villeneuve était à côté. Ils m’avaient proposé de venir et je n’ai pas trop hésité. Puis plus tard, j’ai eu l’occasion de revenir à Nogent. C’est un club qui me convient, à côté de la maison. Tout s’est toujours bien passé au club, je m’y sentais bien. J’étais à vingt minutes du service course, c’était agréable. Alors j’ai été fidèle (sourires). En plus, le programme de Nogent est costaud, avec beaucoup d’épreuves de Classe 2. Il n’y a pas à se plaindre. Tout était réuni pour rester à chaque fois. Pour moi, c’était une évidence.

Qu’est-ce qui a le plus changé dans le peloton amateur entre 2010, année de ta première saison Espoir, et 2019 ?
Il y avait beaucoup plus d’anciens à l’époque. Bichot, Daeninck Plouhinec et plein d’autres. Il y avait un sacré niveau. J’étais moins fort qu’aujourd’hui, alors peut-être que je le ressentais aussi. Mais quand même… Je me souviens qu’en 2010, en arrivant des Juniors, le niveau m’avait choqué. Je trouve que la moyenne d’âge a chuté en dix ans.

Que retiendras-tu de cette décennie dans le peloton ?
C’était l’occasion de fréquenter pas mal de mecs que je vois maintenant à la télé. Forcément, ça restera une belle période de ma vie avec des bons moments, et des moins bons (sourires). En tout cas, c’était toujours dans la bonne ambiance. Je ne suis pas sûr qu’il y ait la même ambiance dans toutes les équipes amateurs. Chez nous, à Nogent, on rigolait beaucoup dans le groupe et les résultats suivaient souvent. C’était une belle expérience.

« JE N’AVAIS PAS ENCORE ATTEINT MON MEILLEUR NIVEAU »

Quels sont les coureurs qui t’ont le plus marqué durant ces dix saisons ?
Anthony Turgis ! On a vite vu que c’était un champion. Il y a aussi un mec comme Romain Bacon qui fait des saisons énormes à chaque fois. Il y en a plus d’un qui aurait (re)signé un contrat professionnel en faisant des saisons comme lui, mais bon… J’ai aussi connu Benoît Daeninck, un sacré personnage. Sans oublier Kévin Ledanois, et d’autres. En fait, quand je fais le tour, il y en a eu pas mal et je crois que je suis le seul du “groupe” à ne jamais être passé pro (rires).

Bacon, Daeninck, Turgis… Tu cites ici des coureurs au caractère bien trempé : ce caractère est-il essentiel pour faire carrière dans le cyclisme ?
Oui, c’est sûr ! C’est un milieu très spécial. C’est un peu la guerre, en quelque sorte. Il faut avoir du répondant et savoir marquer son territoire sur le vélo. Des mecs comme ça, il n’y en a pas 150 dans le peloton. C’est vrai qu’en y repensant, j’ai quand même vraiment connu un sacré paquet de gros coursiers à Nogent car il y a aussi eu Ermenault, Garel, Maurelet, Mottier, Pouilly…. Au final, ça fait une belle liste !

Y’a-t-il une course, un souvenir, que tu retiendras plus que le reste ?
La Ronde de l’Oise de cette année. J’y ai bien marché en courant à domicile. Je connaissais toutes les routes et ça n’a pas trop mal marché. Avec un peu de chance, j’aurais même pu en décrocher une, devant toute ma famille. J’avais des sensations que je n’ai pas eues souvent. C’est dur à expliquer… Plus généralement, je me sentais souvent bien sur les Classe 2. En tout cas, mieux que sur beaucoup d’épreuves Élite Nationale. C’est vraiment bizarre et compliqué à expliquer ou analyser, mais c’était vraiment le cas. Peut-être que cette façon de courir me convenait mieux.

Tu sembles te sentir plus fort aujourd’hui que tu ne l’étais il y a deux-trois ans…
Ah oui, carrément ! D’ailleurs, je pense que je n’avais pas encore atteint mon meilleur niveau. Je n’ai jamais été aussi bien que sur certaines courses en 2019 et j’aurais sans doute pu faire mieux à l’avenir.

D’où ta volonté de continuer ?
Oui et non car d’un autre côté, je me demande aussi ce que j’aurais fait de plus. Je n’allais sûrement plus passer pro de toute façon. C’était surtout pour continuer de faire ce que j’aime.

« LE TRAVAIL DE FORMATION EST PRÉCIEUX »

Quelle va être la suite pour toi désormais ?
J’ai trouvé du travail à l’Aéroport de Roissy-Charles de Gaulle (60 kilomètres au sud d'Agnetz, NDLR). Je suis sur les pistes. Bon, à la base, je voulais faire pilote d’avion, mais ce n’est pas possible (rires). Je voulais vite trouver quelque chose pour, en quelque sorte, tourner la page. Enfin… Je voulais éviter de me retrouver à la maison à n’avoir rien d’autre à faire que de regarder les résultats des copains. Je me serais peut-être dit que j’aurais dû continuer, etc.

Garderas-tu quand même un lien avec le club du CC Nogent-sur-Oise ?
Bien sûr ! Je suis allé faire un tour au stage de pré-saison récemment. Je vais continuer de suivre les copains comme je suis proche du siège. Dans un premier temps, je m’étais d’ailleurs renseigné pour éventuellement passer mon DEJEPS mais c’est quand même très cher.

Tu souhaitais donc rester dans le milieu ?
Le reste ne m’intéressait pas. Faire assistant, ce n’était pas pour moi. La situation y est aussi précaire alors autant rester coureur… Pour le reste, il ne faut pas rêver. Les places sont chères aussi chez les directeurs sportifs. Quoi qu’il en soit, je continuerai d’aller voir les copains sur les courses de la région. Je ne suis pas aigri du vélo.

Au moment de tourner la page, si tu avais l’occasion d’échanger avec des membres des instances et haut-décisionnaires du monde du cyclisme en France, quels seraient les points essentiels que tu souhaiterais évoquer avec eux ?
La priorité, ce serait que les clubs amateurs touchent des compensations lorsqu’un coureur de l’équipe intègre le peloton professionnel. Si je prends le cas d’une grosse DN1 comme Nogent, s’ils avaient eu un petit quelque chose à chaque fois qu’un coureur passait pro, ça aurait fait un bien fou au club. Pour moi, ce serait une juste récompense. Ces clubs payent les déplacements, les stages, les directeurs sportifs, du matériel… Tout ça pour former des coureurs qui font ensuite une carrière chez les pros. J’entends très rarement des gens rappeler qu’Arnaud Démare est passé à Nogent-sur-Oise. Pourtant, c’est ici qu’il s’est construit avant de se développer plus encore à la FDJ. J’ai l’impression que certains font le boulot et d’autres en profitent.

Certains disent que les coureurs ne sont pas encore vraiment formés en arrivant chez les pros…
Je ne partage pas cet avis. Le travail de formation est précieux chez les amateurs. Quand Anthony Turgis remporte Liège-Bastogne-Liège Espoirs, ça veut bien dire qu’il a déjà sérieusement commencé à se construire en tant que coureur de haut-niveau avant même de passer pro. Peut-on dire qu’il lui reste encore tout à apprendre ? Non. Les structures professionnelles ne peuvent pas le nier et doivent prendre conscience de ce qu’elles doivent au monde amateur. Un jeune qui passe deux ou trois saisons dans une DN1 va forcément progresser et franchir des paliers grâce au club et à ceux qui l’entourent. Je ne demande pas que l’on donne un million d’euros au club, mais simplement de faire un petit geste.

       

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