Ruben Apers, le poissard chanceux

Crédit photo Joeri De Coninck

Crédit photo Joeri De Coninck

Il y a un an, jour pour jour, le Grand Prix Alfred Gadenne bascule. Aux environs du kilomètre 25 de cette épreuve disputée autour de Dottignies, une flèche indique de tourner vers la droite. Un groupe d'une trentaine de lâchés ne prend pas la bonne direction et va tout droit, alors qu’il n’y a pas de signaleur placé au bon endroit à cette intersection. Trois de ces coureurs percutent alors une camionnette, de face, au carrefour suivant. Cet accident malheureux coûte la vie à Stef Loos (Acrog - Balen BC) (lire ici). Egalement impliqué dans cette embardée, Ruben Apers souffre d’une fracture de la clavicule, de l'épaule, d’une double fracture de la jambe gauche et d’une commotion cérébrale. C'est le début d'une longue revalidation pour le sociétaire de la Lotto-Soudal Development Team. Alors qu'il commençait à entrevoir le bout du tunnel, il a dû faire face à une nouvelle épreuve : la mort accidentelle de son ami Bjorg Lambrecht, victime d'une chute lors de la première étape du Tour de Pologne. Malgré tous ces coups du sort, Ruben Apers est de nouveau en forme en ce début d'année 2020. Il a bien entamé la saison avec une jolie 5e place à l'interclub Bruxelles-Zepperen dimanche dernier. La campagne 2020 se voit maintenant momentanément interrompue par le coronavirus. "Décidemment, il m'arrive toujours quelque chose, mais bon là c'est pour tout le monde", plaisante-t-il avec DirectVelo. L'Espoir 4 revient avec DirectVelo sur cette période noire jusqu'à ce retour au premier plan.

DirectVelo : Comment te sens-tu maintenant quand tu repenses à cet accident ?
Ruben Apers : J'essaie de profiter des petites choses. Je relativise beaucoup plus qu'avant. Par exemple, quand il fait mauvais, que j'ai une crevaison ou un saut de chaine, c'est embêtant, mais il y a des choses plus graves. De manière générale, j'accorde plus d'importance à mon bien-être. Malgré mes blessures, je sais que j'ai eu beaucoup de chance il y a un an. J'en ai conscience.

Tu te souviens encore précisément de ce qui s'est passé il y a un an ?
Non, rien, finalement, tant mieux. Je n'ai pas vu Stef Loos au sol. C'est peut-être mieux ainsi. Avec le recul, je pense être celui qui s'en est tiré le mieux. Stef Loos a perdu la vie et moi, je ne me souviens de pratiquement rien. Les fractures guérissent. Ceux qui étaient derrière moi auront cette image gravée à vie.

Tu apprends donc la mort de Stef Loos dans ta chambre d'hôpital.
J'étais vraiment effondré. Par la suite, j'ai eu beaucoup de contacts avec ses parents. En l'espace d'une seconde, ils ont perdu leur fils. C'est terrible. J'ai essayé de soutenir sa petite-amie du mieux possible.

UN NOUVEL ACCIDENT EN MAI 

Comment s'est passée ta revalidation ?
J'ai dépassé plusieurs fois mes limites lors de mes séances de kiné. A part le dimanche, j'avais trois à quatre heures d'exercices par jour et je faisais de l'aquagym en plus. Je me suis souvent endormi dans le canapé quand je rentrais à la maison.

Quinze jours après ton retour sur le vélo sur le 11 mai, te voilà de nouveau victime d'un accident.
J'ai été renversé par une voiture à l'entrainement. Heureusement, je n'ai pas eu de blessure grave, mais mentalement cela n'a pas été facile à digérer. J'ai mis mon vélo une semaine de côté et puis, j'ai repris mon courage à deux mains.

A ce moment-là, peu de gens te voyait revenir en course en 2019 et pourtant, te voilà au départ du GP de Pérenchies (1.2) le 27 juillet...
J'ai bien récupéré, très vite même. J'avais toujours l'espoir de retrouver la compétition. J'avais même la période de fin juillet en tête.

Tu termines 74e (voir ici).
J'ai souffert mais j'ai profité de chaque mètre. Au début, j'avais le stress de l'inconnu. Je savais que la condition serait suffisante pour terminer la course. Lors des premiers tours, les sensations étaient un peu étranges et j'avais honnêtement peur de rouler à 60 km/h. Au fur et à mesure que l'épreuve avançait, j'ai retrouvé mes marques. J'arrivais à me positionner sur les secteurs pavés. A 30 kilomètres de l'arrivée, j'ai commencé à avoir des crampes et j'ai franchi la ligne au caractère.

LA MORT DE BJORG LAMBRECHT : « QUELQUE CHOSE S'EST BRISÉ  »

Malheureusement, tu es de nouveau coupé dans ton élan par un drame personnel avec la mort de ton ami Bjorg Lambrecht (lire ici).
Quand j'ai appris la nouvelle au journal, quelque chose s'est brisé. Je suis resté jusqu'à trois heures au matin tout seul dans le jardin et je lui ai parlé.
Je lui ai raconté toutes nos anecdotes, notamment en stage.

A quel point tu étais proche de lui ?
Il était mon meilleur pote de vélo. Il était toujours là pour moi. Dès que j'avais un soucis, il n'hésitait pas à me sortir d'ennui. Bjorg était un bien meilleur grimpeur que moi, mais cela ne le dérangeait pas de m'attendre parfois une minute et demie au sommet du Col du Rosier. Il était une crème. C'est dur de parler de lui comme ça au passé ...

La douleur est présente mais tu prends quand même le départ de la première étape du Tour de Namur.
J'étais complètement épuisé. Je n'avais pas beaucoup mangé ni dormi les nuits précédentes. Mais je trouvais important d'affronter cette épreuve en groupe.

Mais à dix kilomètres de l'arrivée, tes nerfs lâchent...
Nous sommes arrivés à un carrefour où nous devions tourner à gauche, mais nous avons continué tout droit. De nouveau! Je craque : "Putain, je n'en peux plus" Je me suis directement arrêté. J'étais fâché : "Comment peut-on encore autoriser des trucs pareils ? N'avons-nous retiré aucune leçon du passé ?" Cela n'avait aucun sens de continuer. La course n'avait aucune importance. Je voulais être en famille à ce moment-là.

LES CHAMPS-ELYSÉES POUR BJORG

Tu as pensé à arrêter le vélo à ce moment-là ?
Je me suis vraiment posé des questions. Surtout juste après l'enterrement de Bjorg, sur une autre course, j'étais témoin d'un accident d'un motard qui avait heurté un poteau d'éclairage et qui gisait au sol sur son ventre. Je me suis directement arrêté pour voir comment il allait et heureusement, il a réagi. J'ai abandonné la course ensuite. Cette image ne m'a pas quitté le lendemain. J'ai compris que je n'étais pas bien et que j'avais besoin de repos mental. Mes parents m'ont dit que j'étais libre de mon choix. Et que si j'arrêtais, ils n'auraient aucun problème à le comprendre.

Pour rendre hommage à Bjorg, tu as décidé de faire l'aller-retour jusqu'à Paris en vélo.
Plutôt que de rester le canapé, j'ai décidé d'honorer une promesse. Durant l'hiver, nous avions l'idée d'aller à Paris à vélo. Je voulais retrouver de la sérénité dans ma tête et amener Bjorg aux Champs-Elysées. C'est ainsi que j'ai décidé de continuer le vélo, pour lui, pour qu'il soit fier de moi. C'est à ce moment-là que j'ai retrouvé une spirale positive.

Finalement, tu termines la saison 2019 en disputant plusieurs kermesses pros. Tu te classes même 12e de la Kustpijl (1.2).
Je recommençais à avoir des sensations correctes mais sans avoir le niveau que j'ai actuellement. Je voulais me montrer et je me suis mis la pression. C'est une erreur que j'ai payée en fin de saison. Cela n'allait plus et c'est pourquoi j'ai abandonné après la première étape de l'Olympia's Tour.

LE DÉCÈS DE SON GRAND-PÈRE POUR CONCLURE L'ANNÉE POURRIE

En novembre, tu continues sur ta lancée de l'année pourrie, si on peut dire, avec le décès de ton grand-père.
Mais cela s'est bien passé. Mon grand-père est un sage. Il philosophait beaucoup. Il m'apprenait à voir les choses sous un autre angle et surtout à relativiser. Il a eu une belle mort, il n'a pas souffert. Après, cela n'est pas chouette de perdre son grand-père, mais j'ai pu digérer facilement son décès.

Comment s'est passé le reste de ton hiver ?
Très bien et je dois le dire : je n'ai pas eu d'ennuis. Je pense qu'il faut le souligner.

Tu es même passé par la piste en février. Tu as participé au meeting international d'Anadia (7-9 février).
Je n'avais pas trop d'ambitions. Je voulais apprendre de mes erreurs pour progresser. J'ai roulé le scratch et la poursuite individuelle.  J'ai pris la 2e place du scratch, ce qui n'était pas mal pour une première fois. La poursuite, c'est quelque chose que j'aime bien. Pourquoi pas dans le futur me spécialiser?

Te voilà de nouveau sur un vélo et à un bon niveau puisque tu as terminé 5e de Bruxelles-Zepperen il y a deux semaines.
Cela me fait du bien d'être bien. J'étais déjà dans le coup à Bruxelles-Opwijk. J'ai juste commis une erreur en ne prenant pas la bonne échappée. Je savais que je ne devais plus me faire avoir. Les sensations étaient là. Pourtant, la pluie et le froid ne sont pas mes meilleurs amis.  Le fait d'être capable de faire un résultat est un signe révélateur de ma condition.

Pourtant, tu ne savais pas que ton coéquipier Florian Vermeersch était devant.
Je ne l'ai compris qu'à 25 km de l'arrivée quand la voiture est venue à la hauteur de notre groupe.

Cela veut dire que vous n'étiez pas à fond ?
Non, pas tout à fait, mais l'allure était bonne. Si Florian Vermeersch et Ayco Bastiaens ont pu creuser un écart de deux minutes, c'est grâce à leur classe.

OBJECTIF CHAMPIONNAT DE BELGIQUE DE CONTRE-LA-MONTRE

Dimanche dernier, tu aurais dû participer à la première manche du Mémorial Bjorg Lambrecht. Malheureusement, en raison des mesures gouvernementales contre le coronavirus (lire ici), la course est annulée.
C'est dommage, mais je ne sais rien n'y faire. Je devais en principe rouler le dimanche et enchainer avec l'Olympia's Tour. Je me dois d'être là pour mon ami et sa famille. Je ne me serai pas pardonné d'être absent. J'espère que les organisateurs pourront trouver une autre date et que je pourrai être au départ.

Quels sont tes prochains objectifs ?
En théorie, je devais participer à la Kattekoers avec Cycling Vlaanderen mais cela tombe à l'eau. J'avais également envie de bien faire au Triptyque des Monts et Châteaux. Mon prochain objectif sera le Championnat de Belgique Espoirs de contre-la-montre le 1er mai à Borlo. Pour le reste, j'espère garder la forme, aller chercher des résultats et surtout rester sur mon vélo.

Mots-clés

En savoir plus

Portrait de Ruben APERS