1981 - Dominique Celle : « J'aurais dû faire 2e »

Crédit photo DR

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Il y a quarante ans, le cyclisme était divisé en deux : les pros à l’ouest et les amateurs à l'est. Les meilleurs coureurs de la planète ne pouvaient pas se rencontrer à cause d’un mot sur leur licence et des raisons plus politiques que sportives. Mais la saison 1981 a taillé une brèche dans le rideau de fer qui séparait ces deux cyclismes grâce à l’Open, ces courses ouvertes aux pros et aux amateurs. DirectVelo vous propose en cinq articles un retour sur cette saison qui a lancé le mouvement qui a mené à la licence unique, quinze ans plus tard.

Ce que les pros craignaient avec l'Open est arrivé. Le petit a fini par manger les grands. Ce samedi 2 mai 1981 à Chanteloup-les-Vignes, un coureur de l'équipe de France Amateurs a battu tous les pros du Trophée des Grimpeurs. Ce coureur, c'est Dominique Celle, 21 ans au moment de sa victoire - 4e coureur à gauche sur la photo -, qui revient quarante ans plus tard pour DirectVelo sur sa plus grande victoire.

UN MOIS AU MAROC

Sa saison a commencé par le rassemblement de l'équipe de France en février. "Tous les ans, nous allions en stage à la Londe-les-Maures. Cette année-là, il y avait Laurent Fignon, Pascal Jules, Gilles Mas, Vincent Lavenu, Philippe Chevallier. Michel Nédélec était l'entraîneur national et Chesnel, le mécano. Je devais faire le Tour de Corse mais je n'ai pas été retenu". Laurent Fignon fait partie des sélectionnés pour cette course Open. C'est dans ce Tour de Corse qu'il tape dans l'œil de Cyrille Guimard. Meilleur coureur de l'équipe de France en Corse, Fignon le sera encore au Circuit de la Sarthe en avril. Entre-temps, le coureur de l'US Créteil gagne une étape du Tour du Vaucluse, encore une course Open.

À défaut de Corse, Dominique Celle traverse complètement la Méditerranée. "Je suis allé au Tour du Maroc. Nous avons passé un mois dans le pays. Avant le Tour du Maroc (22 mars-5 avril), nous avons disputé une course de huit jours autour de Casablanca, on s'est reposé une semaine en s'entraînant, et nous avons fini par les 12 jours du Tour du Maroc. Je termine 7e. Il y avait toutes les équipes internationales, ça embrayait !". Le vainqueur est Ladislav Ferebauer, un Tchécoslovaque de grande valeur, tout comme Jiri Skoda, le 3e. "J'ai su que j'allais faire le Trophée des Grimpeurs à la sortie du Tour du Maroc". Après donc un bon bloc d'entraînement.

« MERCI PETIT ! »

Le Trophée des Grimpeurs se dispute sur un circuit de 9,8 km à couvrir douze fois et avec des pentes de 14 et 16%. "Ce jour-là, c'était Robert Oubron notre DS, et j'ai retrouvé Chesnel, le mécano. Il n'y avait pas de tactique, nous avions carte blanche pour nous faire remarquer". Le départ est donné par Claude Brasseur et les Amateurs ne tardent pas à se signaler. Marc Rostollan attaque avec Mariano Martinez. Dominique Celle rapplique sur la tête en compagnie de Greg Lemond, Stephen Roche, Christian Levavasseur ou encore, Hubert Mathis.

Dans le peloton, il y a du beau monde et du monde sur le bord de la route venu voir Bernard Hinault. "Il portait son maillot de Champion du Monde. Quand j'avais poussé en haut du raidar son équipier Jonathan Boyer, avec son maillot des Etats-Unis, car il avait eu un saut de chaine en voulant passer le grand plateau, il m'a dit « merci petit ! »". Mais Hinault est condamné par une crevaison.

« LE PUBLIC M'A SOULEVÉ »

En revanche, les affaires se portent bien pour Dominique Celle. "Je me retrouve devant avec Mathis". Et au passage à la cloche, le Stéphanois dépose le professionnel de Miko-Mercier, au sommet de la bosse. Mais il reste un adversaire coriace, qui court après la victoire depuis le début de saison, Jean Chassang. Il passe avec 19" de retard, en compagnie de Jan Nevens.

Le sociétaire de l'EC Saint-Priest est toujours en tête au pied de la dernière ascension. "Il y avait Anquetil dans la voiture de la direction de course, il m'encourageait à fond : « C'est fini ! Il ne faut rien lâcher ! ». La bosse faisait 1,8 km à 13-14%. Ce n'était pas les braquets d'aujourd'hui. Je devais avoir 42x23 ou 22. Dans toute la montée, j'étais transcendé, le public m'a soulevé, ils étaient contents qu'un Amateur gagne". Mains en haut du cintre puis aux cocottes pour se relancer dans un dernier coup de reins, il résiste jusqu'à la ligne. "Après l'arrivée, c'était difficile de me frayer un passage. Mes parents, qui étaient venus me voir, n'ont pas pu s'approcher de moi. Il y avait tellement de monde que les coureurs qui arrivaient derrière moi ont eu du mal à passer la ligne". Parmi ces coureurs, l'équipe de France place Didier Paponneau 8e et Bernard Pineau 11e.

« ILS ME L'ONT FAIT PAYER »

La victoire fait du bruit. Pourtant, le coureur de l'équipe de France est un véritable amateur avec un travail à côté. "Je travaillais de 5h à 13h dans le tissage à Pélussin. J'étais gareur, je réparais les machines à tisser. Mon patron était en vacances dans le Midi et il a vu dans les journaux que j'avais gagné. Il était fou ! Après ça, j'avais le droit de m'entraîner quand je voulais. Il était très sportif".

Dominique Celle ne va pas tarder à se heurter à la réaction des pros. "J'ai entendu Marc Madiot, dans les vestiaires, faire une petite réflexion à Hinault ou Chassang : « C'est "ça" qui a gagné », en parlant de moi. J'aurais dû faire 2e... Les directeurs sportifs me l'ont fait payer. De Muer, De Gri, Crépel et même Guimard, ils ne me répondaient pas ou peu quand je les appelais pour avoir une place chez eux. C'est un de mes plus beaux souvenirs mais ils me l'ont fait payer", constate-t-il aujourd'hui.

« J'AI MONTÉ LA BOSSE À PIED »

Dans la suite de la saison, le coureur de 1,79m se distingue aussi dans les contre-la-montre. En septembre, il termine 5e du GP des Nations Amateurs (à 8" de Sean Yates). Au Tour de l'Avenir Open, il se classe 11e du chrono très accidenté de Saint-Laurent-du-Pont et 17e du contre-la-montre en côte, le dernier jour à Avoriaz. Il doit attendre 1983 pour passer pro dans l'équipe de l'UC Pélussin, son premier club, mais l'équipe s'arrête au bout d'un an. "Le problème, ce sont les sponsors qui voulaient des résultats tout de suite alors qu'on ne pouvait déjà pas faire toutes les courses".

Une semaine avant sa victoire, Dominique Celle n'en menait pas large. "Avant le Trophée des Grimpeurs, j'ai couru le Tour de Saône-et-Loire (23-25 avril, gagné par Vincent Lavenu, NDLR). Il y avait une bosse, la Combe des Mineurs au Creusot. J'ai pris un coup de fringale... j'ai monté la bosse à pied, tellement c'était raide. Et huit jours plus tard, je gagne le Trophée des Grimpeurs !".


Les articles de la série 1981, l'année de l'Open :
L'Open dans toutes les têtes
Faire sauter le rideau de fer du CIO
Rendez-vous manqués et belles rencontres
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Le cyclo-cross en avance sur l'Open 

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