Corse : Le comité veut se refaire une beauté

Crédit photo Gautier Demouveaux / ASO

Crédit photo Gautier Demouveaux / ASO

Le comité cycliste de Corse revient de loin, de très loin. Du fin fond des abysses, même. En 2015, il était mis en liquidation par le Tribunal de commerce de Bastia, après que la Coopération Territoriale de Clubs, qui veille à la mise en place d’une politique territoriale cohérente, a décidé de ne pas lui verser l’habituelle subvention de 250.000 euros quelques mois plus tôt. Le comité comptait alors près d’un millier de licenciés (lire ici). “Le sentiment de gâchis que j’ai au fond de la gorge aura du mal à passer (...) J’ai un goût amer et surtout, je ne comprends pas. Que veut-on faire avec le vélo en Corse ?”, s’interrogeait Paul-Antoine Lanfranchi, le président du comité de l’époque, au moment du verdict. “Je n’en veux à personne, j’ai fait ce que je devais faire. On a laissé supposer que j’étais un mauvais gestionnaire. J’ai fait des erreurs, il n’y a pas de problème, mais rien qui ne vaille qu’on fasse aujourd’hui mourir le comité corse (...) Mais il y aura encore de bonnes choses, je n’en doute pas”. Pendant deux ans, le cyclisme corse a ensuite été mis sous la tutelle du comité de la Provence, devenu entre-temps le comité PACA (la Corse faisait déjà partie du comité de la Côte d’Azur jusqu’en 1983). Jusqu’à ce qu’une souveraineté soit retrouvée et que le comité de l’île de beauté renaisse en juin 2018. Mais quelle est donc la situation aujourd’hui, trois ans après être reparti d’une feuille blanche ou presque ? La situation est-elle toujours particulièrement instable ou le cyclisme corse est-il en train de se refaire une beauté ?

UNE LENTE ET PRUDENTE RENAISSANCE 

Pendant près de sept ans, depuis ce fameux épisode douloureux de 2015 jusqu’en fin de saison 2021, un homme a été à la tête du comité corse : Stéphane Ruspini. Et tout n’a pas été simple pour ce dernier, loin de là. Mais il s’est battu, par amour de sa région et de son sport. “J’ai donné de mon temps, de mon énergie et de mon argent. Je l’ai fait avec plaisir, et avec le sentiment que c’était plus ou moins un devoir, afin que le cyclisme ne soit pas perdu sur le territoire corse. Le tout avec un gros déficit financier. Il a fallu convaincre la Fédération, lui redonner confiance en nos capacités de faire du bon travail. Il a fallu s’y mettre sérieusement. On a fait en sorte d’être vu comme un comité responsable et digne de confiance”. Mission accomplie lorsque la machine s’est remise en route, petit à petit. “Dans un premier temps, je ne cache pas que j’étais tout seul… Une fois que le comité a retrouvé son intégrité et son indépendance vis-à-vis de la Provence - et c’était primordial pour nous de couper ce cordon ombilical -, après constitution d’un bureau, on a grandi au fur et à mesure. On a réglé nos dettes. On a été bien aidé avec les collectivités et les politiques. J’ai eu de bons rapports avec Michel Callot depuis le début. Lui et son équipe nous ont bien aiguillés”.  

Mais comment expliquer que le cyclisme corse se soit retrouvé au fond du trou alors qu’en 2013, l’île avait organisé le grand départ du Tour de France et ses trois premières étapes, que le Critérium International s’est également tenu en Corse de 2010 jusqu’en 2016, année de la disparition de l’épreuve, et qu’une nouvelle compétition professionnelle, la Classica Corsica, avait aussi vu le jour en 2015, pour une seule et unique édition ? “Les événements pros qui ont eu lieu sur l’île ces dernières années n’avaient rien à voir avec le comité. Dès le début, j’avais dit que les dividendes devaient être distribuées de manière égale à tous les clubs : BMX, route et VTT. Il ne fallait laisser personne de côté. Et pourtant… Ce sont des partenaires qui ont organisé des épreuves. Vous donnez 100.000 euros et ils vous organisent une épreuve. Qu’avez-vous en retour ? Rien, à part l’image. La Classica Corsica, c’était n’importe quoi. Je suis tombé sur le cul quand j’ai appris combien ça a coûté”, concède Stéphane Ruspini, pour qui la plaie n’a pas encore totalement cicatrisé.

UN CHANGEMENT DE PRÉSIDENT INOPINÉ


Entre un possible trop gros appétit et/ou une mauvaise gestion des finances et des dossiers majeurs, le cyclisme corse a donc coulé au milieu des années 2010 et en paie encore le prix actuellement. Cyrille Vincenti - ancien coureur corse de DN1 à l’UC Nantes Atlantique - regrette le manque de cohésion qu’il a pu y avoir durant cette période très périlleuse, sans citer personne. “On aurait pu surfer sur la bonne vague du Tour de France etc, mais on a été confronté à certaines personnes qui ont tout foutu en l’air. Des gens mal intentionnés, ou qui voulaient peut-être faire mieux… Ils ont poussé dehors les gens qui étaient en place mais finalement, ils n’ont fait que foutre le bordel. Le comité s’est retrouvé dans un état végétatif, sous la tutelle de la Provence… Heureusement, des gens volontaires ont voulu relancer la machine et c’est reparti. Il n’y a pas que du négatif aujourd’hui, même si la Covid a bien fini de compliquer les choses”. Durant ces deux années de mise sous tutelle, le comité a perdu grosso modo la moitié de ses licenciés. Et l’automne dernier, il a perdu son président, ce même Stéphane Ruspini, lequel a décidé de quitter ses fonctions de son plein gré. “Je l’ai fait de manière réfléchie et posée. J’ai toujours dit que la couronne et le fauteuil ne m’intéressaient pas, assure-t-il. Je voulais remettre le comité sur de bons rails puis après sept ans, j’ai considéré qu’il était temps de partir, même si je sais que ma décision n’a pas été bien vécue, et mal comprise, je le reconnais”. Ce choix a en effet, selon certains, menacé l’équilibre déjà fragile d’un bateau qui n’a jamais véritablement cessé de tanguer. Avec la peur de perdre le semblant de stabilité retrouvé. “J’ai donné toutes les garanties en partant. Le président de la Fédération a lui-même admis que nous avions retrouvé un équilibre sain et une légitimité, se défend Stéphane Ruspini. J’ai quitté le comité en laissant une belle somme sur les comptes. Le comité ne m’appartient pas, il appartient aux licenciés. Si on est là aujourd’hui, c’est parce que des licenciés nous ont fait confiance et nous ont suivis. J’ai toujours dit que si je devais me retirer, ça devrait continuer de la même façon, même si c’est moi qui ai recréé ce comité. Je souhaite au nouveau président de belles années à la tête du comité”.

Le nouveau président, justement, n’est autre que l’ancien vice-président de Stéphane Ruspini, en la personne d’Antoine Bartoli. Et ce dernier n’a pas été franchement enchanté par la situation qu’il s’est vu imposée. “Être à la tête du Comité n’était pas mon but mais il a fallu faire avec”. Le quinquagénaire s’est senti, à son tour, investi d’une mission. “Ce qui m'amène aujourd’hui à la tête du comité, c’est simplement la passion du vélo. Lorsque Stéphane Ruspini a décidé de démissionner, il y avait déjà une très bonne équipe en place, avec des gens qui ont du temps et des compétences. L’équipe est restée sensiblement la même”. Mais le nouveau président dresse un portrait sombre de la situation, dans son ensemble. Synthèse : “Je vous le dis franchement, on est sur un radeau. Je ne vais pas vous faire croire que l’on a des tonnes de projets sur la table. On va aller à l’essentiel, en essayant de maintenir ce qu’il y a. Ce n’est pas terrible au niveau national, les difficultés actuelles ne touchent pas que la Corse. Le cyclisme est un sport à risque, particulièrement pour le cyclisme sur route. Les parents ne veulent plus envoyer leurs gamins sur la route et je les comprends, ça devient dangereux. Si on y ajoute les deux années de Covid, ça devient très compliqué. On a tout de même essayé de rester motivés, mais chez les jeunes, il faut avouer que c’est une hécatombe. En deux ans, on a perdu un tiers des licenciés dans ces plus jeunes catégories”.

60.000 EUROS DE DETTES ÉPONGÉS

De son côté, Stéphane Ruspini pointe des désaccords profonds, prioritairement quant au cap à suivre pour les années futures. “Il y a un goût d’inachevé. J’avais des orientations et des projets, mais au comité, ils n’avaient pas du tout le même regard que moi sur la situation, ils n’avaient pas les mêmes projections, comme s’ils ne voyaient pas ce que je voyais et ce qui était réalisable... Pourtant, il y avait une demande politique forte. On nous disait qu’il fallait proposer autre chose”.

La priorité absolue a d’abord été d’éponger les dettes. Mission accomplie donc, lors du mandat de Stéphane Ruspini. Son successeur, Antoine Bartoli, se félicite de cette condition sine qua non pour aller de l’avant. “Il ne faut pas oublier d’où l’on vient. Nous avions une dette de 60.000 euros. On est reparti de zéro et même pire que ça. Le comité PACA gérait notre calendrier et nos licences. Les dettes ont été épongées sur trois ans, on est revenu à un équilibre financier plus que convenable. On a retrouvé notre identité corse et notre indépendance. On avait intérêt à reprendre cette identité. De ce fait, les collectivités nous suivent et nous aident financièrement. Désormais, au niveau des finances, on est bien”. Mais qu’il s’agisse de l’attractivité de l’île et du cyclisme corse, du manque de bénévoles et d’événements ou de lignes politico-sportives divergentes, les dossiers sont encore nombreux et épais sur la table des dirigeants du comité.

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