« On se bat à coups de points » pour le WorldTour 2023-2025

Crédit photo Arnaud Guillaume - DirectVelo

Crédit photo Arnaud Guillaume - DirectVelo

Matis Louvel a décroché, ce mercredi à la Course aux Raisins, sa deuxième victoire pro (voir classement) et par la même occasion 125 points précieux pour la formation Arkéa-Samsic dans la lutte pour accéder au WorldTour pour les trois prochaines saisons. Pour rappel, les 18 meilleures formations professionnelles (WorldTeams ou ProTeams) entre 2020 et 2022 auront la licence WorldTour pour les trois prochaines saisons. Au soir de la Course aux Raisins, Arkéa-Samsic est 14e tandis que Lotto-Soudal, 19e et Israël-Premier Tech, 20e, occupent des sièges éjectables, synonymes de division 2 l'an prochain, selon le pointage établi par lanternerouge.com.au. Au départ à Overijse, chez Arkéa-Samsic, la stratégie était claire : tout pour Matis Louvel. Logique, le Français marche bien et il est surtout l'un des dix meilleurs "scoreurs" de l'équipe. "Aujourd'hui, on jouait absolument sa carte. C'était tout pour lui. Bien sûr, les autres membres de l'équipe pouvaient faire un résultat, mais certainement pas au détriment de Matis", explique le directeur sportif Yvon Caër à DirectVelo. La formation d'Emmanuel Hubert fait tout ce qu'elle peut pour figurer dans les 18 premières équipes d'ici la fin de l'année. "Ça fait trois ans qu'on est sur ce schéma. Chaque course est importante. On a construit notre projet pour arriver en WorldTour. On essaie de mettre un scoreur dans les meilleures conditions à chaque épreuve. Ne pas y arriver serait une grande déception. On ne veut pas avoir de regrets. Si on n'y arrive pas, il faudra analyser pour voir où on aura loupé le coche." Hormis l'attente du verdict de l'appel de Nairo Quintana (le Colombien a été contrôlé positif deux fois au Tramadol pendant le Tour de France, un produit interdit par l'UCI, mais pas par l'Agence mondiale antidopage. Sa disqualification lui ferait perdre les 400 points de sa 6e place finale), ce stress est "positif. Les coureurs sont stimulés par cette montée éventuelle en WorldTour. Chacun se donne à 200% depuis le début de la saison. Nous avons des périodes un peu creuses, mais c'est à cause de l'intensité du calendrier."

COFIDIS À CRAN, BIKEEXCHANGE-JAYCO EN A MARRE

Si cette lutte galvanise chez Arkéa-Samsic, d'autres affichent un stress palpable, comme le directeur sportif de la Cofidis Alain Deloeuil. "Nous sommes à cran. Ça met du stress pour les directeurs sportifs, les coureurs et le staff, alors que chez nous, la situation n'est pas mauvaise." (Cofidis est 15e et possède 792 points d'avance sur le 19e). Du côté du Team Bike Exchange-Jayco, 16e à l'heure actuelle, "on en a marre de parler des points, ça amène trop de négativité, on ne veut pas parler, on veut courir et gagner."

Paradoxalement, Lotto-Soudal et Israel-Premier Tech affichent davantage de sérénité. En tout cas, en apparence. "À l'extérieur, je vois qu'on en fait tout un foin, mais dans le bus, l'ambiance est bonne. Bien sûr, nous sommes conscients de l'enjeu sportif, mais nous ne parlons pas en continu de ces points", assure le directeur sportif de Lotto-Soudal Nicolas Maes.  Malgré une 20e place et plus de 900 points de retard sur le 18e (Movistar), le manager sportif d'Israël-Premier Tech Rik Verbrugghe garde son calme. "Je fais confiance à mes coureurs, mais je pense que cette bataille prendra un tournant décisif au Tour de Lombardie, les derniers gros points de la saison". Son collègue chez Lotto- Soudal Kurt Van de Wouwer rappellait à la Brussels Cycling Classic, début juin, qu'il est avant tout important d'assurer la place parmi les deux meilleures ProTeams. Pour rappel, les équipes actuelles WorldTeams et ProTeams classées au-delà des 18 premières, rouleront en ProTeam en 2023. Parmi elles, les deux meilleures en 2022 seront assurées de pouvoir disputer l'intégralité du calendrier WorldTour, tandis que la 3e pourra participer aux courses d'un jour. "Si on n'est pas dans les deux premiers, là, c'est vraiment gênant", précise-t-il.

MONDIAL OU PAS, LE DILEMNE DU MOIS DE SEPTEMBRE

Cette bagarre pour accéder ou rester dans le WorldTour a des répercussions sur les Championnats internationaux. EF Education-EasyPost, 18e, a refusé de laisser le Belge Jens Keukeleire participer au Championnat d'Europe à Munich la semaine dernière. Kevin Vauquelin nous confiait la semaine dernière que sa participation au Championnat du Monde Espoirs en Australie dépendait de la décision d'Arkéa-Samsic (lire ici). Lotto-Soudal n’enverra aucun coureur en Australie pour privilégier la récolte de points sur des courses à domicile comme le Championnat des Flandres, la Gooikse Pijl ou encore le Circuit du Houtland. Une décision qui laisse perplexe Rik Verbrugghe, . "Chez moi, les coureurs sont libres d'aller en Australie. D'autant que je suis sûr qu'ils iront prendre des points là-bas", assure-t-il. D'ailleurs, un titre de Champion du Monde rapporte 600 points UCI, soit l'équivalent de presque cinq succès en Classe 1.

Autre conséquence de ce sauve-qui-peut, ce sont les transferts réalisés en cours de saison par les équipes concernées. Lotto-Soudal a engagé Carlos Barbero et Reinardt Janse Van Rensburg, libres de tout contrat. EF Education-EasyPost a fait venir Andrea Piccolo et Jefferson Cepeda de Drone Hopper - Androni Giocattoli tandis qu'Israel-Premier Tech a accueilli Dylan Teuns, plus en odeur de sainteté avec Bahrain-Victorious. "Sans cette histoire de points, nous l'aurions quand même fait venir. Il était malheureux là-bas. Son programme de fin de saison n'était pas à sa convenance. Sachant qu'il s'en allait, ils ne lui ont pas donné la priorité. Maintenant, je ne nie pas que son arrivée injecte de la qualité au groupe et je compte sur lui dans les semaines à venir", poursuit-il.

LES PETITS ONT ENCORE PLUS DE MAL POUR BRILLER

Toutes les équipes s'accordent sur un point : vivement la fin. "J'ai l'impression que sur les courses d'un jour, on joue un classement général en même temps, à la place de courir juste, c'est un peu n'importe quoi", regrette Rik Verbrugghe relayé par le directeur sportif de Cofidis Alain Deloeuil. "On en arrive à des situations absurdes où on ne laisse pas un tel ou un tel d'une équipe en particulier. Ce n'est pas ça le vélo. On roule pour gagner, pas pour avoir des points." Cette lutte a également des répercussions pour les "petites" équipes. "Pour nous, c'est encore plus compliqué de faire un résultat sur une Classe 1 ou une ProSeries, car les plateaux sont bien fournis", soutient le directeur sportif de Geofco-Doltcini-Matériel-vélo.com Pascal Pieterarens qui prend l'exemple de son coureur Stijn Siemons. "Il est meilleur que l'an passé. Il a progressé dans ses données de puissance et pourtant, ses résultats sont moins bons." Son collègue chez Minerva Preben Van Hecke le comprend. "C'est plus difficile, mais ça veut dire que quand tu claques un résultat, il en vaut vraiment la peine. La 2e place de Thimo Willems à la Brussels Cycling Classic est plus significative qu'avant."

Même constat pour la ProTeam belge Bingoal-Pauwels Sauces-WB. "Il n'y a plus de petite course où on peut prendre la course en main. C'est un peu décourageant pour nos garçons, mais pas uniquement. On remarque aussi qu'on a moins de points UCI que l'an dernier. Je pense qu'on a 800 points UCI de moins que l'an dernier", déplore le manager Christophe Brandt qui ne comprend pas pourquoi des équipes WorldTour parviendraient à se sauver en engrangeant des points dans l'Europe Tour. "Le WorldTour, c'est la Ligue des Champions du vélo. Tu ne gagnes pas en Ligue des Champions alors tu viens te sauver dans ton championnat national ? Mérites-tu vraiment ta place parmi l'élite du cyclisme ? Si le système le permet, ok. Finalement, une WorldTeam va peut-être devoir son salut aux points pris à Zottegem ou pire encore à la Merksem Classic. Est-ce que ça fait avancer le vélo ? J'en doute."

LE BARÈME DES POINTS REMIS EN QUESTION

La Schaal Sels Merksem, Classe 1, disputée dimanche dernier et remportée par Arnaud De Lie (Lotto-Soudal) symbolise le problème de la répartition des points. "Une course de 114 kilomètres pour 125 points ? Il y a plus de points que de kilomètres. C'est honteux", s'insurge Alain Deloeuil relayé par Yvon Caër. "Alors que celui qui fait 6e au sommet de l'Alpe d'Huez au Tour n'a pas de point, ce n'est pas un système équilibré." Alain Deloeuil prend la course d'Overijse en exemple. "Les deux sont en Classe 1 et à la Course aux Raisins, on se retrouve avec Mathieu Van der Poel, Arnaud Démare, Biniam Girmay et j'en passe pour le même montant de points. Ce n'est pas logique. Le Tour du Limousin et le Tour de l'Ain, ce sont des épreuves par étapes, il n'y a que 125 points." Même le vainqueur du jour, Matis Louvel estimait que le niveau de la Course aux Raisins était comparable à celui d'une ProSeries (lire ici).

Selon Alain Deloeuil, l'UCI aurait dû intervenir plus tôt. "Elle nous laisse nous battre à coups de points, mais elle est à côté de la plaque. Elle doit revoir son barème. Ce système est nul. Ce n'est pas du vélo. À la base, on roule pour gagner. Ne peut-on pas décider du nombre de points d'une course en fonction des équipes participantes ?", suggère-t-il. Mais alors, les équipes auraient le pouvoir de décider de la grille de points en fonction de leur participation ... ou de leur absence. L'UCI impose déjà des règles de participation pour les Classe 1 et les ProSeries. Pour les premières, les WorldTeams ne doivent pas représenter plus de la moitié du plateau. Pour les ProSeries, la première division peut atteindre 70% du peloton dans les courses européennes. Il existe aussi un nombre d'équipes présentes minimum à respecter pour les 1.Pro : 22 formations de 6 coureurs ou 19 dans le cas de 7 coureurs par équipe.

LES ORGANISATEURS VOIENT REVENIR DES ÉQUIPES

En son temps, Hein Verbruggen disait que le calendrier était un menu dans lequel les équipes pouvaient choisir. Les équipes de première division ont longtemps fait la fine bouche sur les entrée-plat-dessert du midi leur préférant les restau étoilés. La lutte pour leur survie dans l'élite du cyclisme mondial leur fait retrouver le chemin d'organisations qu'elles négligeaient les années passées mais qui font pourtant vivre le calendrier professionnel. Les exemples sont nombreux.

La Polynormande (1.1), 169 km et 125 points, a toujours bénéficié de la présence des équipes françaises du WorldTour grâce à un accord de la Ligue Nationale de Cyclisme. En 2019 et 2021, les WorldTeams et les Conti Pro françaises étaient les seules formation de ce niveau au départ. Cette année, six WorldTeams, dont trois étrangères (Lotto-Soudal, Israël-Premier Tech et Intermarchés-Wanty-Gobert) sont venue profiter de la vue sur le Mont Saint-Michel depuis le jardin d'Avranches, la ville départ. Le Circuit Franco-Belge (1.Pro) a attiré huit WorldTeams (dont les trois belges) en 2022 . Elles étaient quatre en 2019, dont deux étrangères, quand l'épreuve s'appelait encore le Tour de l'Eurométropole. L'an dernier, elles étaient douze de première division au départ mais la course avait été déplacée entre le Championnat du Monde en Belgique et Paris-Roubaix.

Le système de montée-descente est donc contesté, surtout par ceux qui risquent de descendre. Mais pourquoi critiquer maintenant alors que les règles sont connues depuis longtemps ? "C'est toujours ainsi, il y a le feu au lac, c'est la panique à bord et c'est bien parce que nous sommes en plein dedans qu'on se rend compte que le système est nul." Des points de vue qui sont dans la lignée de notre dossier réalisé en 2019 sur le barème des points (lire ici). Pour Christophe Brandt, on est loin d'avoir tout vu. "Je ne serais pas surpris que ça se termine au Tribunal Arbitral du Sport. Avec la pandémie de coronavirus, certaines équipes pourront prétexter qu'elles n'ont pas eu toutes les chances de prendre des points." Le coureur du Team BikeExchange-Jayco Simon Yates a déjà préparé le terrain avant le départ du Tour d'Espagne. "Ça fait deux ans qu'on nous prive de la tournée australienne et c'est potentiellement des courses où on marche bien. Du coup, on a perdu beaucoup de points." Et si cette lutte sportive se transformait en bataille juridique dans les prochaines semaines ?

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