Thibaut Pinot : « Je n'aime pas décevoir les gens »

Crédit photo Zoé Soullard - DirectVelo

Crédit photo Zoé Soullard - DirectVelo

À Côme, veille de départ du Tour de Lombardie, dernier Monument de l'année, la tension monte doucement sous le regard de nombreux curieux qui se promènent dans l'ère de départ, encore vide de coureurs. Mais à 20 minutes de la cité italienne, à l'abri des regards, c'est déjà l'effervescence. À l'hôtel de la Groupama-FDJ, tous les journalistes francophones qui ont fait le déplacement n'attendent qu'un homme, comme son public, à tel point que les coureurs d'AG2R Citroën, présents au même hôtel, n'ont pas eu à se prêter au jeu des questions. Thibaut Pinot est à 24 heures de ranger le vélo, après quatorze années dans les pelotons professionnels et tant de hauts et de bas qui lui ont valu l'amour d'un public qui a déjà prévu d'être au rendez-vous ce samedi, comme c'était déjà le cas lors de l'étape du Markstein au dernier Tour de France. Sourire aux lèvres, détendu en tout cas en apparence, celui qui va porter une dernière fois les couleurs de la Groupama-FDJ est bien conscient de la charge émotionnelle et populaire que cet événement représente. Devant une petite dizaine de médias d'abord, l'homme aux 33 succès chez les pros a pris 30 minutes de son dernier marathon pour se confier sur ces dernières heures, jours, semaines, en tant que coureur. DirectVelo était présent sur place pour recueillir les confessions de l'ancien vainqueur du Tour de Lombardie.

DirectVelo : Quel est l'état d'esprit à la veille de ta dernière course ?
Thibaut Pinot : Dire que ça va serait mentir. Je suis un peu stressé quand même, plus que d'habitude. Je sens que c'est un événement particulier. C'est dur de trouver du plaisir. J'ai hâte que la course commence pour lâcher tout ça. Ça n'a pas été facile, j'aurais préféré être capable de jouer un rôle sur le Lombardie. Ce sont des cols qui me plaisent, qui me correspondent bien. C'est toujours frustrant de ne pas pouvoir peser. Mais sait-on jamais, dans une très belle journée, être là quand même... On se raccroche à des détails, mais depuis ma chute au Poitou-Charentes ça a été une accumulation de pépins qui ont fait que c'est devenu compliqué. 

Tu as peur de ne pas aller au bout ?
C'est vrai que j'y pense. Surtout que c'est une course où ça ne pardonne pas. Les courses italiennes... Sur les cinq Monuments je pense que c'est le plus difficile à finir. Au pied de l'avant-dernière, si tu lâches tu sais que tu finis, mais si tu lâches à la sortie de San Pellegrino tu sais que c'est mort. Il y a la crainte d'un jour sans, mais j'essaye de ne pas trop y penser. Même sans résultat probant sur les dernières courses, il restait 40 mecs et j'étais quand même là, donc ça me permet de me dire que je suis quand même capable de finir. Je suis mieux que ce que je pensais il y a dix jours. À ce moment-là, je pensais venir au Lombardie juste pour prendre le départ, presque. J'ai fini des courses difficiles, c'était déjà une bonne chose. Je sens que ça progresse, mais il va peut-être me manquer une dizaine de jours pour être bien.

« BEAUCOUP DE CHOSES REVIENNENT À L’ESPRIT »

Ressens-tu l’atmosphère autour de toi ?
Je sens qu'il y a la question de la retraite, beaucoup de choses se passent. Je reçois beaucoup de messages, mais pour l'instant je vais essayer de rester dans la course. On verra ça à partir de dimanche, pour prendre le temps de répondre. Ce sont des messages sympas, mais je veux rester concentré pour le moment, car c'est du temps et de l'énergie. Je suis dans l'optique de finir ma saison correctement, de faire ma course, et la plus belle possible. Avant tout ce qu'il se passe, l'idée est quand même de faire un résultat. Beaucoup me disent de prendre du plaisir sur la dernière, mais le plaisir vient en étant avec les meilleurs, en se battant avec eux. C'est là que je vais essayer de chercher le plaisir. 

Il y aura du monde pour toi demain... Ça te rajoute de la pression ?
Complètement ! C'est sûr que si j'avais eu le choix de finir ma course seul, vu le niveau il y a dix jours, j'aurais signé. Comme j'ai toujours dit, je n'aime pas décevoir les gens. Certains viennent de très loin faire un week-end ici, pour me voir aussi. Ça rajoute de la pression. Et quand tu sais que tu ne vas pas être à la hauteur... On est sur un Monument, sur un Lombardie, il n'y a pas de secret. Tu as beau mettre le cœur et les tripes, si tu n'as pas les jambes... Surtout avec ce plateau qu'on n'a pas vu depuis très longtemps. Il n'y aura pas de surprise.

Tu repenses à des moments de ta carrière ?
J'ai eu pas mal de personnes au téléphone pour des articles etc. Donc on ressort forcément les souvenirs d'il y a dix ans. Donc beaucoup de choses reviennent à l'esprit. Mais quand je suis ici en Italie... Ce matin j'ai été une dernière fois au Mur de Sormano. On n'y passe pas mais je voulais le revoir une fois, car je ne l'avais pas vu depuis 2018. Je n'irai peut-être plus jamais là-bas, donc j'avais envie d'y aller tout seul ce matin. Je ne réalise pas vraiment que tout se termine demain soir. Beaucoup disent qu'on réalise quand on ne reprend pas après les vacances d'octobre. Et je pense que ce sera à ce moment-là. Tu vas voir la pluie et le brouillard et tu vas te dire que non, tu n'as pas besoin de mettre le cuissard. Là tu réalises, je pense. 

« J’AVAIS SENTI LE TRUC COMME QUOI ÇA ALLAIT ÊTRE LA PLUS LONGUE SEMAINE DE MA VIE »

Tu as fait tes dernières sorties sur tes routes, était-ce calculé ?
Je sais très bien que je ne vais pas reprendre le vélo tout de suite, en tout cas pas aussi dur. J'ai parcouru ces routes près de 20 ans, j'ai mes temps de passage. Je voulais me tester, comme tous les jours cette semaine. Dès que je mettais un coup de pédale je voulais voir où j'en étais. Faire le Ballon de Servance, c'était comme boucler la boucle. C'est là où j'ai fait mes premiers tests en Junior. Ces dernières semaines j'ai privilégié les routes que je préfère. J'y repasserai, mais peut-être beaucoup moins vite. Ça va me faire bizarre (sourire).

Que vas-tu faire dès dimanche ?
Dimanche je vais aller à Paris. C'est lundi où je vais commencer à faire autre chose. Mais j'ai encore Stade 2, puis je prendrai le train. Une fois chez moi, je ferai le tour de mes animaux, je suis parti depuis dix jours, mais j'ai l'impression que ça fait un mois. J'avais senti le truc comme quoi ça allait être la plus longue semaine de ma vie. Et en effet, elle est très longue. 

Cette veille de course est justement longue avec toutes les sollicitations ?
C'est vrai que là, on n'a pas couru hier (jeudi) déjà. Avant, j'aimais bien les courses en Italie parce qu'on courait tous les deux jours. Mais là ça fait trois jours d'hôtel, on en a fait beaucoup en dix jours. Cette journée est longue, hier elle était très longue déjà. Comme la nuit. Vivement demain. Je n'ai déjà pas trop dormi cette nuit. Entre le stress, le bruit, la chaleur, il y avait un bon mélange qui fait qu'on ne dort pas très bien. Mais ça devrait aller mieux, j'espère vite trouver le sommeil. 

« PLUS LES ANNÉES PASSENT, MOINS JE ME SENS À L’AISE AVEC TOUT ÇA »

Est-ce que cette dernière course n'a pas été trop idéalisée ?
Je surfais sur ma vague du Giro, du début de saison, du Tour. Je n'étais pas super au Tour mais ça s'est bien fini. Ma fragilité et mon physique m'ont laissée tranquille... Mais finalement non, j'ai chopé des trucs. Je n'avais jamais rien chopé au ventre et il faut que ça tombe trois semaines avant la fin... Mais je me suis toujours battu à ne pas tomber malade ou qu'il m'arrive quoi que ce soit. J'aurais préféré surfer sur la vague du Tour et finir en pleine santé au Lombardie. Mais j'ai tellement eu l'habitude de me battre contre tout ça que je me suis fait une raison.

As-tu hésité à arrêter plus tôt comme tu étais malade ?
Non, j'allais venir ici quoi qu'il arrive, même pour prendre le départ seulement. Quand je suis rentré du Luxembourg, ça a fusé dans ma tête. Je me suis demandé comment j'allais être prêt quinze jours après pour finir un Monument. Là c'était compliqué, mais à l'entrainement je me suis reposé, je n'ai rien lâché, je me suis fait mal et ça paie quand même. Je pense être capable de finir et avec l'espoir d'être acteur. Ça serait forcément difficile de finir dans l’anonymat avec tout le monde demain, l'engouement… Quand tu es sportif de haut niveau, tu as juste envie de peser sur la course, faire un résultat et faire vibrer les gens encore une fois. Mais j'attends de savoir comment je me lève et comment seront les sensations au départ, car pour l'instant je n'ai pas de réponse. Je le saurai dès que je vais signer, après 200 mètres je sens si ça va ou pas.

En un sens, as-tu hâte que tout ça se termine ?
Je n'aime pas être au centre de l'attention. Et aujourd'hui j'y suis, demain encore. Plus les années passent, moins je me sens à l'aise avec tout ça. C'est pour ça aussi qu'il faut que ça se termine. Je pense qu'après ce sera à moi de décider. Si je m'enferme dans ma ferme, on va vite m'oublier. Mais je n'ai pas envie d'oublier les gens que j'ai côtoyés pendant quinze ans. J'irai dès que je pourrai. La vie continue et les gens passent vite à autre chose. Dans tous les cas, ça ne sera pas pire qu'aujourd'hui (sourire).

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