La Grande Interview : Jérôme Gannat

Crédit photo Nicolas Gachet et Freddy Guérin - DirectVelo

Crédit photo Nicolas Gachet et Freddy Guérin - DirectVelo

Thibaut Pinot, Warren Barguil, Guillaume Martin, Adam Yates, Rudy Molard, Petr Vakoc, Kenny Elissonde, Geoffrey Soupe ou encore Léo Vincent. Tous ont un point commun : ils ont couru au CC Etupes avant de passer professionnel. "Il y en a eu 28 depuis 2005", a compté Jérôme Gannat, resté quatorze saisons directeur sportif du club franc-comtois. Alors que les structures professionnelles venaient piocher dans le Doubs les coureurs et entraîneurs, l'ancien vainqueur d'un Tour du Doubs a lui enchaîné les saisons en DN1, faute de contacts concrets.
Jérôme Gannat a sans doute « payé » son absence de carrière chez les professionnels... et les (bons) résultats de ses coureurs. Alors qu'une certaine lassitude l'avait gagné, à 48 ans, il a envoyé un CV en début d'année pour devenir le directeur sportif de la Continental Groupama-FDJ qui verra le jour l'an prochain. Mi-août, la bonne nouvelle est tombée. Le Franc-Comtois a été retenu pour travailler aux côtés du manager Jens Blatter et de l'entraîneur Nicolas Boisson, passé lui aussi par le CC Etupes. Jérôme Gannat s’est entretenu avec DirectVelo, à l'aube d’une nouvelle « carrière ».

DirectVelo : Te voilà directeur sportif d'une équipe professionnelle. Enfin ?
Jérôme Gannat : C'est une évolution personnelle qui a mis du temps à venir. Avant de rejoindre cette équipe réserve de la Groupama-FDJ, qui sera basée à Besançon, près de mon domicile, je me suis clairement dit que c'était peut-être ma dernière opportunité de m'engager avec une équipe pro. Si je n'avais pas été pris, je ne sais pas si j'aurais continué au CC Etupes en 2019.

« UNE CERTAINE LASSITUDE S'ÉTAIT INSTALLÉE »

Pourquoi ?
J'étais directeur sportif du CC Etupes depuis 2005. Nous avons connu des grands moments et eu des grands coureurs. Avoir été directeur sportif de ce club m'a permis de connaître des champions comme Pinot, Barguil, Yates, Vakoc, Molard, Vuillermoz, Hofstetter ou encore Martin. Qu'est-ce que je pouvais avoir de plus ? Je dois reconnaître qu'une certaine lassitude s'était installée. C'était un peu plus dur ces deux dernières années même si j'avais toujours la même passion, toujours la même envie de me déplacer pour aller sur une course comme la Ronde de l'Isard. Mais voilà, il manquait cette petite flamme qui fait que tu as de la passion plein les yeux.

Tu as donc sauté sur l'opportunité Groupama-FDJ...
Je me suis dit que c'était ma chance. J'avais eu un contact l'an dernier pour être directeur sportif chez les professionnels, avec Vital Concept CC. J'avais rencontré Jérôme Pineau et Didier Rous. Ce projet m'aurait également plu. J'ai 48 ans. C'était le moment de sauter le pas. Je pense que ça aurait été plus délicat une fois la cinquantaine passée. Personne ne serait venu me chercher. Il fallait que ça se fasse avant les 50 ans (rires).

Pourquoi ça ne s'est pas fait avant selon toi ?
Je ne sais pas. Il y a peut-être plusieurs raisons comme mon manque d'expérience à ce niveau-là. Je n'ai jamais été cycliste professionnel. Et j'ai eu la crainte qu'on se dise : « Ce qu'il fait à Etupes, c'est bien alors il faut le laisser là-bas car ça fonctionne ». Tous les coureurs passés au club en disaient du bien. Et certains devaient se dire que je n'étais pas intéressé par le monde pro, alors que je l'étais comme tout le monde. Au bout d'un moment, chacun a envie de voir autre chose.

Mais tu ne l'as jamais vraiment dit...
Je ne suis pas du style à crier haut et fort. Mais comme je viens de le dire, on veut voir ce qu'il se passe ailleurs. Cependant, je l'ai toujours dit, je ne fais pas ça pour le statut professionnel. J'avais simplement envie de voir un autre vélo, d'autres courses, d'autres personnes... Est-ce que ce sera mieux ? Aujourd'hui, je n'en sais rien. Mais encore une fois, je ne suis pas intéressé par le simple statut d'être directeur sportif chez les professionnels. Je me suis souvent moqué du DS pro qui a la chemise blanche et les lunettes Ray-Ban... Franchement, je m'en moque de ça.

Porteras-tu une chemise blanche ?
Il y a des chances, oui. Mais je n'aurai pas les Ray-Ban ! (rires).


#MERCIPOURTOUTCEQUETUFAISPOURLEVELO

Sur les réseaux sociaux, tu avais lancé le hashtag #mercipourtoutcequetufaispourlevelo...
A l'époque où j'ai écrit ça, le CC Etupes était en difficulté financière. J'avais envoyé plusieurs mails à des directeurs sportifs d'équipes professionnelles pour avoir de l'aide. L'un d'eux m'avait répondu que ce que l’on faisait était très bien mais qu'il ne pouvait pas faire grand-chose pour nous. J'avais donc pensé à ce hashtag…

En voulais-tu au monde pro à l'époque ?
Pas forcément. Je peux comprendre que les équipes aient déjà assez de choses à gérer, qu'elles doivent respecter leur budget. Nous avions tout de même une dotation matérielle de la FDJ. Mais j'avais pensé à l'équipe du Brest Iroise Cyclisme 2000. Elle a formé des très bons coureurs (Olivier Le Gac, Franck Bonnamour ou encore Valentin Madouas, NDLR). Le jour où l'équipe a été en difficulté, elle a disparu. Personne n'a tendu la main au BIC. Je me suis dit qu'il pouvait arriver la même chose au CC Etupes, malgré notre passé…

Alors comment faire ?
Il faudrait peut-être des indemnités de formation. Ça nous aurait fait un bel apport financier certaines années ! Ça peut être une solution mais à long terme, ça ne fera pas changer le budget d'un club. Il faut être réaliste.

Que te doivent les coureurs pros passés par le CC Etupes ?
Je ne suis pas un « fana » de dire que c'est grâce à moi qu'ils sont passés professionnels. Ce n'est vraiment pas le cas. Ils sont chez les pros grâce à leur potentiel physique et mental. Le CC Etupes, et pas que moi, a participé à un moment donné à leur formation. Mais un coureur ne passe pas pro grâce à une seule personne ou à un seul club. Je n'ai jamais dit « mes » coureurs. Un directeur sportif n'a pas à s'approprier les coureurs et leurs performances. Ma principale satisfaction est qu’ils disent encore du bien du club. J'ai gardé des bons contacts avec eux. Au-delà des moyens, pas supérieurs à d'autres clubs de DN1, il y avait chez nous une ambiance et des coureurs motivés à faire du vélo. Le plus beau cadeau reçu est une lettre manuscrite de Petr Vakoc. Il remerciait tous les gens du club et avait écrit qu'il avait appris à aimer faire du vélo au CC Etupes. C'est plus beau qu'un résultat…

Il n'y a donc pas de secret ?
J'ai eu la chance d'être bien entouré ! J'ai toujours eu de bonnes relations avec les entraîneurs du club : Julien (Pinot), Samuel (Bellenoue), Nicolas (Boisson) et Rémy (Deutsch). Ils sont tous passés chez les pros d'ailleurs. Nous avons toujours fonctionné dans le même sens, avec la même vision du vélo. A savoir que les résultats passaient par l'entraînement et une bonne ambiance. Ce n'est pas une histoire de diplôme mais de connexions qui se font entre les gens.

« JE NE VOULAIS PAS ÊTRE DIRECTEUR SPORTIF »

Cette fois, c'est toi qui passe chez les professionnels...
Ce n'est officiel que depuis lundi mais tout le monde savait depuis deux mois que j'allais être le directeur sportif de l'équipe Continental de Groupama-FDJ. On m'a dit : « tu vas être dans un autre monde ». Pour le moment, je ne m’en rends pas vraiment compte. Nous ne sommes pas encore en course, ni en contact avec les coureurs. Ça me fera bizarre au stage de janvier de voir les coureurs de la WorldTour, Thibaut (Pinot), Rudy (Molard) etc. La dernière fois que nous avons été proches, c'est quand ils étaient au club. Je vais les retrouver un petit peu même si ça ne sera pas la même équipe.

As-tu toujours souhaité devenir directeur sportif ?
Quand j'ai arrêté de courir, en 2003, je ne voulais pas être directeur sportif. Je voulais être entraîneur. Ça a eu des conséquences plus tard car il y a eu une grande transition dans le cyclisme. L'entraînement scientifique a pris beaucoup d'importance. J'ai passé, à l'époque, les diplômes pour être entraîneur. Pascal (Pofilet) est parti en Guadeloupe. Il m'a demandé si je voulais prendre sa place de directeur sportif pour la saison 2005. Je l'ai fait mais encore une fois, ce n'était pas mon objectif. J'étais intéressé par l'entraînement. C'était une période où ça se développait de plus en plus. Les clubs recherchaient des entraîneurs.

Aurais-tu alors imaginé rester jusqu'en 2018 ?
Non, forcément. J'avais le même discours que les coureurs actuels. Je pensais rester trois-quatre ans. Je suis arrivé au CC Etupes comme coureur, à l'âge de 20 ans. C'était le plus grand club de l'Est de la France. A l'époque, tu pouvais vivre du vélo amateur. Je n'avais pas un gros potentiel physique, j'étais limité. Je n'aurais pas pu être professionnel. Je me faisais plaisir chez les amateurs, ça me suffisait. Je m'en sortais car j'étais un bagarreur et j’essayais d'être un tacticien...

Avais-tu déjà l'âme d'un directeur sportif ?
Peut-être sur la fin. Un coéquipier, Yanto Barker, avait dit qu'il aimait bien courir avec moi car j'étais calme et que je rassurais les autres.

Ceux qui t'ont côtoyé disent qu'ils ne t'ont pas souvent vu énervé...
Je me suis énervé deux-trois fois. Je me souviens m'être énervé sur Jérôme Chevallier, lors d'un Tour Alsace, par rapport au collectif. Ça ne peut pas toujours bien se passer mais les coureurs gardent un bon souvenir du CC Etupes, comme je le disais. Avec ceux où il n'y avait pas de feeling, je ne les gardais tout simplement pas en fin d'année.


« PAS LA STAR ACADEMY »

Ton métier a-t-il évolué depuis tes débuts ?
Le discours est resté le même. Les exigences du cyclisme sont toujours identiques. Mais aujourd'hui, les coureurs sont plus pressés pour arriver au haut-niveau. Il y a eu la Star Academy qui est arrivée en France au début des années 2000. Certains pensent qu'en une ou deux années, on peut passer de simple chanteur à chanteur à la télévision. C'est pareil dans le vélo. Il faut laisser du temps mais c'est aussi le système actuel qui fait qu'on doit émerger au haut tôt. Il ne faut pas oublier qu'il faut beaucoup de travail et pas seulement trois cours de chants…

Qu'est-ce que tu apprécies dans ce métier ? Transmettre, diriger ?
J'aime bien le terme transmettre, pas diriger. Diriger, ça fait très militaire... Je me souviens d'une phrase que l'on m'avait dite quand j'étais jeune directeur sportif : « Il faut avoir une main de fer dans un gant de velours ». Je ne suis pas d'accord... Au-delà de diriger, j'ai toujours essayé de responsabiliser les coureurs. Pourquoi faut-il s’entraîner, pourquoi faut-il faire le métier... Un coureur assimilera mieux les choses de cette façon.

Quel restera ton plus grand moment de directeur sportif du CC Etupes ?
La victoire de Warren Barguil sur l'Essor Breton 2012. Il a retourné la situation lors de la dernière étape alors qu'il ne partait pas favori. Mickaël Jeannin et Mathieu Chiocca étaient échappés. Warren était parti dans la côte d'Inzinzac-Lochrist (Morbihan), chez lui, pour les rejoindre. Pendant 50-60 kilomètres, l'avance n'avait jamais dépassé la minute. EFC roulait derrière l'échappée mais Warren avait réussi à gagner le général. J'ai toujours été orienté vers un cyclisme offensif. J'aimais bien quand certains me disaient après la course : « tu as vu Gégé, on en a mis partout aujourd'hui ».

Ton principal succès n'est-il pas d'avoir changé l'image du club ?
Oui, j'en ai conscience mais c'est aussi car je me suis entouré des bonnes personnes. Quelqu'un comme Julien (Pinot) a beaucoup fait pour la notoriété du CC Etupes. Le club sortait d'un grosse période de résultats. Je voulais axer le club sur la formation, n’avoir que des jeunes et qu’Etupes soit une transition entre les amateurs et les pros. Il a fallu le faire comprendre. J'ai connu de belles années avec Julien. Je retiens aussi que Robert (Orioli, le président historique, NDLR) s'est beaucoup investi et que Jean-Pierre (Douçot) a transmis sa passion.

Feras-tu le même métier chez la Continental Groupama-FDJ ?
Dans le fond, l'objectif est le même qu'au CC Etupes, à savoir faire passer des coureurs au plus haut niveau. Mais la différence vient du fait que je ne suis « que » directeur sportif de la Continental, pas manager, donc pas décisionnaire. Je vais me concentrer plus sur le coaching en course. Tous les postes sont importants mais la base, ça reste le coureur... Il faut leur permettre d'exprimer leur potentiel pour gagner des courses mais surtout pour en envoyer dans le WorldTour.

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