Mathis Le Berre : « J’ai été usé mentalement »

Crédit photo Tour de Normandie

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Thor Hushovd, Silvan Dillier, Stefan Küng… ou encore Jérôme Pineau, Samuel Dumoulin, Jérôme Cousin ou plus récemment Anthony Delaplace pour les Français. Tous ont remporté le Tour de Normandie. Et en 2022, c’est Mathis Le Berre qui a ajouté son nom au palmarès de l’épreuve de Classe 2 (voir classement). Un succès de marque pour un coureur encore amateur, mais qui rejoindra la ProTeam Arkéa-Samsic pour 2023. Le coureur de Côtes d’Armor-Marie Morin-U y a mis la manière, en s’imposant en solitaire le premier jour, avant de conserver son maillot jaune jusqu’à l’arrivée finale, six jours plus tard, à Caen. Forcément, la semaine a été un feuilleton pour la N1 bretonne, qui est parvenue à museler les Continentales et autres, pour ajouter une ligne de marque à son palmarès. À froid, Mathis Le Berre est revenu pour DirectVelo sur cette semaine en jaune, ses émotions du dimanche et les moments qui ont forgé son aventure en Normandie.

DirectVelo : Après un succès comme celui-là, vous avez dû fêter la victoire avec l’équipe !
Mathis Le Berre : Un peu, mais on y a été tranquille. On est resté calme parce qu’il y a quand même la Coupe de France (la Boucle de l’Artois, ce week-end, NDLR). Aujourd'hui, c'est une journée normale qui commence. C'est sûr que quand tu vois le palmarès du Tour de Normandie, avec un gars comme Anthony Delaplace ou Stefan Küng… ce n’est pas un hasard que je sois là. J'ai été la chercher, tous les jours j'ai été usé mentalement.

Tu as attendu d’être sûr de la victoire après la ligne. Que se passait-il dans ta tête à ce moment-là ?
Je me dis que je ne vais pas me faire de faux espoirs. Je ne savais pas si j'avais gagné. J'ai dit : « attendez les gars, on va rester calme, on va attendre la décision finale ». Et donc on est resté calme. Ensuite, je n'en revenais pas trop. Ça l'a fait. À 20 ans, gagner avec une équipe amateur, qui n’a pas le même budget que les Contis. On n’a pas de bus, on vient avec nos chaises de camping. Et pourtant ça ne change rien, c'est sur le vélo qu'on fait la différence.

« ON SE DEVAIT DE RAMENER LE MAILLOT »

Tu évoques l’usure mentale, c’est pour ça que tu as craqué quand tu appris ta victoire ?
C'est surtout ça, oui. Il y a la fatigue musculaire, mais nerveuse surtout. J'ai été tout le temps en prise, on n’a pas fait d'erreurs, on a contrôlé la situation. J'ai été félicité par beaucoup de coureurs dans le peloton. Même tout au long de la semaine, ça fait plaisir. Des gars d’un peu toutes les équipes sont venus me voir, je pense qu'ils étaient aussi contents que je gagne. C'est cool de voir des comportements comme ça. 

Tu as pris le maillot le premier jour et ne l’a jamais cédé. Pensais-tu lundi soir à un tel scénario ?
Je me suis dit, je peux peut-être le garder deux ou trois jours, ça peut le faire. Après quand j'ai eu mon problème mécanique (sur la troisième étape, NDLR), je me suis dit : « là c'est vraiment tendu ». Je n'avais plus rien à perdre, on verra au jour le jour. Et à chaque fois on se le disait, et à chaque fois ça tenait le lendemain encore, et encore. Hier matin (dimanche), en me levant, je me suis dit « maintenant il reste une journée, il va falloir assurer ». Pour tous les collègues qui ont fait le boulot, on se devait de ramener le maillot, on n'avait plus le choix.

«  JE N’AI PAS BESOIN DE STRESSER, IL Y A TOUJOURS UNE SOLUTION »

Tu parles justement de cette journée où tu as perdu la majorité de ton avance acquise le premier jour. C’est le jour où tu t’es fait le plus peur ?
J'ai eu un coup de pression. Mes gars m'ont attendu pour me ramener, c'est sûr que si je n'avais pas les gars pour me ramener, c'était fini pour moi. Je ne pouvais pas rentrer tout seul, ça roulait trop vite. C'était impossible. Je suis resté calme, j’ai bien respecté mes gars toute la semaine, je ne suis pas un leader chiant, entre guillemets. J’arrive à bien leur parler, je respecte leur travail. Je ne suis pas nerveux, ils le savent. Je n'ai pas besoin de stresser, il y a toujours une solution. C'est du vélo, on peut récupérer la situation. Hier après-midi aussi, un gros groupe est sorti, il a fallu tenir la barre derrière, rouler encore, mais on n'était plus que quatre dans l'équipe.

Vendredi aussi, un gros groupe avec des coureurs placés au général était sorti. Comment as-tu géré ces instants critiques ?
Ça sort en haut de la bosse, avec Ewen (Costiou) qui provoque le truc. Il y avait un petit vent de travers, je lui ai dit d’embrayer et de serrer à droite pour le vent. C'était l'hécatombe derrière, on s'est retrouvé à un groupe de 25, ça s'est recassé puis un groupe de quinze est ressorti sans moi. Je me suis dit, de toute façon je connais le coco, il va tout faire pour que je garde le maillot. Et il a encore fait le boulot, il a un sacré moteur. Il fait une place de 3, ça fait du bien mentalement, un peu comme au Tour de Bretagne l'année dernière quand il fait une place à Fougères. 

« C’ÉTAIT UN PEU TENDU »

Tu n’étais pas non plus nerveux en voyant les sprinteurs se rapprocher un à un de toi grâce aux bonifications ?
Non du tout. Je me suis dit que de toute façon, au sprint, dans une arrivée massive, il faut avoir un petit train ou deux mecs minimum. Mais le truc, c'est que mes gars se sont poncés pendant 140 bornes à rouler avant. Je ne peux pas tout leur demander. J'ai essayé de me placer, mais je savais que le sprint avec des vrais sprinteurs, ce n'est jamais simple. Mais c’est sûr, tous les jours avec Casper (van Uden), c'était un peu tendu (sourire). 

Comment te comportais-tu le soir : étais-tu du genre à décortiquer les classements ?
Je regardais souvent les bonifs, qui les prenaient, qui se rapprochait, dans les quinze premiers. Même dans les gars à 28 secondes, il y avait des costauds, comme les gars de Lotto-Soudal etc. C'est sûr que des fois tu vois des mecs se rapprocher, mais il faut se baser sur quatre ou cinq mecs, pas plus, et les surveiller en course. Sinon ça peut vite être compliqué, on ne peut pas sauter sur tout le monde. Il faut faire avec ça.

« C’EST UN MANQUE DE RESPECT COMPLET »

Qu’est-ce qui t’a marqué dans cette longue expérience en jaune ?
Quand on est maillot jaune, on est un peu plus respecté, après c'est un peu à moi de guider le truc. Même si une fois… Il y avait une échappée partie une journée. C’était sorti avec quatre minutes, derrière je me suis arrêté pisser, pour dire que c'était fini et qu’on allait tenir le truc en roulant derrière. À ce moment, un coureur d'une équipe amateur m'a attaqué. Ça, ce sont des choses qui ne passent pas trop, et ça ne passera pas. C'est un manque de respect complet, il se reconnaitra. C'était un peu le moment de la semaine (sourire). On n'est pas sur le Tour de France d’accord, mais un maillot jaune, ça se respecte. Mais je sens qu'il y a quand même beaucoup de respect globalement, c'est assez fou.

Tu as l'impression d'avoir beaucoup appris cette semaine ?
Je n'ai jamais vécu ça sur une aussi longue période. Il faut trouver la patience, ne jamais s'énerver, toujours essayer d'être fin et intelligent. Avec des gars comme Matthieu Jeannès… J'avais le maillot mais il m'a bien aidé, même mon DS (Sébastien Cottier, NDLR), il a pas mal de métier, il sait comment prendre les choses, il sait comment ça se court. C'était notre premier Tour de Normandie, on reviendra, sans moi forcément (rires). Mais c'est bien pour l'équipe, le staff, les mécanos, les assistants… tout le monde était content. Ça donnera une bonne image de Côtes-d’Armor, on montre qu’on est un équipe qui peut gagner aussi.

« JE N’AI PLUS TROP DE PRESSION »

Tu es prêt à remettre ça sur le Tour de Bretagne !
C'est sûr ! L'année dernière, je dois faire 11, mais j'avais fait le boulot pour Anthony (Delaplace, il était alors stagiaire avec Arkéa-Samsic, NDLR). Là je me dis... (sourire). On verra bien, ça dépendra de ma forme du moment, si Ewen est costaud, ce sera à moi de faire le boulot comme il l'a fait pour moi. Mais d’ailleurs, quand j'avais fait le Tour de Bretagne, j’avais un peu vu comment ça se passait, c'était un peu la même configuration. Je me suis basé là-dessus cette semaine, dans le placement et tout ça. J'ai essayé de jouer, ça fait une sacrée expérience.

Ressens-tu le besoin de souffler ? Tu vas retrouver les courses Élites après une semaine au niveau supérieur…
Je reste focus sur la Coupe de France, même si la pression redescend un peu. Je pense que je n'ai plus trop de pression. J'ai mon contrat, j'ai gagné cette course. Maintenant je cours pour gagner de toute façon, je ne veux plus faire 2, c'est fini ça. Je pense que pour la Coupe de France, Ewen étant un gars qui va vite au chrono, s’il peut le gagner ce serait super. Ensuite je pense que je pourrai lui rendre la pareille sur les jours qu’il reste.

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