Audrey Cordon-Ragot : « Il est temps de passer à l’action »

Crédit photo Nicolas Mabyle - DirectVelo

Crédit photo Nicolas Mabyle - DirectVelo

Maillot de Championne de France sur les épaules, ce retour du Tour de France féminin aura une saveur particulière pour Audrey Cordon-Ragot. Du haut de ses 32 ans, elle fait partie des Françaises en activité les plus expérimentées. Engagée depuis sur le vélo comme en dehors pour faire rayonner le cyclisme féminin, la coureuse de la Trek-Segafredo a maintenant le privilège de connaître cette nouvelle formule du Tour de France, qui fait presque office de première fois. À la veille du grand départ, la Bretonne a évoqué la course auprès de DirectVelo, son impact sur le vélo féminin et bien sûr son sentiment personnel vis-à-vis de l’épreuve.

DirectVelo : Ça y est, le Tour va enfin commencer !
Audrey Cordon-Ragot : Il fallait que ça arrive, l'attente commençait à être un peu pesante. Nous avons été extrêmement sollicitées, c'est ce qu'on voulait, donc on a toutes assumé ces sollicitations. Mais maintenant il est temps d'arrêter de parler et de passer à l'action. 

C'est la marque de reconnaissance qu'il fallait au cyclisme féminin ?
Bien sûr, c'est la plus belle course du monde, l'un des plus gros événements du sport mondial. Qu'il soit décliné au féminin est la moindre des choses après tant de discussions, de preuves à donner ces dernières années qu'on peut faire aussi bien que les garçons. Qu'on est capable d'offrir un spectacle qui va intéresser un certain nombre de personnes. On en avait besoin pour passer une étape du sport féminin et du cyclisme féminin. On a bien fait d'attendre parce qu'aujourd'hui je suis ravie de vous voir tous là (elle s'adresse aux journalistes, NDLR) et de voir cet engouement autour de la course.

« JE SUIS MOINS À PLAINDRE QUE D’AUTRES »

Le cyclisme féminin a connu beaucoup de galères avant sa professionnalisation, il y a eu un avant et un après ?
On n'est plus beaucoup dans le peloton à avoir connu l'avant. On a une génération de jeunes qui ne connaissent peut-être pas l'âge d'or, parce que je pense qu'on n'y est pas encore, mais qui connaissent en tout cas ce nouveau cyclisme féminin, plus professionnel, avec plus de moyens. J'ai vécu les années compliquées, même si j'ai fait les bons choix au fil de ma carrière, et que je suis moins à plaindre que d'autres qui ont dû arrêter le vélo à cause de ça. Je sais ce que c'est de se changer au cul de la voiture, et je sais aussi profiter de ce que j'ai, et de ce qu'on nous donne. C'est une chance de savoir d'où je viens et de profiter au maximum maintenant.

Comment vois-tu ces huit jours ?
Je pense qu'on a une équipe extrêmement forte. Il y a des grosses individualités à battre. L'équipe pourra vaincre, pas une individualité en particulier dans l'équipe. On sera unies, avec des tactiques de course pour battre ces individualités. On a des étapes cochées, je n'en dirai pas plus (sourire), pour les piéger et aller chercher ce maillot jaune, avec une Elisa Longo Borghini qui a montré une progression constante sur le Giro. On a la meilleure sprinteuse du monde, on sera là pour travailler pour elle encore, avec ce train Trek pour la mener vers le premier maillot jaune du Tour de France.

« JE SUIS FIÈRE DE TENIR CE RÔLE »

Et en plus, tu vas prendre le départ avec le maillot de Championne de France !
C'est vraiment la cerise sur le gâteau. C'était mon objectif de prendre le départ avec ce maillot. C'est difficile d'avoir des objectifs personnels avec une telle équipe, donc moi mon objectif est rempli. Maintenant l'idée est de prendre du plaisir et être en communion avec le public, profiter, passer une semaine de fou. Et si les victoires viennent pour l'équipe ce sera super. À titre personnel, l'étape d'Epernay peut me convenir, j'aime les Strade Bianche, je fais du cross l'hiver, c'est aussi pour ces courses. Ce sera en plus une étape clé où tout peut arriver. Il peut y avoir des rebondissements.

Est-ce que tu n'as pas peur d'être cantonnée à un rôle d'équipière ?
Je n'ai pas peur parce que c'est mon rôle toute l'année. Ma seule possibilité, c'est sur un Championnat de France par exemple. Je sais dans quel rôle je viens ici, donc il n'y a pas de peur, au contraire. Je suis fière de tenir ce rôle et de faire partie de ces coéquipières qu'on voit peu devant parce que les retransmissions commencent deux heures avant la fin. On ne me verra peut-être pas à la télévision, mais je sais le travail que je fais et que sans moi on ne pourra pas gagner d'étapes. Je n'ai aucune frayeur ni regrets quant à le tenir toute la semaine.

Du coup, il faut comprendre que ce sera difficile de te voir jouer ta propre carte ?
Tout est envisageable, on ne sait jamais ce qu'il peut se passer. Mais sur le papier ce sera plus compliqué pour moi que pour les deux Elisa, ce sont les stars du peloton, il faut le reconnaitre. Moi à ma petite échelle, j'ai ce maillot et je compte le montrer de la meilleure des manières, et si c'est en étant équipière, tant mieux.

« C’EST AUSSI LÀ LE POINT DE DÉPART »

T'attends-tu à un public aussi nombreux que pour les hommes ?
On l'espère ! J'ai un peu peur de ça... J'ai peur qu'on soit déçu par le manque de public. Et en même temps on ne peut qu’être surprise. On n'a pas l'habitude donc ça ne peut qu'être mieux. On essaye d'être positive, et si on ne les a pas cette année, ils viendront l'année prochaine. Parce qu'ils seront déçus de ne pas venir cette année (sourire).

Désormais, il n'y a rien pour arrêter la marche en avant du cyclisme féminin ?
La seule chose qui peut l'arrêter, c'est nous ! Mais ce n'est pas dans nos plans (sourire). On a juste envie de continuer à progresser. C'est pour ça qu'on voulait le Tour. Pour que le futur soit encore plus beau qu'il ne l'est aujourd'hui.

Un premier Tour sur une semaine, c'était le bon choix ?
Pour moi c'était la meilleure décision que pouvait prendre ASO. On sait que les effectifs ne sont que de douze à treize filles. Comment voulez-vous mobiliser six filles pendant trois semaines, avec six à la maison qui devraient elles faire toutes les autres courses. C'est juste impossible. C'est aussi là le point de départ. En voyant dans les prochaines années des effectifs beaucoup plus gros qui permettent de voir trois semaines de course. Mais aujourd'hui c'est logistiquement impossible pour toutes les équipes, même les plus grandes. Donc c'est une sage décision.

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