Huit histoires du Championnat du Monde (2/2)

Crédit photo Patrick Pichon - FFC

Crédit photo Patrick Pichon - FFC

Ce jeudi a commencé le premier Super Championnat du Monde qui réunit treize disciplines de l'UCI. DirectVelo profite de l'occasion pour remonter l'histoire des Championnats de l'UCI à travers huit thèmes (voir la première partie). Retrouvez la seconde partie.

5 VAINQUEURS SANS FRANCHIR LA LIGNE

La cloche annonce le dernier tour de la finale du Championnat du Monde de poursuite par équipes dans le vélodrome de Saint-Sébastien en 1973. Vélodrome couvert car la précédente édition en 1965 avait été gâchée par les averses et les inondations. La RFA est largement en tête, 3 secondes et demi devant la Grande-Bretagne. Mais c'est une autre tête qui fait basculer cette finale. Dans le dernier virage, un commissaire de bord de piste veut replacer un boudin mais en s'avançant, il fait tomber toute l'équipe de la RFA. Hans Lutz se fracture la clavicule et souffre d'un traumatisme crânien. Günter Schumacher est lui aussi touché à la tête et s'est cassé plusieurs dents, Peter Vonhof et Günter Haritz sont les deux autres coureurs.

Les Anglais sont les seuls à franchir la ligne et les commissaires les désignent comme les Champions du Monde. Mais les Allemands portent réclamation. Le jury d'appel leur donne le titre, vu l'avance acquise et la fédération anglaise accepte de très bonne grâce la décision qui donne le titre de Champion du Monde à leurs adversaires.

6 LE PRIX ORANGE

En 2019, quelques minutes après l'arrivée du Championnat du Monde Espoirs, Niels Eekhoff est disqualifié et destitué du titre de Champion du Monde pour abri prolongé derrière le véhicule de son directeur technique. Battu sur la ligne, l'Italien Samuele Battistella hérite du maillot arc-en-ciel. Pour justifier la décision du collège des commissaires, l'UCI publie le lendemain la vidéo de l'infraction dans toute sa longueur (voir ici).

67 ans plus tôt, le Championnat du Monde Amateurs, disputé au Luxembourg, réunissait les mêmes ingrédients : Italien Champion du Monde, Néerlandais disqualifié et un film comme pièce à conviction.

Sur la ligne droite d'arrivée du Championnat 1952, Luciano Ciancola sprinte à droite de la route, et Piet van de Brekel, à gauche. Ils semblent franchir l'arrivée sur la même ligne. Maurice Dupin, le juge à l'arrivée au pied levé car le titulaire est malade, déclare l'Italien vainqueur. Ciancola reçoit le maillot arc-en-ciel mais le juge demande à voir le film d'arrivée car le Hollandais est passé au pied du mirador d'où il jugeait l'arrivée. Il a certainement encore en tête, la finale du Championnat du Monde de vitesse pro en 1931 à Copenhague, où le juge Alban Collignon a déclaré vainqueur le Danois Willy Falk Hansen devant Lucien Michard alors qu'une grande partie des témoins a vu le Français gagner.

Le soir du Championnat à 21h, les deux films d'arrivée sont projetés à l'hôtel de l'UCI. Image par image, au ralenti. Maurice Dupin se déclare incapable de les départager. Les deux films officiels de l'UCI sont pris par deux personnes qui tiennent leur caméra à la main, sans pied, dans l'axe de la ligne, de chaque côté de la route. Mais le film, pas assez rapide, ne donne une image que tous les 10 cm et aucune n'est prise pile au moment où les roues avant franchissent la tangente à la ligne. Une image les montre cinq centimètres avant et l'autre cinq centimètres après. Sur une autre image, on voit les axes de roues passer en même temps la ligne.

Mais le sort de van de Brekel est déjà scellé. Le Luxembourgeois Ludwig, 4e sur la ligne, a déjà porté réclamation contre le Hollandais qu'il a vu changer de vélo dans le dernier tour, entre deux postes de ravitaillement, ce qui est interdit. Les commissaires en voiture, loin derrière le peloton, n'ont rien vu. Les officiels hollandais interrogent leur coureur qui reconnaît les faits. Il avait écouté les conseils de ses supporters qui lui avaient dit de prendre un vélo spécial pour le sprint.

La fédération hollandaise rend la médaille de bronze de son coureur avant le verdict du film. Oui, de bronze car l'annonce du classement après la course a donné lieu à un sketch. Le préposé au haut-parleur confond le dossard 86 de van de Brekel avec le 6 de l'Italien Bruni qui saute sur l'occasion pour monter sur le podium pour prendre la médaille d'argent. Cinq minutes plus tard, nouveau classement, le Belge Noyelle est 2e et le Hollandais 3e alors qu'il est persuadé d'avoir gagné mais pas encore d'avoir fraudé.

On a évité de peu un blanc au palmarès du Championnat du Monde. En effet, le règlement alors en vigueur de l'UCI ne prévoit pas d'ex-aequo : soit il y a un seul Champion du monde, soit il n'y en a pas.

7 LA FINALE LA PLUS LONGUE

1946 marque le retour du Championnat du Monde, en Suisse, sept ans après les derniers en Italie. Le 25 août, la finale de la vitesse pro oppose le Français Georges Senfftleben au Hollanais Jan Derksen. Dans la première manche, "Senff" se casse la clavicule . Le cas n'est pas prévu et les commissaires, dont Achille Joinard, le Français futur Président de l'UCI, décident d'abord de recourir la finale le jeudi, soit quatre jours plus tard si la radio ne confirme pas de fracture et plus tard, si fracture il y a. La finale est reprogrammée le dimanche 6 octobre à Oerlikon mais la pluie tombe. Au final, elle se tient le lundi 7 octobre à 10h du mat' et Derksen bat Senfftleben en deux manches. Senff avait battu en demi-finale Arie van Vliet, le Champion du Monde sortant de… 1938 puisque la finale n'avait pas pu se disputer en 1939. 

En janvier 1940, l'UCI avait décidé que les quatre Champions de 1938 qui n'avait pas eu de successeurs en 1939 étaient autorisés à porter leur maillot arc-en-ciel jusqu'au prochain Championnat du Monde.

L'HYMNE À LA JOIE, LE TUBE DE L'UCI 

Cette année, l'UCI autorise la participation de coureurs russes ou biélorusses au Championnat du Monde mais sous la bannière d'athlètes neutres. Elle a tout prévu depuis mars 2022 et si un de ces coureurs devient Champion du monde, il aura droit à l'Hymne à la joie pour hymne.

La musique de Beethoven a rendu bien des services à l'UCI pour mettre de l'ambiance et éviter un blanc. En 1960, le Championnat du Monde a lieu en Allemagne de l'Est. Pour les compétitions amateurs, pour les victoires allemandes, de l'est ou de l'ouest, c'est l'Hymne à la joie qui est jouée. En revanche, pour la victoire du professionnel Rudi Altig en poursuite, c'est l'hymne ouest-allemand qui résonne.

Depuis 1949, l'Allemagne est divisée en deux avec la RFA à l'Ouest et la RDA dans la zone d'occupation de l'URSS. Cette division crée des problèmes dans le sport. Il faut attendre les Jeux olympiques de 1968 pour voir non plus une seule délégation mais deux. Après la 2e guerre mondiale, comme après la 1ère, la fédération allemande est exclue de l'UCI. La BDR est réaffiliée en juin 1950 mais le comité directeur décide que ses coureurs devront attendre encore un an avant de participer au Championnat du Monde. Dès 1952 Heinz Muller devient Champion du Monde professionnel et en 1954, l'Allemagne de l'Ouest reçoit le Championnat du Monde où la fédération d'Allemagne de l'Est fait ses grands débuts, alors qu'elle n'est pas encore affiliée.

Les problèmes se posent quand les Allemands de l'Est qui ne portent pas encore un maillot gris, doivent se déplacer dans des pays qui n'ont pas de relations diplomatiques avec la RDA. La France ne la reconnaîtra qu'en 1973. Fin août 1959, l'Italie n'avait pas accordé de visas à Gustav Schur, Champion du Monde, et ses camarades pour participer à la Roue d'Or de Bergame. Les Allemands de l'Est trouveront encore porte fermée pour le Championnat du Monde 1962 en Italie, et en 1964 en France. Alors, lassée de ces refus, la RDA écrit au comité directeur de l'UCI en novembre 1964 pour que le Congrès de printemps et les Championnat du Monde se déroulent dans des pays qui accordent des visas aux Allemands de l'Est : c'est le cas de l'Espagne qui l'organise en 1965. Mais les autorités espagnoles interdiront de jouer les hymnes et de hisser les couleurs pour toutes les courses amateurs.

En 1967, les Pays-Bas accueillent les compétitions mondiales mais le gouvernement hollandais, lié par les accords de l'OTAN, interdit de jouer les hymnes est-allemand et nord-coréen et de hisser leurs drapeaux, même s'il accorde des visas à leurs athlètes. Le comité directeur de l'UCI décide avant le Championnat que seul le drapeau de l'UCI et une sonnerie de fanfare présideront aux cérémonies protocolaires du Championnat pour éviter toute discrimination.

Retrouvez la première partie ici.

Retrouvez l'histoire du Championnat du Monde sur route pro ici.

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