Victorie Guilman : « Je peux me surprendre »

Crédit photo Freddy Guérin / DirectVelo

Crédit photo Freddy Guérin / DirectVelo

Victorie Guilman n’était pas présente, ce mercredi, au stage administratif de l’équipe FDJ-Suez - l’occasion pour les nouvelles recrues de faire connaissance avec le reste du collectif poitevin -. Et pour cause : après huit saisons de bons et loyaux services au sein de la structure du WorldTour, elle a décidé de prendre son envol en cassant son contrat, direction St-Michel-Mavic-Auber 93. DirectVelo fait le point avec la Charentaise de 26 ans avant sa dernière compétition avec la FDJ-Suez.

DirectVelo : Pourquoi as-tu décidé de quitter l’équipe FDJ-Suez alors que tu avais toujours une année de contrat pour 2024 ?
Victorie Guilman : En toute honnêteté, le déclic a eu lieu lors du Grand Prix de Chambéry, que j’ai gagné. Si j’avais respecté les consignes ce jour-là, je n’aurais jamais levé les bras. C’était ma première victoire chez les pros mais paradoxalement, les jours qui ont suivi n’étaient pas les plus faciles…

« ÇA M’A VRAIMENT FAIT MAL »

Pourquoi ?
Pendant la course, j’avais été à l’initiative, c’est moi qui avais créé l’échappée. Je suis sortie à la pédale et j’étais sûrement la plus costaude de l’équipe ce jour-là. Mais dans l’oreillette, on m’a dit qu’il fallait que j’attende ma leader. Alors que j’étais devant et en position de gagner. Je l’ai mal vécu. C’était vraiment frustrant. Après ça, je me suis dit que je n’allais jamais avoir ma chance, en fait… Même en prouvant que j’étais forte, voire LA plus forte à Chambéry, je n’avais pas la possibilité de jouer ma carte. Cette situation ce jour-là et la décision du staff ont été un tournant.

Tu aspires donc à plus de responsabilités, toi qui as très souvent été une coéquipière modèle dans ta formation. As-tu eu des échanges avec le staff en ce sens ?
Je n’ai jamais eu la prétention de vouloir ni pouvoir être une leader. Il ne faut pas se le cacher : je n’ai pas les jambes pour gagner les plus grosses courses du calendrier, les plus belles Classiques etc. Mais oui, j’ai expliqué que je voulais avoir un peu plus ma carte sur des courses qui me conviennent, quand je me sens super bien. Ne serait-ce que deux ou trois fois dans la saison.

Mais l’équipe dispose déjà de plusieurs grands noms comme Marta Cavalli, Evita Muzic ou encore Cecilie Uttrup Ludwig, des filles capables de gagner les plus belles courses du calendrier international, justement !
J’ai toujours aimé faire le boulot pour l’équipe. Comme je le disais, je ne suis pas capable de gagner les plus grandes courses mais aider, par exemple, Marta lors de sa victoire à l’Amstel l’an passé m’a procuré une joie indescriptible. C’était exceptionnel à vivre, et comme si j’avais moi-même gagné. J’ai toujours aimé ça, je me suis toujours donnée à 100% pour le collectif. Seulement, sur des courses d’une moindre importance comme à Chambéry, où je suis capable de gagner, ce n’est pas la même chose. J'aurais aimé qu'on me donne une toute petite part du gâteau sur l'ensemble d'une saison. Quand on m’a dit que ce n’était pas pour moi, ça m’a vraiment fait mal.

« CE N’EST PAS ÉVIDENT DE TOURNER LA PAGE »

As-tu fini par douter de tes propres capacités ?
Ma vision a changé au fil des saisons, oui. J’ai perdu cette notion et cet instinct de jouer la victoire. Depuis huit ans, je suis enfermée dans un rôle d’équipière. Je n’ai jamais pris le départ d’une seule course en espérant pouvoir la gagner. C’est comme ça. J’ai toujours été dans le sacrifice mais c’est bien, aussi, d’avoir une récompense de temps en temps. Je me souviens d’un Championnat de France où j’aurais pu décrocher le titre Espoirs, mais je me suis sacrifiée pour l’équipe, pour le titre Élites, car aux yeux de l’équipe, le titre U23 n’était pas important du tout. J’ai fait le boulot, mais j’aurais aimé décrocher ce titre. 

Le manager général, Stephen Delcourt, qui comptait initialement sur toi pour 2024, a-t-il compris ton ressenti et ta volonté de partir ?
On a réussi à se mettre d’accord. Il aurait pu dire non car j’étais sous contrat, mais il a été compréhensif. Il a réalisé que j’avais besoin d’un nouvel air et je l’en remercie. La FDJ, c’est quand même huit ans de vélo et une belle partie de ma vie. Il y a forcément de l’émotion au moment de partir. Hier (mardi), quand j’ai quitté les filles après les Trois Vallées Varésines, alors qu’elles allaient toutes en stage juste à côté de chez moi, ça m’a fait bizarre. Il y a de la nostalgie, même si j’ai hâte de débuter une nouvelle aventure. Mais ce n’est pas évident de tourner la page. La dernière course avec l’équipe, en Chine, sera forcément particulière. 

Il te reste tout de même une course avec l’équipe !
Oui, je vais voyager en Chine pour la dernière de la saison avec des filles comme Stine (Borgli), Emilia (Fahlin), Eugénie (Duval) ou Jade (Wiel). Ce sera ouvert, je pense qu'il y aura de belles choses à faire, une dernière fois. 

« JE N’AURAIS JAMAIS PENSÉ VIVRE ÇA UN JOUR »

Quelle est l’image la plus marquante qu’il te restera de toutes ces années à la FDJ-Suez ?
Sans hésitation, le passage pro, en WorldTour en 2020. Pour moi, c’était énorme de pouvoir en vivre. Quand je suis arrivée dans l’équipe quelques années plus tôt, je n’aurais jamais pensé vivre ça un jour, avoir un salaire etc. Je pensais devoir travailler toute ma vie en parallèle du cyclisme. Le faire avec une équipe de ma région, au plus haut niveau mondial, c’était encore plus fort. Incroyable, même. 

L’an prochain, tu vas rejoindre une équipe St-Michel-Mavic-Auber 93 qui est, à son tour, en plein développement !
Justement, je compare un peu les deux. Ça me fait vraiment penser à mes débuts avec l’équipe FDJ quand elle s’appelait Poitou-Charentes-Futuroscope. Auber est en train de monter et on ne sait pas jusqu’où ça peut aller. J’ai envie d’évoluer avec l’équipe. C’est aussi ce qui m’a vraiment attirée. C’est d’ailleurs la seule équipe dans laquelle je me voyais vraiment évoluer. J’ai fait la démarche de les contacter et ça a abouti. 

Après des années à jouer les équipières de luxe, tu auras plus de libertés et de responsabilités chez Auber. Penses-tu pouvoir encore te découvrir, à 26 ans ?
Oui, franchement je pense que c’est possible. Je peux me surprendre. Je ne suis pas encore dans la pente descendante et c’est de bon augure. On ne m’a jamais donné confiance en moi jusque-là, ce n’est pas facile de progresser dans ces conditions. Mais avec une équipe autour de moi, ça changera peut-être les choses. Pour le moment, je ne sais pas trop où sont mes limites. J’espère découvrir ça l’an prochain.


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