La Grande Interview : Andrea Mifsud

Crédit photo Kim Caritoux

Crédit photo Kim Caritoux

La plaie s’est refermée mais la cicatrice sera toujours présente. Une marque au corps comme pour être sûr de ne jamais oublier ce coup du sort physique, dont il reste encore à écrire s’il marquera le début de la fin des illusions pour un jeune grimpeur cannois qui avait des rêves plein la tête, ou s’il ne s’agit là que d’une épreuve de la vie, faite pour révéler la force physique et mentale d’Andrea Mifsud. Qu’elle se révèle positive ou négative à long terme, la grave blessure au genou gauche du sociétaire du VC La Pomme Marseille marquera à coup sûr un tournant dans sa carrière. A l’aise dès que la route s’élève, le jeune coureur de 18 ans n’a pas pu participer à la moindre course cette année, lui qui avait terminé 2e du Challenge Van Eyck-DirectVelo Juniors 1ère année en 2016.  “J’aurais peut-être pu faire partie des deux-trois meilleurs Juniors de la saison en France, sans prétention aucune. En tout cas, après ce que j’avais démontré l’an passé, c’était clairement mon ambition. Mais je ne saurai jamais ce qu’il en aurait été”, regrette l’Azuréen. Loin d’être abattu, Andrea Mifsud se veut même plus déterminé que jamais, après avoir vécu des moments cauchemardesques durant l’été, à passer des nuits blanches tant la douleur était intense. Encore en pleine rééducation, l’étudiant en première année de la SKEMA Business School de Sophia Antipolis (Alpes-Maritimes) a coché deux dates sur son calendrier : janvier et mai 2018. “Les dates de mon retour sur un vélo puis en compétition. J’y crois dur comme fer”.

DirectVelo : Après une saison 2016 très encourageante, tu pouvais difficilement imaginer vivre pire scénario cette année…
Andrea Mifsud : J’ai vécu une année très difficile et incompréhensible, presque cauchemardesque. Tout a commencé au mois de janvier. Je venais de marquer une grosse coupure après avoir participé aux premiers cross de l’automne. Je me suis arrêté au cyclo-cross du Prado, à Marseille, que j’avais d’ailleurs remporté. Je voulais me concentrer sur la route pour faire une grosse saison. Lorsque j’ai voulu reprendre, j’ai ressenti une gêne sur la face externe de mon genou gauche. J’avais déjà eu des soucis et des tendinites notamment mais là, c’est devenu beaucoup plus grave.

Tu as été bloqué dès ta première sortie ?
Non, j’ai quand même pu rouler un peu. Disons que j’ai fait une semaine d’entraînement de façon à peu près normale et dès que j’ai voulu en faire un peu plus en terme d’intensité, sur la deuxième semaine, ça a bloqué. Je me souviens très bien du jour où tout s’est vraiment déclenché : après cinq kilomètres de sortie, je ne pouvais plus appuyer sur les pédales. J’ai voulu faire demi-tour mais je n’ai même pas eu la force de rentrer à la maison. J’ai dû appeler mes parents pour qu’ils me ramènent.

« JE N’AI JAMAIS VOULU LÂCHER L’AFFAIRE »

Tu as immédiatement compris que c’était très sérieux ?
J’ai senti que c’était grave, pour avoir mal à ce point, mais j’espérais que ça allait passer les jours suivants. Parfois, tu essaies de te rassurer en te disant que ce n’est peut-être que passager, que tu as fait un mauvais mouvement et que ça va passer. Alors j’ai insisté. Je n’ai jamais voulu lâcher l’affaire. Je gambergeais tout de même beaucoup. J’ai essayé tous les types de réglages possibles sur mon vélo. J’ai continué de m’entraîner comme si de rien n’était, pendant trois mois. Il m’arrivait de pouvoir faire des sorties de près de deux heures, pratiquement normalement. Mais d’autres fois, c’était l’enfer.

Tes parents se tenaient prêt à venir te chercher durant chacune de tes sorties d’entraînement ?
(Rires). Complètement ! Ils étaient au pli, juste au cas où… Mes parents et mes grands-parents se relayaient en se mettant d’accord avant. Il fallait toujours prévoir un éventuel problème car cette histoire de blocage total, je l’ai connu plusieurs fois : disons tous les quinze jours environ.

Tes proches comprenaient-ils que tu souhaites insister à l’entraînement malgré des douleurs évidentes et récurrentes ?
On discutait ensemble et je dois dire que l’on a toujours été dans le même état d’esprit. Je voulais trouver une solution et continuer de me battre. Sur les réseaux sociaux, je voyais les résultats tous les week-ends. Je voyais des mecs que je connais bien gagner des courses. Ca me donnait de la force. Parfois, c’était vraiment dur mentalement mais je me mettais un coup de pied au cul et je me forçais à aller rouler, en me disant que ça irait. Ils ont compris cette persévérance. Mais le déclic s’est fait lorsque j’ai commencé à flancher au niveau scolaire. Sur le vélo, je n’y arrivais pas. Ca jouait sur mon moral et ça se ressentait dans mes résultats à l’école également.

« CE PROBLÈME M’AVAIT POUSSÉ À FAIRE DU CYCLISME »

Jusqu’à ce que tu ne puisses plus du tout rouler ?
Jusqu’à ce que je passe des examens et que le chirurgien me dise : “ce n’est pas bon,  il faut tout arrêter et passer par l’opération”. A ce moment-là, il n’y avait plus à discuter. J’ai simplement attendu de finir mon année scolaire. J’ai passé mon bac et je me suis fait opérer fin juillet.


Tu avais déjà été embêté au niveau du genou gauche par le passé…

Je traînais ce problème depuis mes 13 ans et c’est d’ailleurs ce qui m’avait poussé à faire du cyclisme, ironiquement. Avant, je jouais au football mais j’avais de gros soucis au niveau des ligaments croisés et j’ai dû renoncer. Du coup, le médecin m’avait dit : “c’est soit la natation, soit le cyclisme”. Mes soucis ne m’empêchaient pas de performer. Il arrivait quand même que la douleur soit présente, mais ce n’était en rien comparable avec ce que j’ai vécu cet hiver.

Quel a été le diagnostic exact des médecins au moment de prendre la décision d’opérer ?
Il n’y en a pas eu ! Ils n’ont pas d’explication précise. Ils pensent qu’il y a un rapport avec ma pathologie, à savoir que je n’ai pas de ligament croisé, en quelque sorte. Mais même en allant voir de grands spécialistes du genou à Monaco et à Fréjus, on n’a pas pu m’en dire plus. Ca reste un mystère. Finalement, j’ai été opéré d’une ligamentoplastie, laquelle va me permettre d’avoir le genou beaucoup plus résistant. D’ailleurs, paradoxalement, je vais maintenant me retrouver avec un ligament croisé encore plus solide que la moyenne alors qu’avant, il était pourri (sourires). La laxité de mon genou ne sera plus du tout la même et c’est un grand soulagement.

« TELLEMENT MAL QUE JE NE POUVAIS MÊME PAS M’ENDORMIR »

Penses-tu que le fait d’avoir insisté pendant des mois a pu aggraver la situation ?
Pas vraiment… Pas du tout, même. La seule chose qui a peut-être changé, c’est le petit déséquilibre qui a pu se créer au niveau de mon bassin par exemple, à force d’avoir des douleurs sur ce genou gauche, alors que je n’ai jamais eu le moindre problème avec le genou droit. Mais pour le reste, le mal était déjà fait.

Tu as donc été opéré durant l’été…
Tout d’abord, je tiens à remercier le Docteur Bernard Schlatterer qui m’a opéré avec succès à Monaco. Pour le reste, les premières journées post-opératoires ont été très difficiles à vivre. Je ne pouvais absolument pas bouger dans mon lit d'hôpital. J’avais des douleurs osseuses terribles ! Il faut savoir que les chirurgiens m’ont percé une sorte de tunnel dans le tibia et le fémur. Ca me faisait tellement mal que je ne pouvais même pas m’endormir. J’ai passé trois ou quatre nuits blanches. Je ne pouvais absolument pas bouger dans mon lit. Certaines journées m’ont semblé durer une éternité. Cette période très difficile a duré deux bonnes semaines, puis j’ai commencé à me sentir un peu mieux. Mais l’évolution s’est faite doucement. Je me souviens que pendant un moment, je ne voulais même pas me lever pour aller aux toilettes. Ca me faisait trop mal. Les infirmières me mettaient la pression pour que je fasse l’effort de me lever. Elles ne voulaient pas me donner le pot (rires).

Comment t’es-tu occupé pendant ces interminables journées, coincé dans ton lit ?
J’ai d’abord essayé de faire le vide et de contenir mes émotions. Très honnêtement, je ne me suis jamais plaint pendant cette longue et difficile période. Je n’en parle que maintenant, avec vous, mais jusqu’à présent je n’ai jamais dit à quel point ça avait été dur… Même avec mes parents, j’ai essayé de ne pas trop montrer mes émotions. Pour le reste, j’ai passé du temps devant la télé. Lorsque je suis arrivé, on était en plein Tour de France. Ca occupait mes après-midi. Sinon, j’en ai aussi profité pour me plonger dans les livres. J’aime bien lire. Je préfère largement ça au téléphone et aux réseaux sociaux, qui nous abrutissent.

« J’ASPIRE À DEVENIR BUSINESSMAN »

Et que lis-tu ?
Pas mal de choses, notamment sur le vélo. Mon livre préféré, c’est celui consacré à René Vietto (lauréat de huit étapes et d’un Grand Prix de la Montagne sur le Tour de France, NDLR). Le livre s’appelle “le Roi René”, écrit par Louis Nucéra, un journaliste niçois, donc un voisin (sourires). Vietto, c’est un coureur qui est né à côté de chez moi, au Cannet. Il a passé sa carrière à s’entraîner sur les mêmes routes que moi. Quand je lis ce livre, j’ai des frissons. Je crois que je l’ai lu dix fois ! Dans le livre, on découvre tous les endroits empruntés par René Vietto à l’entraînement, les cafés dans lesquels il s’arrêtait, les passages en bord de mer, les mimosas à perte de vue… J’ai roulé sur les mêmes routes à de nombreuses reprises et ça n’a pas bougé. 80 ans plus tard, j’arrive à trouver plein de similitudes, même si c’est un peu plus bétonné par endroits, évidemment. J’ai hâte de retrouver ces routes qui me manquent. Sinon, je lis plein d’autres choses. En ce moment, je lis “Le coureur et son ombre”, d’Olivier Haralambon.

Outre la lecture, tu as également  pu te réfugier dans tes études…
Je passe aussi du temps en famille, avec mes amis. Je fais des petites sorties, je profite de chaque moment, sans aucune amertume. Mais c’est vrai que j’en ai profité pour consacrer pas mal de temps à mes études. Dans un premier temps, je me suis concentré sur le Bac. Enfin, sur mon double Bac puisque je l’ai passé en Français et en Italien au lycée international de Valbonne. Autrement dit, j’ai passé toutes les épreuves en Italien, comme l’histoire-géographie ou la philosophie. Un peu comme ce qui se fait à la Fac (dans les filières de langues telles que LEA ou LLCE, NDLR). Aujourd’hui, je suis fier de pouvoir dire que j’ai un double diplôme, moi qui ai, en plus, des racines italiennes du côté de ma grand-mère maternelle.


Et que fais-tu depuis la rentrée de septembre ?
Je suis à la SKEMA Business School de Sophia Antipolis, dans un cadre magnifique. Il n’y a que six campus comme celui-ci dans le Monde dont trois en France, un aux Etats-Unis, un en Chine… Je suis très branché “international”, depuis le lycée. J’adore ça ! Cette école, c’est un pari sur l’avenir car ça coûte très cher. Mais j’ai réussi à me débrouiller et à obtenir des aides financières, après avoir monté un dossier bien solide. A moyen ou long terme, j’aspire à devenir businessman. Le management m’emballe ! L'environnement aussi. Je suis très intéressé par le thème du développement durable. Ce n’est pas une passion non plus, mais c’est quelque chose qui m’anime. J’ai plein d’idées pour la suite, mais chaque chose en son temps.

« J'ÉTAIS COMME UN CLOU »

Revenons à l’aspect physique de ta rééducation : où en es-tu désormais ?
Je suis toujours en pleine rééducation du côté de Saint-Raphaël (Var). Je suis des séances poussées cinq jours par semaine, du lundi au vendredi. J’ai encore les béquilles mais j’ai recommencé à marcher  et d’ailleurs, je ne boîte presque plus. Je peux même passer des heures de conduite ! La partie la plus difficile, c’est de réussir à récupérer totalement la flexion de mon genou. Pour le reste, j’ai profité de cette longue période pour travailler un peu le haut du corps. Ce n’est vraiment pas plus mal puisque c’était mon gros point faible ces dernières années. Et puis franchement, il fallait vraiment que je fasse quelque chose car déjà que j’étais plutôt menu par le passé, alors après cette opération… J’étais comme un clou ! Par exemple, j’ai perdu cinq ou six centimètres de tour de cuisse, même à droite.  Pour ce qui est du poids, je n’ai même pas osé me peser lorsque je me savais au plus bas.

Tu dois croiser du beau monde au centre de rééducation de Saint-Raphaël…
Je me retrouve à fréquenter d’autres sportifs qui sont dans la même galère que moi. Il y a des gars que je voyais auparavant à la télé, comme le footballeur Yoann Gourcuff, les rugbymen Cyril Baille et Arthur Bonneval, du Stade toulousain, ou encore le motard cannois Alan Techer (victime d’un violent accident sur le circuit de Suzuka en mars dernier, NDLR). C’est marrant de se retrouver avec d’autres sportifs. Les rugbymen m’ont vraiment impressionné : ce sont des brutes ! C’est l’opposé total de moi, physiquement (rires). On s’est souvent retrouvé à faire les mêmes exercices, pour la même blessure, mais alors au niveau des poids soulevés, ce n’est pas du tout la même chose…

Humainement, tu as également appris de tous ces sportifs ?
Les rugbymen que j’ai croisés, même si je parle de “brutes” sont des mecs adorables avec lesquels je suis toujours en contact. Cela peut sembler tout bête mais on s’est échangé nos numéros de téléphone et j’ai été marqué par leur gentillesse. Dans mon malheur, j’ai eu beaucoup de chance de me retrouver dans un tel centre de rééducation. Et tout le monde ou presque en a bien conscience… Mais je me souviens avoir vu arriver deux footballeurs qui étaient sur une autre planète. L’un venait de la réserve du PSG, l’autre du Red Star. Ils ont pris tout le monde de haut et faisaient n’importe quoi. Deux idiots qui ont d’ailleurs réussi l’exploit de se faire exclure du centre. J’ai trouvé ça à la fois drôle et pathétique mais finalement, je me suis dit que contrairement à eux, j’avais compris la chance que j’avais d’être ici, entre de bonnes mains, dans un centre où tu as, en plus, la chance de tomber sur des sportifs qui vivent la même galère que toi. On s’entraide et ça fait du bien.

« UN GRAND VIDE »

Quand devrais-tu pouvoir remonter sur ton vélo ?
C’est prévu pour le mois de janvier, si tout va bien. Il va falloir être encore un peu patient mais ça ne m’embête pas. J’ai fait le plus dur et il faut que je continue de me battre, même s’il va falloir y aller étape par étape. J’aimerais pouvoir reprendre la compétition au mois de mai. Ce serait vraiment une très bonne nouvelle.

Cet épisode douloureux te rendra plus fort mentalement ?
C’est certain, ce que j’endure actuellement ne fait que révéler ma motivation ! Cela fait maintenant plus d’un an que je n’ai pas pris le départ d’une course. C’est un grand vide, un véritable manque. Mais je compte bien rattraper le temps perdu. Il y a encore de très belles pages à écrire.


Crédit photos : Kim Caritoux, William Cannarella et DirectVelo 

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