Denis Clément : « Une incertitude totale »

Crédit photo Freddy Guérin - DirectVelo

Crédit photo Freddy Guérin - DirectVelo

Difficile de savoir pour un organisateur si son épreuve aura lieu ces prochains mois. À la tête de l’Étoile d’Or, manche française de la Coupe des Nations Espoirs prévue début mai, Denis Clément envisage aujourd’hui un report. Celui qui est également le président du Rassemblement des Organisateurs des Courses Cyclistes (ROCC), pour sa partie amateur, explique à DirectVelo les difficultés affrontées actuellement et celles à venir. 

DirectVelo : Comment vis-tu la situation en tant qu’organisateur ?
Denis Clément : C'est une situation inédite. Seuls les anciens coureurs, qui ont plus de 70 ans aujourd'hui, ont connu des périodes avec des courses “bloquées”, pendant la guerre d’Algérie et la Seconde Guerre mondiale. Depuis, jamais autant d’événements ont été bloqués en France. Le sport est notre passion mais il est aujourd'hui secondaire. Ensuite, il faudra se rappeler que le sport, peu importe le niveau, a besoin d'une économie. C'est ce qui m'inquiète.

Comment imagines-tu la suite ?
L'économie va tourner au ralenti. Il y a un gros point d'interrogation sur le soutien public mais aussi privé qu’il y aura pour les clubs ou les organisateurs. Les cartes vont être rebattues à tous les niveaux. Le sport est un moyen de s'exprimer mais comme je le disais, il faut une économie pour le soutenir. Et si les gens n'ont pas de boulot, le sport et la culture ne seront pas la priorité des entreprises et des collectivités.

« ON AURA PEUT-ÊTRE 150 COUREURS AU BOISCHAUT »

Tout le monde est touché dans le monde du vélo…
Ça ira pour les clubs qui n'ont pas beaucoup d'engagements financiers mais dès que tu as un salarié... Et que vont faire les clubs de leurs coureurs ? Comment vont-ils s'entraîner ? Tout est décalé. On va peut-être revoir des manches du Challenge Boischaut, en fin de saison, avec 150 coureurs engagés. Il faut l'espérer ! Du côté des organisateurs, les épreuves prévues en mars-avril auront du mal à se décaler. 

Pourquoi ?
Si tout était prêt ou presque, ça veut dire que tu as engagé de l'argent. Tu ne peux pas rattraper le coup. Et puis on ne pourra pas mettre quatre courses par étapes dans le même week-end d’ici la fin de saison. Il y a aussi des courses qui sont attachées à des traditions, aussi bien de dates que de fêtes. De plus, les équipes ont un calendrier à suivre. Si tu changes ta date, tu n'es pas sûr que les équipes puissent venir sur ta course. Il y a une incertitude totale.

Peut-on imaginer la saison se prolonger jusqu'à novembre ?
J'y suis favorable depuis des lustres. Il fait bon pour rouler en septembre ou octobre. Quand je vois des clubs qui ont la moitié de leur effectif qui est « out » en juin alors que les coureurs ont roulé tout l'hiver à bloc... On ne se souvient pas du gars qui a gagné une Élite en mars. Le coureur qui marche en début de saison, il ne marche pas toujours en août quand il est stagiaire chez les pros. On aura peut-être des coureurs motivés en fin de saison, après sans doute deux mois sans courir… 

Sens-tu une entraide actuellement entre les organisateurs ?
Tout le monde est dans l’incertitude. Certains organisateurs m'ont contacté pour dire qu'ils annulaient. C'est sauve-qui-peut. Comment peut-on organiser une course aujourd'hui ? Et ce même chez les professionnels. Tout est bloqué. Tous les organisateurs ont un seul intérêt aujourd'hui, sauver leur santé et leur famille. Au-delà du vélo, le point positif, c'est que ça va peut-être resserrer les liens entre les hommes. Les gens verront peut-être la vie autrement. Cette situation va changer beaucoup de choses. J'espère juste que ça ne sera pas la catastrophe pour tout le monde. Du côté des organisateurs, je pense qu'on sera tous très heureux de se retrouver quand ça repartira... Chacun aura une motivation énorme. Il faut penser à ça et s'accrocher.

« CE N’EST PAS DIT QU’ILS RÉCUPÈRENT L’ARGENT »

Penses-tu qu’il y aura tout de même beaucoup de reports ?
Les calendriers sont déjà remplis. Il n'y aura pas de la place pour tout le monde. Certaines courses ne peuvent pas être organisées l'été car il ne faut pas bloquer les routes. Les communes ne seront peut-être pas d'accord car il y aura une autre manifestation en parallèle… Parfois, un département veut que la course soit organisée à tel moment pour différentes raisons. Les organisateurs sont en très grande majorité des bénévoles, surtout chez les amateurs. Ils ont une vie de famille, une vie professionnelle... Tout le monde ne pourra pas faire une course cet été. Et puis tu n'organises jamais seul. Ça dépend aussi de la volonté de toute une équipe… 

Est-ce simple de se relever d’une annulation ?
Si tu n'engages pas trop de moyens financiers avant ta course, ce n'est pas forcément problématique. Le plus compliqué, c'est pour les organisateurs qui devaient avoir leur course ces prochains jours. Certains ont dû donner des arrhes à des prestataires ou à des hôtels. Ce n'est pas dit qu'ils récupèrent l'argent. Et de l'autre côté, comme la course est annulée, une collectivité ou un partenaire privé peut réclamer l'argent déjà donné. C'est la double-peine. Ça peut mettre en péril des organisations. La décision prise est donc importante. Je sais combien ça nous coûterait de nous lancer dans l'aventure pour annuler ensuite. 

L’Étoile d’Or aura-t-elle lieu début mai ?
Nous réfléchissons à un report. Aujourd’hui, nous essayons de garder un esprit positif. Nous avons travaillé depuis des semaines et des semaines sur notre épreuve, alors on réfléchit plus à un report qu'à une annulation.

« PAS SÛR QU’ON SOIT PRIORITAIRE »

C'est donc pour cette raison que beaucoup d'organisateurs veulent reporter alors qu'il serait sans doute plus simple d'annuler pour 2020 ?
Un organisateur s'investit pendant longtemps sur sa course. Prenons notre exemple : il y a dans un premier temps la demande du label, puis on fait les démarches pour trouver les villes-étapes et les partenaires. On a fait les deux présentations de la course. Tu fais également tous les dossiers administratifs pour être dans les clous. On a aussi calé les hébergements, on est en contact avec les équipes... Les deux tiers de notre organisation sont lancés. Il reste le bouquet final comme l’acception des services préfectoraux. 

Le plus dur a donc été fait...
C'est comme si on était à 20 mètres de la ligne sur un 100 mètres. Tu n'a pas envie de faire demi-tour car tu es plus près de l'arrivée que du départ. Autant donc essayer de reporter la course, mais en espérant bien sûr que la situation sanitaire s'améliore. Une fois la décision prise, il faut au moins un mois de travail pour finaliser une course. Il faudra mettre les bouchées doubles. 

À condition d’être suivi par les partenaires...
Oui, tout cela en espérant bien sûr que les partenaires privés et publics veuillent bien te recevoir quand la machine va repartir. Ce n'est pas sûr qu'on soit prioritaire... On a de l'espoir par rapport au travail réalisé mais on y va à l'aveugle. Les communes peuvent clairement dire que ça ne sera pas leur priorité de recevoir une association qui organise des courses cyclistes. Ce n’est pas gagné. A contrario, il faut aussi se dire que tout le monde aura été en manque de spectacles pendant un bon moment. Disons que tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir.

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