Il y a du monde dans le peloton

Crédit photo DirectVelo

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Pendant le confinement, avec l’arrêt des compétitions, la fragilité des équipes pros a, encore une fois, été mis en évidence. Des voix ont demandé une réforme. Une de plus. Car depuis sa création le cyclisme est professionnel et depuis cette création, les réformes se sont succédées. DirectVelo vous propose de réviser l’histoire des structures du cyclisme pro. Troisième rendez-vous : Il y a du monde dans le peloton.

LE TOUR TUE LES ENTRAÎNEURS

Dès le début du cyclisme, les coureurs n'ont pas eu besoin de SRM pour découvrir que le vélo était moins difficile dans les roues des autres cyclistes. Pour aller plus loin et plus vite, les courses se déroulent donc derrière entraîneurs. L'entraîneur est celui qui entraîne dans son sillage un coureur. L'entraîneur peut être motorisé (sur une moto dans le demi-fond), une voiture (ça coûte cher mais ça va vite et on peut se faire tirer même si c'est interdit) ou d'autres cyclistes (lire ici).

Dans le cas du cyclisme professionnel ces entraîneurs sont payés, soit par le coureur lui-même soit par la marque de cycles qui engage le coureur et les entraîneurs.

La particularité du premier Tour de France en 1903, c'est justement d'interdire les entraîneurs. Cette nouveauté fait peur à certains coureurs et à leur marque de cycles. Le succès du Tour va permettre d'imposer cette façon de courir.

Dans une course derrière entraîneurs, une marque de cycles peut embaucher autant d'entraîneurs qu'elle veut ou qu'elle peut se le permettre. Ce sont souvent des pros de 3e ou 2e catégorie. Ces entraîneurs se relaient devant le coureur. Ils peuvent monter dans la voiture du constructeur et « entraîner » de nouveau le coureur plusieurs kilomètres plus loin. Le coureur entraîné se trouve au milieu d'un essaim d'abeilles qui travaillent pour lui. Un peloton se forme ainsi mais les entraîneurs ne sont pas classés évidemment.

DES ESSAIMS D’ENTRAÎNEURS AUX GRAPPES DE COUREURS

Paris-Roubaix s'est disputé derrière entraîneurs jusqu'en 1909 et le Championnat de France sur route jusqu'en 1921.

La suppression des entraîneurs, c'est tout bénef' pour les équipes. Au lieu de payer des coureurs pour qu'ils ne gagnent pas, ils vont pouvoir engager plus de coureurs au départ des courses, en multipliant leurs chances de faire des résultats tout en continuant d’abriter leur chef de file. D'ailleurs, en 1909,131 coureurs sont engagés pour le dernier Paris-Roubaix avec entraîneurs contre 166 en 1910.

Il n'y a plus d'entraîneurs aujourd'hui, certes, mais ils sont remplacés par ces grappes de coureurs qui bouffent du vent pour abriter pendant 200 km un leader ou un sprinter qui va déboucher dans les 200 derniers mètres. Aujourd'hui, l'entraîneur a un dossard.

Au début du XXe siècle, les équipes ont le visage qu'elles auront encore en 1955. Ces équipes sont financées par un constructeur de cycles. Il y a un directeur sportif et des coureurs. Certains sont mensualisés, d'autres payés à la journée, ils courent « à la musette », à la manière de beaucoup d'équipes Continentales dans le monde, aujourd'hui.

Mais un coureur peut avoir une licence professionnelle sans être dans une équipe. C’est le cas des pistards. Le public paie pour les voir dans les vélodromes. Avec les ville-à-ville, le cyclisme sur route se coupe de cette manne financière sauf quand les spectateurs paient pour rentrer dans un vélodrome pour assister à l’arrivée.

SUS AUX PROS SOUS L'OCCUPATION

Après la défaite de 40, le Commissaire aux sports du nouvel Etat français, le tennisman Jean Borotra veut réformer tous les sports et en finir avec le professionnalisme. Il s'aligne sur les positions anglaises, un comble. Il renonce très vite à appliquer son plan dans le football. Mais pour le vélo, le ''Mousquetaire'' croise le fer.

En 1941, il supprime les indépendants et les aspirants. Les aspirants sont entre les pros et les “indé”. Dans son plan, Borotra réduit les professionnels à trois catégories : les hors-catégorie, les 1ère catégories et les stagiaires qui ont le droit de courir avec les pros et les amateurs mais séparément. En 1942, le Commissariat aux sports limite même à 50 le nombre de professionnels français.

La France n'est pas la seule à réglementer les catégories. En Italie, la fédération limite à 12 le nombre de pros, les autres sont reclassés indépendants. Chez les Belges aussi le nombre de professionnels est limité. Ils sont baptisés « Pro A ». Les anciens pros sont recasés chez les indépendants, rebaptisés « Pro B ». (1) Dans l'Allemagne nazie, le professionnalisme n'est pas remis en cause mais la fédération choisit qui est digne de franchir le Rubicon. (2)

LES PROS SAUVENT LEUR TÊTE

Mais en septembre 1941, René Chesal, le secrétaire général de la FFC (le nouveau nom de l'UVF) défend ‘’le cyclisme professionnel comme l'étape ultime et la plus constante de la propagande sportive généralisée”. Chesal -encore un secrétaire général- sait ce qu'il fait. Il rappelle aussi, au cas où, que le professionnalisme est lié à l'industrie du cycle, sous entendu ce n'est pas le moment de le sacrifier. Une des grandes marques de l'époque, Dilecta, est dirigée par Albert Chichery ancien député et proche de Pierre Laval.

Jean Borotra est remplacé par le Colonel Pascot courant 1942 et la suppression du professionnalisme est oubliée.

En 1944, les indépendants et les aspirants renaissent. A partir de 1949, les « indé » ne peuvent courir que les courses interrégionales avec les pro 2e catégorie, ou alors avec les amateurs. Les aspirants sont en fait des professionnels de 3e catégorie comme ils sont rebaptisés en 1956. Les aspirants peuvent courir avec les indépendants et les pros et ils peuvent aussi disputer le Tour de France, contrairement aux indépendants.

« DES PROS QUI NE PAIENT PAS D’ASSURANCES SOCIALES »

Le peloton d'une course professionnelle n'est donc pas exclusivement composé de coureurs pros à cette époque, sauf sur les grandes classiques internationales. D'ailleurs les marques de cycles entretiennent un aréopage d'”indé” à travers les primes kilométriques qu'elles leur versent. Les marques de cycles soutiennent le cyclisme en son entier, de bas en haut de la pyramide. Ce sera moins le cas avec les marques extérieures au vélo.

La réforme de 1966 va supprimer la catégorie des indépendants en France, “des pros qui ne paient pas d'assurances sociales” dénoncent les professionnels. Ils sont reclassés amateurs. Toutefois, les ex-pros et les indé qui veulent courir avec les pros, sont classés Amateur Hors-Catégorie. Ils pourront être intégrés aux groupes sportifs au coup par coup jusqu'au début de leur suppression en 1970.

(1) « L'année cycliste 1941 » de Pierre Weecxsteen et Frédéric Girard
     
(2) « Le vélo à l'heure allemande » de Jean Bobet , Editions La Table Ronde. 2007

Notre dossier - Les 1001 réformes du cyclisme pro :
-Les pros et les amateurs : des diables et des petits saints
-La bataille de la licence pro
-Il y a du monde dans le peloton
-Des primes de départ aux courses protégées
-L'UCI laisse passer la révolution des extra-sportifs
-Les organisateurs prennent la main
-Le long chemin vers la licence unique
-Hein Verbruggen, le révolutionnaire
-Du Top Club au ProTour
-Un retour et le WorldTour
-Le retour du classement UCI

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