La bataille de la licence pro

Crédit photo DirectVelo

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Pendant le confinement, avec l’arrêt des compétitions, la fragilité des équipes pros a, encore une fois, été mise en évidence. Des voix ont demandé une réforme. Une de plus. Car depuis sa création, le cyclisme est professionnel et les réformes se sont succédées. DirectVelo vous propose de réviser l’histoire des structures du cyclisme pro. Deuxième rendez-vous : De la licence pro à l’UCI.

LA LICENCE PROFESSIONNELLE

À force de se soumettre aux objectifs anglais de valoriser les amateurs, les unions nationales délaissent les professionnels. Elles n'ont plus de contrôles sur eux ni sur les vélodromes qui sont leurs premiers employeurs. Les fédérations ont laissé la main aux organisateurs, elles vont avoir beaucoup de mal à la récupérer.

La première grande réforme du cyclisme pro va être la création de la licence professionnelle.

L'avantage d'une licence explicitement professionnelle empêchera un coureur suspendu dans son pays de courir ailleurs. Elle interdira aussi à un coureur pro de se faire passer pour un amateur. Au Congrès de Copenhague de 1896, l'UVF fait adopter par les autres fédérations son projet de licence professionnelle obligatoire pour participer au Championnat du Monde 1897. La fédération française s'auto-félicite de cette création : « Si nous avions eu cette licence plus tôt, la France, qui est le pays où le sport peut être le plus prospère, ne serait pas tombée dans l'état d'anarchie sportive d'où n'ont pu la tirer les créations d'institutions impuissantes ».

PROS = UVF + UCF

Mais cette licence a aussi un autre avantage pour l'UVF. Elle a déjà abandonné le cyclisme amateur à l'USFSA. Sur le plan des professionnels, voilà qu'une jeune fédération dissidente veut la supplanter. L'Union Cycliste de France, l'UCF. Parmi ses hommes forts, Pierre Giffard, l'organisateur du premier Paris-Brest-Paris, directeur du journal Le Vélo (qui a repris l'organisation de Bordeaux-Paris) et Paul Rousseau. Ce dernier rédigera les statuts de l'Union Cycliste... Internationale en 1900.

Donc, l'UCF veut diriger le cyclisme pro en France. En 1896, elle organise même le Championnat de France professionnel (sur piste) à la barbe de l'UVF. Vent dans le dos, l'UCF demande à l'ICA de représenter la France à la place de l'UVF pour le cyclisme professionnel. L'UVF doit son salut à la fédération amateur, l'USFSA qui la soutient et fait voter l'ICA en faveur de l'UVF. En réaction, l'UCF veut créer une nouvelle fédération internationale dissidente, la Ligue Cycliste Internationale. Elle compte sur le Verband allemand, la Ligue Vélocipédique Belge et l'Union Autrichienne. Mais la LCI avorte. Fin de la partie de scrabble.

En 1897, l'UCF et les vélodromes qui lui sont affiliés créent une Union des Vélodromes qui veut imposer ses règles aux coureurs pros. Les vélodromes belges rejoignent le mouvement alors que la Ligue Vélocipédique Belge est membre de l'ICA qui ne reconnaît que l'UVF.

HENRI DESGRANGE, L’HOMME DE L’OMNIUM

Au Congrès de l'ICA de Rotterdam en avril 1897, l'UVF se défend. Elle promet au syndicat des coureurs (il en existe déjà dans plusieurs pays) une place dans sa commission sportive. L'UVF gagne le bras de fer contre l'UCF qui disparaît en 1898.

Dans sa lutte contre l'UCF, l'UVF reçoit un soutien de poids. Fin 1895, l'Omnium fusionne avec l'UVF pour diriger le sport cycliste en France. L'Omnium ? Qu'est-ce que c'est ? Une société d'encouragement de la vélocipédie composée de membres riches et influents, titulaires de titre de noblesse. Ils n'apprécient pas trop Pierre Giffard (UCF) qui rue dans les brancards. Le Secrétaire Général (encore) de l'Omnium est un ancien recordman de l'heure. Il s'appelle Henri Desgrange (1).

Dans la corbeille de mariage, l'Omnium apporte ses vélodromes affiliés et son règlement de course.

L’UVF LANCE LES INDÉS

Dès la première année de la licence professionnelle, l'UVF classe les coureurs en quatre catégories : Hors-série, 1ère, 2ème et 3ème série, des meilleurs aux moins bons. Ces catégories permettent de réserver les plus grandes courses (route et piste) aux meilleurs coureurs (Hors-série et 1ère).

En 1910, l'UVF invente une catégorie (dont le nom existe déjà dans d’autres sports) pour en finir avec le problème des prix en course pour les coureurs non professionnels. Elle crée les Indépendants qui ont le droit de courir, séparément, avec les pros et les amateurs, tout en ayant le droit de toucher des prix en argent. Les Indépendants vont exister jusqu'en 1965 et ils seront fusionnés avec les amateurs à partir de 1966.

Donc, à l'entrée du XXe siècle, les fédérations ont un pouvoir disciplinaire sur le cyclisme professionnel pour faire respecter leur règlement. Elles valident aussi (ou pas) les classements et classent les coureurs. Mais elles n'organisent pas les courses.

(1) Lire le très bon livre de Jacques Seray et Jacques Lablaine “Henri Desgrange, l’homme qui créa le Tour de France’’, Editions Cristel

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-La bataille de la licence pro
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-Des primes de départ aux courses protégées
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-Les organisateurs prennent la main
-Le long chemin vers la licence unique
-Hein Verbruggen, le révolutionnaire
-Du Top Club au ProTour
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