Audrey Cordon-Ragot, la consécration avant la transmission

Crédit photo Freddy GUÉRIN / DirectVelo

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Cette fois, c’est fait ! Figure emblématique du cyclisme féminin tricolore depuis plus d’une décennie, Audrey Cordon-Ragot n’était jamais parvenue à décrocher un titre de Championne de France sur route Élites jusqu’à présent. Toujours isolée dans les moments clefs de ces Championnats depuis son départ pour l'étranger en 2014, la Morbihannaise a, cette fois-ci, parfaitement joué le coup sur le circuit de Grand-Champ, à domicile ou presque. La sociétaire de la formation Trek-Segafredo, clairement la plus forte ce samedi, est parvenue à décrocher une à une les concurrentes de la FDJ-Nouvelle Aquitaine-Futuroscope et du Team Arkéa pour l’emporter (voir classement). Après quatre titres contre-la-montre, la voilà enfin sacrée sur la route, à 30 ans. “Porter le maillot bleu-blanc-rouge, c’était mon rêve. Je suis passée tellement de fois à côté… Là, le réaliser, c’est immense. C’est le plus beau moment de ma carrière cycliste”, lâchait la lauréate juste après l’arrivée. “Hier (vendredi), la déception était immense (lire ici). Mais j’ai su rebondir. C’est une grosse fierté, je n’en reviens pas”. Audrey Cordon-Ragot est d’autant plus satisfaite et soulagée qu’elle était passée à côté d’un cinquième titre contre-la-montre la veille pour… cinq secondes. “L’échec d’hier m’a permis d’avoir des forces décuplées aujourd’hui. En arrivant à l’hôtel après le chrono, je me suis dit que c’était peut-être écrit… Qu’il fallait que je fasse 2 pour gagner le lendemain. Et puis, j’ai eu une longue discussion avec Pierre Rolland ce matin. Il m’a dit, aujourd’hui (vendredi), tu peux avoir la tête froide et le coeur chaud. J’y ai pensé toute la course. Je me suis dit que je ne devais pas m’énerver et apprendre des erreurs faites les années précédentes, en me donnant à fond”.

« JE NE ME SUIS PAS ÉNERVÉE, J’AI GARDÉ LA TÊTE FROIDE »

Si la Bretonne évoque les erreurs du passé, c’est parce que jusqu’à présent, elle n’était jamais parvenue à se défaire de ses adversaires et de situations toutes plus frustrantes les unes que les autres. En 2017 et l’an passé, notamment, lorsque le collectif de la FDJ-Nouvelle Aquitaine-Futuroscope était parvenu à profiter de sa supériorité numérique pour l’emporter avec Charlotte Bravard puis Jade Wiel. En 2016 puis en 2018, ce sont des individualités qui ont triomphé, en costaud : Edwige Pitel et Aude Biannic. Audrey Cordon-Ragot, pour sa part, avait toujours raté le coche. Par manque de chance… Ou par manque de lucidité. Alors cette fois-ci, elle a imaginé tous les scénarios possibles avant le coup de feu du top départ. “Un Championnat de France, ce n’est jamais simple à gérer. Je connaissais le circuit sur le bout des doigts. Je l’ai repéré maintes fois. Je savais où ça faisait mal, et ce n’était pas forcément dans les bosses. C’est la répétition du mal-plat breton qui fait mal, c’est ce que j’aime. J’avais plusieurs scénarios dans la tête. Je m’étais même dit que j’allais faire le départ, pour m’isoler rapidement”. Mais sur ce circuit usant et avec la présence non négligeable du vent, Audrey Cordon-Ragot réalise finalement qu’il “ne fallait pas faire l’effort trop tôt”. Une fois le duo Clara Copponi - Typhaine Laurance à l’avant, elle décide tout de même de se “tester une première fois à mi-course”. Juste pour voir. “Mais ça a suivi alors je me suis dit qu’il fallait attendre encore. Mais pas trop non plus car l’écart grandissait. Il fallait courir juste et partir au bon moment”

Une tactique qui, pendant un temps, ne marche pas. On l'imagine même s’enterrer une nouvelle fois dans le peloton lorsqu’elle commence à montrer un premier signe d’agacement après avoir passé un relais appuyé en tête de paquet. Ce sera son premier et dernier geste d’humeur de la journée. “Au début, ça ne marchait pas. Mais je ne me suis pas énervée, j’ai gardé la tête froide”. Elle parvient finalement à faire le saut, flanquée d’une poignée d’adversaires. Une fois de retour sur la tête de course, elle attend sagement son heure avant de porter l’estocade en décrochant sa dernière opposante, la coriace sprinteuse provençale Clara Copponi. “Quand je me suis retournée une première fois, j’ai vu qu’elle n’était pas loin. J’ai insisté puis en me retournant une deuxième fois, j’ai vu qu’elle n’était plus là”. La concurrente de tête comprend alors que le titre ne peut plus lui échapper. 

« J'ESPÈRE QUE JE LE PORTERAI DIGNEMENT »

Dans les trois derniers kilomètres, Audrey Cordon-Ragot n’avait plus qu’à savourer cette journée historique. “J’ai eu des frissons toute la journée. J’entendais les « Allez Audrey ! ». Il n’y avait pas un mètre de route où je ne l’entendais pas. Dans la dernière montée de Grand-Champ, j’ai vu la famille, les copains, les fumigènes, les gens qui criaient mon nom… On se serait cru au stade rennais. Quand je vois des journalistes pleurer, des élus pleurer… Je n’ai pas de mots, en fait. C’est très fort. Pour un Breton ou une Bretonne, gagner sur ses terres, c’est ce qu’il y a de plus beau. J’ai l’image de Warren Barguil qui gagnait l’année dernière et qui avait la fierté de porter le maillot. Ce maillot, je pense que je le mérite, et j’espère que je le porterai dignement. Il ne faudra pas avoir de complexe”.

Ces dix prochains mois, elle va donc les passer avec le maillot tricolore et il se pourrait bien qu’il s’agisse des derniers moments de sa carrière cycliste, ou presque. “Clairement, ça ne va pas durer encore dix ans, c’est sûr”. À moyen terme, elle souhaite passer de l’autre côté de la barrière. “J’aspire à rester dans le vélo et à transmettre, c’est quelque chose qui me tient à coeur. Je veux défendre les valeurs du cyclisme féminin. Je ne veux pas être une égoïste qui ne pense qu’à elle et qui s’en va à la fin de sa carrière… Mon rêve est de voir toutes les Françaises pouvoir vivre de leur sport. Je veux qu’il y ait des Championnes du Monde françaises”. Après avoir enfin pu vivre son rêve, la Bretonne espère déjà voir les mêmes larmes de joie, à terme, chez ses plus jeunes concurrentes du jour. En somme une histoire de consécration, puis de transmission. 


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Portrait de Audrey CORDON RAGOT