Daniel Mangeas : « Ça va être un rêve éveillé »

Crédit photo Zoé Soullard - DirectVelo

Crédit photo Zoé Soullard - DirectVelo

Comment résumer la carrière de Daniel Mangeas en quelques lignes. Comment compresser en quelques mots ses rencontres, et surtout ses anecdotes sur ceux qui ont enrichi, de près comme de loin, plus ou moins dans le temps, le riche monde du cyclisme. Le temps comme l’univers du vélo, lui les a traversés. De ses débuts dans les années 1960, lancé par Albert Bouvet, jusqu’à aujourd’hui, tous ont entendu leur nom prononcé par sa voix rauque. Speaker historique du Tour de France, il n’a pas pourtant pas lâché le micro depuis 2014, et la fin de son aventure avec la Grande Boucle. Et malgré ses 73 ans et bientôt 60 ans de carrière, Daniel Mangeas va encore découvrir. Normand d’origine, sa commune de Saint-Martin-de-Landelles va accueillir le Championnat de France Elites en 2024, après une première répétition au Championnat de France de l’Avenir, au mois d’août prochain. Alors forcément, cette nouvelle a une saveur particulière pour cet enfant de la Manche, qui n’avait jamais accueilli le Championnat national professionnel. Daniel Mangeas s’est livré à DirectVelo sur cette annonce, lui qui sera bien sûr de la partie pour l’événement. L’aspect sentimental, son histoire personnelle entre les Championnats de France et la Normandie, la motivation de la région pour retrouver un tel événement après Rouen en 1963, mais aussi le côté sportif, qui s’annonce spectaculaire. Le tout ponctué d’anecdotes, bien sûr.

DirectVelo : Comment as-tu réagi à cette attribution du Championnat de France Elites à la Manche ?
Daniel Mangeas : Depuis pas mal d'années, ça tournait dans ma tête. Je me disais « mince, la région Basse-Normandie qui est la région vélo (Manche/Orne/Calvados), bien que maintenant ce soit la Normandie réunifiée, n'a jamais accueilli le Championnat de France professionnel ». Je trouvais que c'était une lacune quelque part. Et les derniers en Normandie reconstituée étaient à Rouen en 1963, ça fera un peu plus de 60 ans. J'avais envie d'être encore un acteur, donc il fallait que ça vienne le plus vite possible. J'ai trouvé des élus très à l'écoute, qui avaient envie de se lancer dans ce projet. La communauté d'agglo Mont-Saint-Michel Normandie, la Manche et la Normandie. On est la dernière commune avant d'arriver en Bretagne, on touche même Saint-Georges-de-Reintembault, qui était la commune d'Albert Bouvet. Ça va être une superbe fête, et comme c'est une première ça va être historique. Donc je ne demande pas à vieillir, mais j'ai déjà hâte d'y être !

Qu'est-ce que t'évoque un tel rendez-vous en Normandie ?
Ça m'évoque des souvenirs de jeunesse. Quand j'étais jeune speaker. Le président du comité des fêtes s'appelait Henri Pigeon et on disait souvent que ça serait bien de faire venir un Championnat de France à Saint-Martin-de-Landelles. Et de là-haut, il l'aura ce Championnat, en 2024. On sent une motivation de toutes les parties. La région, les bénévoles, les partenaires... tout le monde a envie que ce soit une grande et belle réussite. Pour moi c'est formidable. Dans ma carrière de speaker, j'ai accueilli le Tour de France en 2002, dans ma commune, un 14 juillet en plus, à l'époque de Jean-Marie Leblanc. Et puis là ce sont les Championnats de France, qui seront précédés des France de l'Avenir du 9 au 13 août. Ce sera une belle répétition, de plus on aura un circuit exigeant. C'est vallonné, en toboggan, très agréable pour les spectateurs qui peuvent voir les coureurs deux fois par tour. Ils sortent de la Pigeonnière, ils partent sur la droite et trois kilomètres plus loin ils reviennent sur une route à 50 mètres. En plein cœur du village, les spectateurs vont pouvoir accompagner en permanence le Championnat.

« TOUTES LES PLANÈTES ÉTAIENT ALIGNÉES POUR QUE CE SOIT MAINTENANT »

Quel rôle as-tu joué dans cette attribution ?
Mon rôle, c'était évidemment de motiver les élus, mais je n'ai pas eu beaucoup de travail. J'avais envie de le faire, je trouve que c'était le moment. Parce qu'on a une belle génération de coureurs normands. On a Benoit Cosnefroy, Guillaume Martin, Paul Lapeira qui arrive, Mikaël Chérel qui va bientôt partir... alors je lui lance un message pour qu'il continue au moins jusqu'à cette date, puisqu'il habite à trois kilomètres du circuit. Il y a aussi Adrien Lagrée de Saint-Hilaire, Damien Touzé, Anthony Delaplace, Alexis Gougeard, François Bidard... Enfin, tous les coureurs normands ! Ils seront motivés. Nos voisins bretons, qui sont à un kilomètre, ont une belle génération également, avec notamment Valentin Madouas qui est le vainqueur sortant de la Polynormande. Donc toutes les planètes étaient alignées pour que ce soit maintenant. Et je crois que tous les ingrédients sont réunis pour que nous vivions un super moment.

À titre personnel, tu as forcément quelques souvenirs qui remontent à la surface…
Sentimentalement, ce sera très émouvant pour moi. Ce sera mon 45e commentaire de Championnat de France, et l'amener là où j'ai commenté ma première course à l'âge de 15 ans... Pour l'anecdote, le jour où j'ai commenté ma première course, il y avait un rapport avec les Championnats de France. J'étais dans la Côte de la Pigeonnière, sur un plateau agricole, il n'y avait pas les podiums d'aujourd'hui. Et j'ai eu le plaisir d'annoncer que mon idole, Henri Anglade, devenait Champion de France à Pont-Réan (en 1965, NDLR). Donc ma première course aux commentaires, c'était le jour d'un Championnat de France.

« LE DÉPARTEMENT LE PLUS TOURNÉ VERS LE CYCLISME »

Il n'y a donc pas eu de Championnat de France en Normandie depuis 1963. Pourquoi selon toi ?
Je pense qu'il fallait peut-être que quelqu'un porte le projet ou ait envie de porter le projet. Ou simplement se dise « mais comment ça se fait qu'on ne l'ait pas eu ». Avranches a accueilli des étapes du Tour, arrivées comme départs. À Saint-Martin-de-Landelles, c'est là que Bernard Hinault a couru pour la première fois avec les pros, c’était l’Etoile des Espoirs. Il avait le maillot de l'équipe de France Amateurs, l'arrivée était en haut de la Pigeonnière, il avait fait 2e derrière le Champion du Monde de poursuite de l'époque, qui s'appelait Roy Schuiten. C'est là aussi, en passant à Saint-Martin-de-Landelles, que Jacques Anquetil, à 18 ans, avait gagné un chrono du Tour de la Manche. Il avait gagné devant Brankart, Stablinski et Bouvet. Donc on est très proches de la Bretagne. Je pense que la communauté d'agglo Mont-Saint-Michel Normandie représente avec la Manche, le département le plus tourné vers le cyclisme.

On peut imaginer que cette date est bien cochée, tu comptes déjà les jours ?
J'ai hâte d'y être bien sûr. Ça va être un rêve éveillé. Comme ça a été pour le Tour le 14 juillet. Même si au Tour les coureurs prenaient le départ et s'en allaient. Ça avait marqué la population, mais forcément un passage, c'est toujours trop court, tout le monde voudrait avoir le Tour plus longtemps ! Tandis que là, c'est quatre jours complets, une semaine de fête, avec des courses en permanence sur notre circuit. Donc même si on aime le Tour, ce n'est pas qu'un passage furtif, c'est quelque chose d'exceptionnel et d'intense.

« ON NE PEUT PAS ARRÊTER LES MÉTIERS PASSION DU JOUR AU LENDEMAIN »

Qui sont tes favoris ?
Ça va être du Julian Alaphilippe, Thibaut Pinot, Benoit Cosnefroy, Valentin Madouas, Warren Barguil, Romain Bardet... Mikaël Cherel a une carte à jouer, Guillaume Martin aussi. Je ne fais pas tout le tour, mais ça va être ce style de coureur, car ça va être un parcours très exigeant et quand on regarde le palmarès de la Polynormande, sachant qu'en plus on ajoute une côte au parcours... Celui des France devrait faire 16 kilomètres contre 12,6 kilomètres à la Polynormande, et on va chercher la Côte des Biards, que les coureurs normands connaissent bien, et qui avait permis à Miguel Indurain, en 1986, de porter sa première attaque dans sa longue histoire du Tour de France. Puis il avait fait 3e à Saint-Hilaire-du-Harcouët, qui est juste à côté, alors que Ludo Peeters avait gagné l'étape. Donc c'est un parcours toboggan qui ne peut convenir véritablement qu'à un costaud.

Tu expliques avoir commencé là-bas, en plus de ce lien avec le Championnat de France... Est-ce que l'idée de fermer le livre là où tu as écrit les premières pages te trotte dans la tête ?
Je ne vais rien annoncer, mais je pense qu'après ce Championnat de France 2024, je continuerai à animer, mais il est certain que je vais appuyer sur la pédale de frein. Parce que depuis que j'ai arrêté le Tour il y a huit ans, je n'ai pas l'impression d'avoir ralenti. Mais on ne peut pas arrêter les métiers passion du jour au lendemain, il faut les arrêter par étapes. Alors après le France 2024 et la saison, même si je continuerai à animer quelques courses, ce sera avec moins de pression et de présence qu'aujourd'hui quand même (sourire).

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