François Trarieux : « On va continuer de se battre »

Crédit photo DR

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Enfin. Après un début de saison tronqué et avant une suite incertaine, l'Équipe de France de cyclo-cross se retrouve ce week-end aux Pays-Bas pour disputer le Championnat d'Europe. Et ce, sans les Juniors privés de compétitions. Une situation frustrante pour le sélectionneur national François Trarieux qui se bat pour faire évoluer la discipline dans l'Hexagone. Il fait le point sur la situation pour DirectVelo.

DirectVelo : Dans quel état d’esprit l'Équipe de France aborde-t-elle le Championnat d’Europe ?
François Trarieux : C'est très particulier. Nous avons eu peu d'épreuves de préparation. Aucun coureur ne découvre l'Équipe de France ce week-end. En Espoirs, il y a un groupe jeune. L’idée est de permettre à ces coureurs-là de prendre de l’expérience même si la saison est relativement tronquée. Et d’avoir la possibilité de concourir au niveau international. On se rend compte qu’il faut courir au niveau international dès la sortie des Juniors pour maintenir un certain niveau. L’an passé, on avait quatre Juniors qui ont terminé dans le Top 10 Mondial (Rémi Lelandais - contraint de déclarer forfait -, Florian Richard Andrade, Ugo Ananie et Noé Castille, absent lui à Rosmalen, NDLR). C’était une génération très intéressante. L’idée est qu’ils mettent de suite le pied à l'étrier à Rosmalen, sachant qu’ils ont été performants en ce début de saison.

Et pour les Élites ?
Pour résumer, les sept coureurs convoqués sont régulièrement en Équipe de France. Hélène Clauzel revient après plusieurs saisons sans cyclo-cross, et on a vu qu’elle était performante, samedi dernier, au Koppenbergcross (14e, NDLR). Son retour est une très bonne nouvelle pour le cyclo-cross féminin français. C’est bénéfique d’avoir de la concurrence. Pour tous les coureurs, ça sera en tout cas une reprise quasi inédite sur ce Championnat d’Europe, et ce n’est pas du tout ce que je prévoyais il y a quelques mois. J’imaginais une reprise de la saison à la Coupe du Monde de Dublin, puis le calendrier a évolué… Vittel devait être le point d’orgue de la sélection pour le Championnat d’Europe. On devait enchaîner avec un stage sur le sable avec 20-25 coureurs. On a dû l’annuler. Pour faire la sélection (voir ici), je me suis basé sur le peu de compétitions internationales disputées. Et hélas, il n’y aura pas les Juniors (voir ici). C’est un crève-coeur.

« SE BATTRE POUR LES JUNIORS »

Qu’est-ce que tu leur as dit après cette annulation ?
La sélection obtenue était basée sur le potentiel observé précédemment. Je leur ai dit d'absorber cette déception et de se projeter sur la suite. Pourquoi pas avec la Coupe du Monde où la participation des Juniors n’est pas encore remise en question. Il faut continuer de se préparer pour la seconde partie de saison. On va essayer de trouver des solutions.

Lesquelles ?
Je ne les ai pas encore totalement. Il faut encore attendre pour savoir à quoi ressemblera le calendrier de compétitions. En tout cas, les Juniors, je ne les entends jamais se plaindre. C’est pourtant la catégorie la plus impactée cette année. On a donc envie de se battre pour ces coureurs même si bien sûr, c’est le gouvernement qui décidera.

Pour revenir à ta sélection, a-t-elle été comprise par tout le monde ?
Il n’y a pas de place pour tout le monde en Équipe de France. Cette absence de Coupe de France a entraîné des comportements surprenants. On a essayé de me vendre des coureurs alors que je n’ai pas besoin de ça pour faire une sélection.

On sent que ça t’a agacé...
Je suis sur le terrain depuis dix ans. Je vois les coureurs arriver en Cadets, je connais leur niveau… Un coureur qui le mérite aura à un moment donné sa chance en Équipe de France. Il y avait douze français engagés en Juniors et en Espoirs l’an dernier à la Coupe du Monde de Nommay (Doubs). On ne fait pas des sélections récompenses, on veut des coureurs performants. Certains s’attendaient à être pris en Équipe de France à Rosmalen car ils m’ont appelé. C’était un peu surprenant. Il y a peut-être de la pédagogie à faire car des nouvelles structures se montent et elles n’ont pas toujours les informations. Il faut aussi être lucide sur l’interprétation des résultats. C’est difficile d’intégrer un coureur s’il ne court pas à l’international. Pour être sur une course de haut-niveau, il faut faire du haut-niveau.

« ALLER AU CONTACT DES MEILLEURS »

Comment s’est passée la préparation des coureurs sans compétition en France ?
Ils sont sportifs de haut-niveau donc ils ont pu s’entraîner sur la route. Certains sont allés courir en Belgique, au Koppenbergcross. D’autres ont simulé, comme ils pouvaient, des compétitions à leur domicile. La préparation a été hétérogène en fonction du lieu où chacun se situe.

Au final, le fait d’être obligé de courir en Belgique peut être un avantage...
Force est de constater que si tu veux progresser, il faut aller au contact des meilleurs. On n’a rien sans rien. Il faut se donner les moyens de réussir. Je me souviens avoir vu le Britannique Ben Tulett sur des courses Cadets en Belgique. Le haut-niveau amène du haut-niveau. L’an passé, j’ai fait un bilan de la discipline des dix dernières années et ce qui en ressort, c’est qu’en moyenne, les Français courent moins à l’international que les meilleurs coureurs du Top 10 mondial. Un coureur qui ne va pas de manière régulière à l’international ne peut pas être dans les meilleurs mondiaux. On peut prendre l’exemple d’Eli Iserbyt. Il fait en moyenne 35 cyclo-cross par an et 20 jours de course sur la route. Soit une soixantaine de jours de course. Steve Chainel, notre meilleur français au dernier Mondial, a peu couru sur route l’an dernier. C’est le même cas avec Marlène Petit, 10e du Mondial, qui fait une vingtaine de cyclo-cross internationaux… Là où Lucinda Brand ou Ceylin del Carmen Alvarado ont environ une cinquantaine d’épreuves internationales à leur calendrier sur l’année.

Il faut donc essayer de tirer du positif dans la situation actuelle...
Par rapport à la situation actuelle, il faut se dire qu’à chaque problème, il y a des solutions. Ça permet de se réinventer. Et d’une manière générale, il faut avoir une démarche de haut-niveau, regarder et s’inspirer de ce que font les athlètes de haut-niveau. Sans des structures comme celles qui sont en train de se développer, on a bien vu les difficultés ces dernières années pour nos meilleurs Élites pour continuer d’exister. L'apparition des structures permet à un coureur d’être mieux encadré, mais bien sûr il y a encore du boulot pour accompagner ces équipes et qu’elles se professionnalisent. Chacun place le curseur là où il veut car tout le monde ne peut pas être dans les meilleurs. Une autre solution est de densifier notre calendrier de compétitions en France pour le rendre plus attractif et plus qualitatif.

En doublant les manches de la Coupe de France par exemple...
Oui, c’est pour cette raison qu’on avait doublé le programme des manches de Coupe de France. C’est aussi pour permettre aux étrangers de venir élever le niveau. Il y avait treize nationalités prévues à Vittel ! Dijon postule au calendrier international, Troyes monte en gamme… On a aussi Antoine Benoist, Théo Thomas et Marion Norbert-Riberolle qui courent dans des équipes belges. C’est la preuve qu’on peut jouer sur plusieurs tableaux. Une nouvelle génération s’installe.

« C’EST UNE CHANCE QUI LEUR EST DONNÉE »

N’as-tu pas peur que la période actuelle freine les ardeurs de chacun ?
Non. Les équipes se construisent aussi à long terme. Le coronavirus est un frein mais il y a une dynamique qui se met en place, notamment au niveau fédéral avec ce doublement des manches de la Coupe de France. On ne peut pas avoir des coureurs performants sans avoir un système global et pyramidal. Le coronavirus, c’est frustrant car on se disait au début que la saison de cyclo-cross ne serait peut-être pas impactée. Au final, c’est difficile d’imaginer les deux prochains mois. Mais on doit faire avec. Le Championnat d’Europe de ce week-end va quasiment marquer le début de saison, même si certains courent en UCI depuis plusieurs semaines.

Que serait un Championnat d’Europe réussi pour la France ?
Fixer un objectif de médailles serait illusoire. On a peu de coureurs qui ont performé au haut-niveau depuis le début de saison. Marion (Norbert-Riberolle) a connu un début de saison progressif. Elle monte toujours en pression au fur et à mesure des courses. Elle est la seule susceptible d’aller chercher une médaille. Les autres jouent des places entre 5e et 15e. Si je pouvais avoir une partie de l’effectif qui joue ces places-là ce week-end, ça serait une bonne chose. Ça correspondrait à ce que chacun peut faire dans ses meilleurs jours.

Comment imagines-tu la suite de la saison ?
Toutes les structures travaillent pour maintenir leurs coureurs à niveau et essaient de trouver des solutions… La FFC et l'Équipe de France y croient. Depuis le début de saison, j’ai passé des journées entières au téléphone pour garder tout le monde motivé. Ça fait partie de la dynamique. C’est une situation totalement inédite. Moi j’y crois, et j’espère qu’on ira au bout de la saison tant bien que mal. Comme j’ai dit à certains, à part les Français engagés à la Vuelta, il n’y aura que quinze Français en compétition ce week-end… Ceux présents à Rosmalen. C’est une chance qui leur est donnée. On va continuer de se battre pour les accompagner au mieux.

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